Dossier

catégorisation fiscale : un produit peu connu et mal vendu

Une discrimination positive consacrée par le Code Général des Impôts. Le fisc a l’habitude de sanctionner négativement les entreprises en situation fiscale irrégulière. Mais la Loi de finances de l’année 2011, a introduit un dispositif permettant de sanctionner positivement les entreprises transparentes et fiscalement régulières. Quel premier bilan peut-on faire de cette nouvelle expérience ?

Une expérience qui a donné ses fruits sur le plan international, surtout dans les pays anglo-saxons, avant d’être intégrée dans le système fiscal marocain. Il s’agit d’un traitement préférentiel dont peuvent bénéficier de la part de l’Administration fiscale, les contribuables catégorisés, c’est-à-dire qui remplissent les conditions prévues par la loi et la réglementation en vigueur et surtout dont la situation fiscale est régulière. Transparence et régularité fiscale sont les conditions préalables nécessaires à l’accès à ce statut.
Voilà un mécanisme mis en place depuis presque 5 ans pour stimuler le civisme fiscal des entreprises. Cette nouvelle démarche, entreprise en 2011, avant la consécration officielle du Partenariat Public Privé (PPP) et les Assises Nationales de la fiscalité d’avril 2013, devait symboliser l’entrée dans une nouvelle ère entre l’Administration fiscale et l’entreprise-contribuable pour aller vers une Administration fiscale citoyenne au service d’une entreprise citoyenne. Ce qui suppose l’existence d’une confiance mutuelle favorable au développement de la transparence et du civisme fiscal.

Le statut de la catégorisation fiscale a été dédié à des entreprises dont le risque fiscal est faible
Cette nouvelle démarche a pour principales finalités, la prise en compte des préoccupations de l’entreprise, notamment par rapport à sa trésorerie, mais aussi la célérité et la réactivité dans le traitement de ses doléances. Les irrégularités de minime importance ne devraient pas être un obstacle pour bénéficier de ce statut. Le fisc a bien annoncé sa disponibilité à accompagner les entreprises dans l’amélioration de leur conformité fiscale, comme action préalable à l’offre de ce statut. In fine, les entreprises de droit marocain, à travers le statut de «contribuable catégorisé», seront encouragées à s’aligner sur la tendance internationale de «labellisation», ce qui ne peut que contribuer à l’amélioration du climat des affaires, et donc à une meilleure attractivité des investissements, et par conséquent au développement de la croissance dont notre pays a tellement besoin. On retrouve ici, parfaitement l’illustration d’une intervention fiscale intelligente et ciblée de l’Etat, créant des conditions favorables à la « Main invisible » d’Adam Smith où le comportement individuel citoyen contribue à la réalisation d’un environnement général favorable au progrès.
Pour l’entreprise, il s’agit vraiment d’un statut fiscal privilégié, mais bien mérité, lui permettant de bénéficier d’un traitement administratif préférentiel, en toute transparence, sans bakchich. Une fois catégorisée, l’entreprise se verra appliquer des procédures simplifiées et personnalisées, se traduisant par des économies, en termes de temps et de coûts. Ce traitement pourra aller jusqu’à l’assistance dans la prévention des risques fiscaux pouvant altérer la régularité fiscale de l’entreprise. Le bénéfice n’est pas seulement direct. L’entreprise catégorisée fiscalement pourra aussi améliorer son image par rapport à son environnement, en termes de « label » de confiance, aux niveaux national et international.

Qui peut bénéficier de cette offre ?
La démarche mise en place par voie réglementaire, est globale. Elle comporte cinq étapes. Détrompez-vous, il ne s’agit pas des 5 étapes de Rostow. Initiée à la demande du contribuable, la procédure de catégorisation fiscale est ouverte à toutes les entreprises de toute taille et quelle que soit l’activité exercée.

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L’étape 1, relative au dépôt de la demande, est très importante. Bien que ni la loi, ni la réglementation ne le prévoient explicitement, les entreprises candidates sont celles qui ont au moins une ancienneté de quatre ans. Car, il est impossible d’apprécier le comportement fiscal d’une entreprise sans passé, sans existence préalable. L’entreprise qui souhaite obtenir le statut de « contribuable catégorisé », doit déposer une demande auprès d’une cellule centrale de catégorisation logée dans les services centraux de la DGI, à Rabat. Voilà une lourde séquelle bureaucratique de centralisation à souligner, et qui ne peut être que facteur de lourdeur…

