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Cliniques privées: mourir et laisser mourir, sauf contre rémunération!

«Qu’Allah nous donne juste la santé» dit l’adage populaire, et l’expérience des Marocains en la matière, ne laisse aucun doute: l’argent achète la «santé», à prix fort et sans négociation. A croire que la faucheuse se laisse acheter et donne un délai contre quelques billets verts… par Noréddine El Abbassi

Dans la vie, il arrive que l’on tombe. Un trottoir défoncé, un trou dans la chaussée casablancaise, et une soirée plaisante se transforme en drame. Dans une clinique, en admission en urgence, pour une radio de l’épaule, chaude et douloureuse qui tire à un adulte des larmes d’enfant. La radioscopie ne révèle rien. Pas de fracture, avance le médecin de garde et rassuré, on rentre chez soi. Jusqu’à ce que, trois jours plus tard, lorsque la douleur persiste, on se fait recommander un médecin compétent qui tranche: «il y a fracture». Entre soulagement et colère qui monte, on se demande comment une clinique qui vous fait payer, pour une simple radio, la somme de 800 DH, est incapable de diagnostiquer une fracture, qu’un étudiant de 1ère année de médecine peut aisément faire!
Changement de lieu. Une soirée fraîche, gâchée par une rage de dents. A la clinique, l’agent posté à l’entrée, annonce qu’il n’y a pas de praticien en fonction pour le moment. Prix avancé, 1000 DH pour l’extraction de la dent infectée. De toutes les manières, il faudra attendre le lendemain pour se voir affirmer, qu’il s’agirait d’un abcès et l’extraction est, dès lors impossible. Il faut encore attendre…
Houda passe sans doute la pire journée de sa vie, lorsqu’elle reçoit un appel de la clinique où l’on opère son père, opéré pour un infarctus, la nuit précédente. C’est le chirurgien qui l’appelle depuis le bloc opératoire, et lui explique qu’il faut faire une avance immédiate de 10 000 DH pour «parfaire» un soin de la veine du vieux coeur fatigué. Elle n’a d’autres choix que de donner son accord.
«Les cliniques privées sont en train de faire saigner les Marocains. C’est ça qu’il faut dire. Lorsque ma mère malade, était hospitalisée, la clinique m’a demandé de fournir tout un ensemble de produits pharmaceutiques, jugés nécessaires, mais non disponibles. Sans oublier de m’indiquer les fournisseurs», tempête Karim. Notre interlocuteur, la soixantaine passée et une vie bien remplie, ne manque pourtant pas de «carnet d’adresses» bien fourni, nécessaire pour survivre dans la jungle casablancaise. Pourtant, à lui comme aux autres , s’applique l’adage: «la médecine et la justice, Dieu nous préserve de tomber entre leurs mains». Comme si la sagesse populaire avait bien compris qu’il s’agit là des deux chantiers majeurs du Maroc en transition.

Le salut dans l’ouverture du capital des cliniques?

Mais que dit la «rue marocaine»? «Les cliniques privées vont changer la donne, sur l’exemple de l’hôpital Cheikh Zayed. Les investissements sont là. Certes, cela reste un service à la «marocaine», mais au moins ils y mettent de la bonne volonté», expliquent les chalands. Pour ce qui est des médecins, il est notoire qu’ils s’opposent à l’ouverture du capital des cliniques privées aux non-médecins. Argument invoqué? «Un manager ne peut s’immiscer dans des questions scientifiques et de diagnostic», expliquait un résident en médecine. Nobles arguments. Mais comme le constatent les médecins eux-mêmes, il y a un processus de «désacralisation» de la profession de médecin, comme si le «Doctor» se résumait à un simple «technicien de la santé», un «mécanicien du corps» et non plus un tenant du savoir, tenu par le serment d’Hippocrate et prêtre habillé en blanc…
Le déclassement social est bien là. La «petite bourgeoisie» d’antan intellectuelle, avec un véritable rôle de «liant social», a été happée par une «logique de marché». Ce qui signifie que des médecins pauvres soignent les pauvres, et des riches les riches. Ce qui amène Dr Alaoui à asséner: «la médecine est un métier de «représentation» comme les autres. Le carnet d’adresse et le réseau jouent un aussi grand rôle que la compétence même du médecin».
Les cliniques privées, elles, sont l’incarnation la plus pure de cette «logique de marché», où le médecin se retrouve, parfois contre son grès, mais poussé par la «pression sociale», transformé en «mercenaire» de la santé. A tel point que «passer sur le billard» se traduit dans le langage populaire en «boucherie».
La libéralisation des cliniques privées devrait «assainir» la situation. D’autres nous apprennent que le management par des personnes extérieures au monde de la «santé» n’obéirait qu’à une seule logique, celle de la rentabilité… Réellement? Parmi les témoignages les plus invraisemblables, celui-ci,: «j’ai vu un homme s’écrouler devant la porte d’une clinique, sans que personne ne se porte à son secours. Selon les responsables, il fallait qu’une ambulance le fasse admettre pour qu’il soit pris en charge. ».

Le salut dans une médecine publique de qualité?

Tommy est un privilégié au Maroc. Français, né dans le Royaume où il a passé toute sa vie, il a été rattrapé par l’âge. Handicapé cloué dans une chaise roulante, il passe sa vie entre soins à la maison et passage dans une clinique conventionnée avec la mutuelle de ressortissants européens. Lorsqu’on parle d’un étranger, on pourrait penser qu’il aurait droit à un traitement de faveur. Les faits sont bien différents. Au cours d’une crise, un urgentiste, pourtant médecin, refuse de lui donner les premiers soins. Plus tard, en clinique, on l’oubliera dans le «scanner», et le technicien s’esquive sans sortir les clichés de l’appareil. Pire, son fils, taillé comme une armoire à glace, sera obligé de bloquer la sortie pour qu’on daigne enfin s’occuper de son père, bien mal en point. «On attendrait un peu plus de sollicitude à l’égard d’un mourant… A 3000 DH la nuit ce serait bien un minimum…», avance son fils «ému».
Mehdi, 30 ans, est passé par une toute autre expérience. Affligé de problèmes de tension, il a eu un saignement de nez, quasi ininterrompu. De clinique en clinique, il a fini par être admis aux urgences de l’hôpital public: «Même si j’ai été pris en charge par une infirmière, les soins ont été mieux administrés qu’en clinique. A ma grande surprise!»
En matière de soins psychiatriques et de prise en charge de toxicomanie, là encore, la récente affaire Andaloussi a fait les choux gras de la presse. Le patient aurait été brûlé vif attaché à un lit, rapporte la famille de la victime sur le web, menant une guerre sur les réseaux sociaux, et recueillant l’adhésion de la populace. Autres affaires communément révélées par la presse: l’achat de sang pour une opération. Tout s’achète et tout se vend dans le Royaume enchanté, un peu de «fluide vital» pour survivre à une opération, ou même un étage de clinique privatisé pour fêter une naissance…
Au final, s’il y a une leçon à tirer de ce bref tour d’horizon des cliniques privées, c’est bien qu’il s’agit d’un business juteux, à tous les coups rentable. Reste que les plus aisés continuent de se rendre en Europe, pour des soins «sensibles», grossissant la facture des impayés des hôpitaux privés en France. Au vu des prix pratiqués au Maroc, qui pourrait le leur reprocher…?

 
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