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Convergence des politiques publiques Les maigres recettes du Gouvernement

Après plus de deux ans de réflexion, dans le cadre de séminaires et d’ateliers qui ont mobilisé tous les départements ministériels, le ministère des Affaires Générales et de la Gouvernance, a déposé un rapport qui condense l’ensemble des propositions pour améliorer la convergence des politiques publiques. Challenge publie pour la première fois, les grandes lignes des recommandations proposées et en fait une lecture critique. par S.ALATTAR

Dans un document intitulé : Etude Analytique de la Convergence des stratégies sectorielles, le ministère des Affaires Générales et de la Gouvernance a explicité les conditions qui doivent être réunies pour lutter contre le sectorialisme et conduire à la convergence. Pour ce Département, le processus stratégique de développement du pays doit s’inscrire dans un cadre global qui doit servir à piloter l’ensemble des politiques sectorielles du gouvernement. L’étude préconise la mise en place, sous la présidence du Chef de gouvernement, d’un Cadre Global de Coordination et de mise en Cohérence Nationale (le CGCN). Celui-ci devra être basé sur une large participation pour lui donner une assise solide et une forte légitimité vis-à-vis des départements ministériels, organismes publics, élus, instances de bonne gouvernance et de régulation, acteurs économiques et sociaux, associations de professionnels etc.. Le rapport  recommande d’organiser en outre, une large écoute et consultation et de donner la parole aux citoyens et citoyennes à des moments clés du processus. Ce cadre sera la référence à adopter pour les stratégies et programmes de développement économique, social et environnemental. Tout en tenant compte des stratégies en cours, il prend en considération la nécessaire refonte du système administratif national pour faire face, de manière efficace, aux enjeux du développement du pays et de son insertion dans l’économie mondialisée. Le CGCN est à concevoir en trois parties : une première partie de politique générale définissant le cadre et les grandes orientations à long terme du pays et les priorités correspondantes ; une deuxième partie prévoyant le référentiel institutionnel global et le dispositif institutionnel de mise en œuvre (définition et mise en œuvre des synergies…) ; une troisième partie précisant les mécanismes de
suivi-évaluation de l’ensemble. Sans être rigide, ce document n’en est pas moins normatif.

Définir une politique générale : les grandes orientations et priorités nationales

Il s’agit d’une étude prospective tenant compte de l’ensemble des potentialités nationales (ressources physiques, démographiques, économiques-incluant les savoir-faire et les spécificités, sociales, environnementales etc.), qui définit une vision d’avenir, donne un contenu aux principes et valeurs fondamentaux, anticipe les obstacles futurs, éclaire et balise le cheminement vers le changement, explore les tendances éventuelles, propose des alternatives de développement pertinentes à même de construire un futur visible et cohérent pour l’ensemble des secteurs. Il définit les orientations générales du pays, les grandes priorités nationales, les principaux axes de développement, les grands enjeux sectoriels et les interdépendances éventuelles. La formulation d’objectifs à long terme mettant en avant les obstacles à lever à court terme pour les atteindre et les mécanismes d’évaluation à moyen terme de la cohérence entre long et court termes. La référence aux priorités devient alors indispensable dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies et programmes sectoriels pour garder en vue les principaux enjeux de développement dans leur cohérence et complémentarités. La réalisation de cette étude inclut une large participation, l’ensemble des acteurs concernés prenant part au processus d’élaboration en privilégiant l’écoute, la consultation et le débat (ateliers nationaux, régionaux et locaux). Elle prend en compte les processus de planification existants (documents de planification et d’aménagement du territoire, de développement économique et social, d’orientations économiques internationales, etc.) ; elle est orientée sur des résultats et se base sur les principes de partenariat.

Définir un référentiel institutionnel global et un dispositif de mise en convergence