Une absurdité procédurale monumentale
La demande déposée doit être appuyée d’un dossier constitué des documents attestant des situations de déclarations fiscales et de paiements, du recouvrement des droits et taxes, y compris, le cas échéant, du dernier contrôle fiscal et éventuellement des affaires contentieuses ayant eu lieu. Kafka, réveille-toi de nouveau ! Une absurdité procédurale monumentale. Il est demandé au contribuable de fournir à l’Administration fiscale des documents fiscaux délivrés par l’Administration fiscale, pour être ensuite remis à la même Administration!
Pour que sa demande soit recevable, l’entreprise candidate doit aussi remettre le PV de la dernière assemblée générale ou de la dernière réunion du conseil d’administration.
Deuxième étape, après le premier vertige kafkaïen. Cette étape consiste à examiner à la loupe les critères d’éligibilité. Une commission centrale ad hoc examine les documents déposés. Cette commission, présidée par le Directeur Général des Impôts ou son représentant, est composée :
– Du Directeur du Contrôle Fiscal ou son représentant ;
– Du Directeur de l’Assiette, du Recouvrement et des Affaires Juridiques ou son représentant ;
– Du Directeur Régional concerné ou son représentant ;
– D’un rapporteur.
Il peut être fait appel à toute personne dont l’apport technique est jugé utile. Une fois la décision prise par ladite commission, elle doit être notifiée par le fisc dans un délai de 30 jours suivant la date de réunion qui a donné lieu à ladite décision.

Commission ad hoc

Une commission présidée par le Directeur Général des Impôts ou son représentant, statue sur les dossiers d’octroi ou de retrait du statut du contribuable catégorisé.
Elle est composée :
• du Directeur du contrôle fiscal ou son représentant ;
• du Directeur de l’assiette, du recouvrement et des affaires juridiques ou son représentant ;
• du Directeur régional concerné ou son représentant ;
• du Chef du projet de catégorisation ou son représentant, en tant que rapporteur ;
Le président de la commission peut :
– faire appel à toute autre personne dont l’apport technique peut être jugé utile ;
– saisir la commission autant de fois que nécessaire.

Il est par ailleurs précisé que la commission peut demander la production de «tous autres documents jugés nécessaires pour l’instruction dudit dossier ». Voilà une disposition imprécise qui ne peut que renforcer le pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’administration fiscale et devenir une source de risques d’abus et d’arbitraire. D’autant plus que, dans la composition de ladite commission, n’est guère prévue une représentation du contribuable, à l’instar des commissions d’arbitrage (CLT et CNRF). Cependant, un mécanisme d’assouplissement est prévu : le contribuable ne remplissant pas au début les conditions d’octroi, a droit à une « session de rattrapage ». En effet, il peut régulariser sa situation fiscale, dans un délai de 3 mois, et demander un nouvel examen de sa demande initiale.
Globalement, ce premier examen porte sur le respect des obligations déclaratives et le paiement régulier des impôts. L’absence d’infractions fiscales graves au Code Général des Impôts et le constat d’une situation financière solvable, permettent de conclure de l’éligibilité de la demande.
L’étape 3 est la plus décisive. A l’issue de la deuxième épreuve, le contribuable est informé de son éligibilité et est invité à fournir un rapport d’audit comptable et financier et un rapport de diagnostic économique et social. Le premier rapport peut être remplacé par le rapport général et spécial établi par le commissaire aux comptes destiné à l’Assemblée générale des actionnaires. Pour le fisc, il est question de mieux connaître l’entreprise candidate à travers l’appréciation de son système comptable et financier et donc d’évaluer le degré de transparence dans sa gestion et le risque fiscal pouvant en découler.

La confiance et l’amour du fisc ne sont pas faciles à conquérir
Celui-ci doit apprécier la situation et l’aptitude du contribuable à devenir un partenaire fiable présentant des garanties suffisantes de fidélité sur le plan fiscal. Les rapports exigés doivent être établis selon les normes réglementaires et professionnelles en vigueur. Mais le fisc ne s’emprisonne pas totalement dans la logique fiscale. Il jette un sérieux coup d’œil sur d’autres aspects, notamment sur l’environnement interne et externe de l’entreprise, ses relations commerciales, le processus de fabrication mis en place, les technologies utilisées, l’organisation et l’infrastructure internes de l’entreprise, le cadre social et le respect de la législation sociale, autant de paramètres pouvant influer directement ou indirectement sur le comportement fiscal de l’entreprise candidate.
Quatrième épreuve. C’est là que l’entreprise est évaluée à la lumière des résultats obtenus dans les étapes précédentes. Il est question d’attribuer un « rating de conformité fiscale ». A l’issue de cette étape, sera accordé un scoring, sur la base des conclusions antérieures. Le scoring devra déterminer la catégorisation fiscale en classe « A » ou en classe « B ». L’entreprise catégorisée pourra ainsi bénéficier d’un package d’avantages communs aux deux classes A et B, avec des niveaux de facilités plus ou moins importants selon la classe obtenue. Cette différenciation découle de l’importance du risque que présente ladite entreprise catégorisée fiscalement en classe A ou en classe B. Le bénéfice de ces avantages est conditionné par le respect d’engagements définis dans la convention signée entre l’Administration fiscale et le contribuable catégorisé. Cette convention a une durée de 4 ans. 6 mois avant l’expiration de cette durée, une nouvelle demande peut être introduite et examinée selon la même procédure décrite, mais de manière plus rapide, en capitalisant sur la confiance déjà obtenue.