La deuxième partie du CGCN consiste à organiser la cohérence des politiques publiques dans le cadre d’une vision collective à long et moyen termes, prenant en compte les fondamentaux du pays et les principes et valeurs du service public, assurant la coordination des politiques et stratégies ainsi que facilitant la prise de décision et l’arbitrage des enjeux intersectoriels. Il s’agit ici, de restructurer l’ensemble de l’appareil de décision en tenant compte de la cohérence sectorielle et en éliminant les chevauchements qui freinent la mise en application des actions correspondantes aux grandes orientations et priorités nationales. Les principes fondamentaux des finalités de chaque secteur clairement définis, il s’agit alors de délimiter les champs d’action de chacun, facilitant la prise en compte des orientations globales et des priorités nationales dans la définition des stratégies sectorielles. Il s’agit de clarifier les interdépendances tant sectorielles que spatiales (schéma national de rationalisation des structures ; optimisation de la dépense publique ; définition des règles du jeu : qui fait quoi et à quel niveau de responsabilité et d’intervention). Cette deuxième partie définit en outre le statut, la mission, l’organisation et le mode de fonctionnement d’un dispositif de veille sur la mise en convergence des politiques publiques dans le cadre du CGCN élaboré. Les Assises nationales de la gouvernance recommandent, d’ailleurs, la création d’un dispositif dont la mission consiste à coordonner la mise en convergence des programmes et stratégies sectoriels ; à examiner les stratégies et programmes déjà conçus et proposer des actions d’amélioration; à suivre et évaluer le niveau de cohérence, de convergence et de complémentarité des politiques publiques sectorielles. Ce dispositif sera garant de la cohérence et de la convergence des stratégies et programmes sectoriels de la mise en synergie , de la coopération et de la coordination entre les départements. Il veillerait au respect des orientations stratégiques du CCNG , à l’arbitrage des enjeux de développement sectoriel, à la mise en œuvre des réformes institutionnelles en profondeur pour atteindre la cohérence et la convergence escomptées. Ce dispositif serait placé sous la présidence du Chef du gouvernement. Cependant, son fonctionnement requiert un poids politique certain pour assurer avec succès la mission de cohérence entre l’ensemble des départements ministériels. Il est donc essentiel que soient d’abord clairement identifiés et définis par des textes législatifs et réglementaires, les fonctions et responsabilités de chacun dans le Cadre Global de Cohérence Nationale. Le statut, la mission, les attributions, les moyens humains et financiers de ce dispositif doivent être précisés par une étude de faisabilité comprise dans l’élaboration du cadre global de cohérence nationale.

Développer un dispositif de suivi-évaluation du CGCCN

Cet ensemble, présenté dans les deux points précédents, devrait reposer sur une veille stratégique, en tant que système de suivi-évaluation qui aura pour objectif l’aide à la prise de décisions. Système d’information et d’analyse visant la collecte, le traitement et la diffusion de l’information, il doit fournir au gouvernement des informations régulières sur l’évolution de l’environnement économique et social pour qu’il puisse ajuster, à moyen terme, les mesures démarrées à court terme dans la perspective de la réalisation de ses objectifs de long terme. Il faut reconnaitre qu’un nombre important de faiblesses identifiées dans l’état des lieux se rapporte à la faible accessibilité à l’information. Différentes raisons sont avancées : soit l’information n’existe pas (elle n’est pas produite) ; soit elle existe mais n’est pas partagée ; soit elle est inadaptée aux besoins. Ajoutées à la faible communication inter et intra institutionnelle, ces deux faiblesses constituent à elles seules un point vital entrainant plusieurs dysfonctionnements du service public. Le Cadre global de cohérence nationale définit le modèle du dispositif ; ses objectifs ; son organisation et sa mise en œuvre (recueil et analyse de données, sources etc.) et l’information à mettre à la disposition du gouvernement régulièrement pour les ajustements nécessaires à la poursuite des objectifs. A titre indicatif, les domaines concernés peuvent être ceux des lois, règlements et normes ; de l’emploi dans son lien avec l’enseignement et la recherche scientifique ; de l’enseignement ; de l’investissement et de la compétitivité ; du commerce extérieur ; du développement social.

Mettre en place un cadre global d’évaluation des politiques publiques

Il s’agit d’élaborer un cadre institutionnel et juridique définissant le statut, la mission, les attributions, l’organisation et le fonctionnement d’une structure qui sera en charge de l’évaluation des politiques publiques. Deux composantes complémentaires doivent constituer ce cadre : le suivi-évaluation propre à chaque département ministériel et l’évaluation externe. Le suivi-évaluation, avec sa dimension stratégique, porte sur les réalisations et les résultats obtenus tout au long de la mise en œuvre et sur les effets des programmes et projets. Il doit permettre les ajustements nécessaires pour chaque secteur en fonction de l’évolution des conjonctures tant nationale, qu’internationale. Par ailleurs, l’évaluation aura pour objectif de produire des connaissances sur les impact des stratégies et programmes pour aider les décideurs à en améliorer la pertinence, l’efficacité, l’efficience, la cohérence et les impacts/durabilité. C’est également un outil de transparence vis-à-vis des parties prenantes et des citoyens. Ces deux outils sont de prime importance pour mesurer la convergence des politiques. En mettant en place un cadre global d’évaluation des politiques publiques (CGEPP) incluant l’introduction systématique de la démarche de suivi-évaluation dans chaque département et l’indépendance de la structure d’évaluation externe, plusieurs faiblesses et contraintes citées à différents niveaux dans l’état des lieux seront dépassées. Il s’agit d’abord, du renforcement du principe de la responsabilité et donc de la « reddition des comptes » ; de l’imputabilité et d’information des parties prenantes (dont les citoyens). Ensuite, il permettra d’améliorer la gestion publique par l’optimisation de l’utilisation des ressources, ainsi que l’aide à la prise de décision. Il peut contribuer enfin, à la formation des ressources humaines par un accompagnement permettant une meilleure adaptation à l’évolution des contextes de l’action. Le cadre institutionnel est mis en place à travers le ministère des Affaires Générales et de la Gouvernance qui dispose d’une Direction de la gouvernance. La mise en place doit tenir compte de l’impératif de l’indépendance de la structure d’évaluation, de l’articulation et de la complémentarité qu’elle peut avoir avec les autres institutions dont les missions s’en approchent, présentant des similitudes ou des interdépendances avec les siennes (l’ONDH, la Cour des comptes, les inspections générales des départements…). La consultation des partenaires économiques et sociaux est de nature à donner une légitimité à cette structure. Enfin, il est recommandé de sensibiliser et former les responsables des administrations publiques et des collectivités territoriales sur l’apport de l’évaluation en tant que moyen d’administration de la qualité du service public.

Les autres mesures d’accompagnement pour faciliter la convergence des politiques publiques
Pour rendre plus efficientes les réformes proposées, le rapport recommande les mesures d’accompagnement suivantes :

1. Adopter un cadre unifié pour l’élaboration des documents stratégiques sectoriels

Le cheminement doit être décliné en respectant les déterminants suivants : les politiques sectorielles doivent déclarer dès le départ, leurs « références », leurs « objectifs généraux et spécifiques » clairement formulés en termes précis, opérationnels et, le cas échéant, «chiffrés », et doivent être « munis des résultats escomptés, exprimés en des « termes observables », autant que possible « mesurables » et dans tous les cas, « vérifiables ».

2. Redéfinir les ressorts territoriaux

Le rapport recommande de redéfinir les rôles et les missions des différents niveaux: national, régional, provincial/préfectoral et communal. Ainsi dans ce nouveau positionnement, le modèle de régionalisation ouvre la voie à l’instauration de nouveaux rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales, basés sur le partenariat et sur la contractualisation en tant que mode d’organisation privilégié. Ces nouveaux rapports se baseront sur un cadre de référence contractuel rénové aux lignes directrices claires : définition précise des objectifs, des moyens et des modalités de suivi et d’évaluation des engagements réciproques de l’Etat et des collectivités territoriales dans chaque cas. A cela, s’ajoutent l’instauration de pratiques d’écoute et d’échange, l’introduction de mécanismes de mise en cohérence des politiques publiques nationales et territoriales et la révision du mode de supervision par l’Etat, en recourant davantage à l’évaluation a posteriori (le contrôle a priori étant à limiter à des cas bien définis). Toutes ces dispositions consacrées par la constitution, par le projet de régionalisation et dans les engagements pris par le gouvernement (cités dans le titre 3 de la partie 1 évolution des pratiques) nécessitent un examen, une relecture et une harmonisation des missions et des structures existantes en conformité et dans la continuité des dispositions citées.

3. Elaborer et mettre en application le cadre de déconcentration administrative:

Les attributions des responsables des services extérieurs doivent être assez larges de manière à libérer leurs initiatives et réduire les cas de remontée de la chaîne décisionnelle aux administrations centrales.
La charte de déconcentration attendue, devrait clarifier les principes, les prérogatives et les moyens des différents niveaux territoriaux de l’Etat; posera les normes de cohérence de l’ensemble des instruments, modes et structures d’intervention de l’Etat; définira les mécanismes de coordination et de mise en synergie à l’intérieur des départements sectoriels et entre les départements et les autres intervenants, collectivités, acteurs économiques, acteurs sociaux, aux différents niveaux.

4. Recentrer et clarifier les prérogatives des Walis et des Gouverneurs:

Le rapport sur la régionalisation préconise également, la clarification des prérogatives des Walis et des Gouverneurs. Il propose de cadrer la fonction en veillant à préserver deux impératifs d’ordre politique et institutionnel: d’une part, la « nécessité de sauvegarder la responsabilité juridique et politique des Ministres concernés (vis-à-vis des services placés sous leur autorité) et d’autre part, la nécessité d’instaurer des mécanismes d’animation, de suivi et d’évaluation par les Walis et les Gouverneurs, rendant leur responsabilité de coordination effective et efficiente.

5. Renforcer les capacités des Ressources Humaines

Le rapport recommande d’accompagner la mise en œuvre des orientations et mesures proposées par un programme de renforcement des capacités des personnels de l’Administration Publique et des collectivités territoriales sur divers aspects en rapport avec la Gouvernance Publique et de manière générale, sur le management public. Il est proposé dans le même sens, de développer les compétences et les connaissances qui permettent aux personnels d’approfondir leur connaissance sur les enjeux de la Gouvernance Publique et sur les méthodes d’analyse et les outils de management, favorisant le changement de l’action publique. Le rapport recommande d’organiser les formations et la sensibilisation, en regroupant les personnels des différents départements et des différentes collectivités territoriales et services extérieurs, en fonction des besoins et des objectifs préalablement identifiés, pour mutualiser les moyens (financiers, logistiques) et créer des liens de sociabilité entre les cadres des différentes administrations. Ces liens facilitent l’échange et le développement de la coopération inter et intra départements ministériels et entre acteurs locaux, favorisant ainsi, le partenariat et le travail en commun.

 
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