Quels avantages pour l’entreprise fiscalement catégorisée ?
Les avantages accordés vont de la qualité d’accueil réservée exclusivement aux entreprises catégorisées, à travers des guichets spécialisés pour répondre à toutes les doléances dans les meilleurs délais, au traitement prioritaire des requêtes en matière de contentieux administratif. Un dispositif d’alerte spécifique permettra au fisc d’assister et d’informer les entreprises catégorisées, en cas de retard ou de défaillance involontaire, avant toute procédure de relance.
Ce dispositif, mis en place en 2012, et appliqué en 2013, doit cependant être nuancé avec les nouvelles dispositions introduites récemment par la LF 2016. Celles-ci permettent, à tout contribuable défaillant, catégorisé ou non, mais de bonne volonté, de régulariser spontanément sa situation fiscale, sans se voir appliquer des sanctions, ou avec des sanctions très allégées.

L’entreprise catégorisée fiscalement pourra bénéficier de procédures administratives simplifiées et personnalisées
Enfin, l’avantage le plus alléchant, a trait au remboursement rapide de la TVA, sans contrôle préalable, soit 80% pour la classe A et 50% pour la classe B, dès le dépôt de la demande de remboursement. Dans une économie de marché, l’entreprise catégorisée sera ainsi en bonne santé financière et donc en meilleure position de concurrence par rapport aux autres entreprises non catégorisées.
Mieux encore, le contribuable catégorisé fiscalement sera intégré dans une matrice d’analyse risque, servant à la programmation automatique au contrôle fiscal et lui permettra de bénéficier d’un bonus proportionnel à la classe A ou B. Plus clairement, l’entreprise fiscalement catégorisée figurera moins dans le radar du fisc, puisque supposée présentant moins de risques. La « présomption d’innocence fiscale » est renforcée.

En cas de contentieux administratif, la requête devra être traitée avec célérité
Mais attention ! Ces avantages ne sont pas accordés de manière définitive et irréversible. L’entreprise catégorisée fiscalement doit veiller à la bonne qualité de son système de contrôle interne. Elle doit informer systématiquement le fisc de tout changement interne à l’entreprise ou en rapport avec ses associés, actionnaires et dirigeants.

Que gagne le fisc dans ce processus ?
L’Administration fiscale rationnalise et optimise sa démarche de contrôle. Son action gagne en efficience. Elle peut mieux cibler les entreprises en isolant celles où le risque fiscal est plus élevé.
Récemment, en unissant leurs efforts, l’Administration des Douanes et Impôts Indirects et la DGI ont procédé à une harmonisation de leurs procédures de catégorisation des entreprises. Cette expérience louable est doublement profitable pour l’entreprise et pour l’Etat. Elle pourrait s’étendre à d’autres partenaires, telle que la CNSS. A travers un processus global, l’entreprise pourra jouer un rôle fondamental dans l’émergence et le développement de la citoyenneté au sens large où toutes les dimensions sont prises en compte : fiscalité, réglementation douanière, responsabilité sociale, respect de l’environnement, respect des règles de la concurrence, refus de la corruption…
Entreprise citoyenne = Transparence + Civisme fiscal + Responsabilité sociale + Respect de l’environnement + Refus de la corruption + Concurrence loyale

Mais plus de trois ans après, l’application de cette procédure de catégorisation fiscale a permis à peine à 28 grandes entreprises de bénéficier de ce statut (voir tableau 1), soit une moyenne de moins d’une entreprise par mois. Le CIH est le dernier établissement en date à avoir bénéficier de ce statut d’entreprise fiscalement catégorisée. Y figure aussi l’ONCF, malgré sa faible ponctualité et la saleté bien connue à l’intérieur de ses trains. Par contre, n’y figure aucune PME. C’est dire que l’égalité de traitement annoncée dans les textes législatifs et réglementaires est toute théorique.
Si l’on retient la définition que donne le fisc à la grande entreprise et dont le critère principal est le chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions de dirhams, nous avons pas moins de 7 000 grandes entreprises, tous secteurs confondus. 28 grandes entreprises catégorisées fiscalement sur 7000 grandes entreprises, donnent un ratio plus qu’insignifiant. A ce rythme, il faudra plusieurs siècles à toutes nos grandes entreprises pour passer du côté de la transparence fiscale.

Image 9Quelles sont les causes de ce résultat ? Est-ce la lourdeur et  la complexité de la procédure administrative mise ne place ? Ou bien les entreprises seraient-elles allergiques à la transparence, pareilles aux grenouilles qui ne peuvent nager que dans l’eau trouble ?
Comme d’habitude, la montagne fiscale accouche de petites souris. Certes, les relations avec le fisc ont presque toujours été difficiles de par cette méfiance réciproque qui a longuement marqué les rapports entre l’Etat et le citoyen en général, et les rapports entre le fisc et le contribuable en particulier.
Un effort de vulgarisation et de communication reste à faire pour mieux vendre ce produit. De même, une simplification de la procédure administrative est nécessaire. Il est absurde que l’Administration fiscale demande au contribuable des informations qu’elle détient et dont elle est l’unique source. La déconcentration de la cellule de catégorisation fiscale est aussi nécessaire pour s’inscrire dans la régionalisation actuellement en marche. La démocratisation effective de l’accès à ce statut est aussi un droit économique fondamental des entreprises, petites, moyennes ou grandes. Le critère fondamental de discrimination devrait être le degré de transparence au sens large. En effet, si une grande entreprise a les moyens pour pouvoir réaliser les rapports d’audit et de diagnostic exigés, tel n’est pas le cas des PME dont les ressources sont souvent bien plus modestes. Un traitement spécifique, simplifié et allégé, moins coûteux pour les PME, contribuerait certainement au développement de relations plus équitables entre l’Administration fiscale et les contribuables, petits, moyens ou grands. Car, la vraie grandeur est avant tout dans le respect des valeurs et des principes.

LEXIQUE FISCAL : Les types de contrôle

Contrôle fiscal : action de l’Administration fiscale qui consiste à vérifier a posteriori les déclarations des contribuables. Le contrôle fiscal est la nécessaire contrepartie d’un système déclaratif. Il permet de sanctionner les fraudes ou de corriger les erreurs des contribuables. Il a également un effet dissuasif. En pratique, il consiste pour l’Administration fiscale à examiner la cohérence des déclarations, à les comparer à la comptabilité et aux pièces justificatives ainsi qu’à la réalité économique, financière et physique.
Pour exercer sa mission de contrôle, l’Administration fiscale dispose du droit de communication, des demandes de renseignements, d’éclaircissement ou de justification et du pouvoir de vérification. L’action administrative est encadrée par la loi qui prévoit au profit du contribuable des garanties à chaque stade de procédure.

Contrôle formel : contrôle consistant en un examen rapide d’une déclaration afin de s’assurer qu’elle contient les informations obligatoires et que celles-ci ne sont pas entachées d’erreurs de forme (de calcul…). En principe, c’est le système d’information qui doit effectuer en grande partie ce type de contrôle.

Contrôle sur pièces : examen de cohérence entre les différentes déclarations d’un même contribuable d’une part, éventuellement prolongé par des demandes de renseignements adressées au contribuable ou par l’exercice du droit de constatation sur place. Il est effectué par l’agent des impôts principalement dans son bureau, sans déplacement sur place. Les omissions ou inexactitudes décelées peuvent donner lieu à l’invitation du contribuable à souscrire une déclaration rectificative ou à des notifications de redressement.

Contrôle sur place : mise en œuvre des pouvoirs de vérification qui permettent au vérificateur de se rendre dans l’entreprise vérifiée pour y confronter les déclarations à la comptabilité, aux pièces justificatives, à la réalité du fonctionnement de l’entreprise.

Contrôle ponctuel : contrôle limité à l’examen d’une partie de la situation fiscale d’une entreprise au regard d’un impôt donné. Par exemple : contrôle de la réalité des crédits de TVA, pour une période déterminée.

 

Catégorisation fiscale : dispositions légales et réglementaires

– Article 164bis du Code Général des Impôts. Traitement préférentiel.
– Décret n° 2-12-132 du 17 août 2012. Conditions d’octroi du statut de contribuable fiscalement catégorisé.
– Arrêté du Ministre de l’Economie et des Finances n° 1053-12 du 22 août 2012. Composition et fonctionnement de la commission chargée de l’examen des demandes de statut de contribuable fiscalement catégorisé.
– Arrêté du Ministre de l’Economie et des Finances n° 1054-12 du 22 août 2012. Procédures d’octroi du statut de contribuable fiscalement catégorisé.

 

 
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