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De l’eau dans le gaz entre les voyagistes et RAM

Billetterie d’avion. Les agences de voyages haussent le ton. Elles accusent Royal Air Maroc (RAM) de casser leur monopole dans le paiement en espèces des billets de la compagnie aérienne nationale depuis que cette dernière a tissé un partenariat avec Wafacash. par Adama sylla

Désormais pour payer en espèces un billet RAM, il n’est plus nécessaire de s’adresser à une agence. La compagnie aérienne nationale offre dorénavant la possibilité de réserver un billet en ligne et de le payer directement en espèces dans plus de 1100 agences de la filiale d’Attijariwafa bank. Tout a commencé ce 3 novembre lorsque RAM a lancé l’option de paiement en espèces pour la réservation et l’achat de billets d’avion via le web. Ainsi, le client qui retient l’option de paiement en espèces, peut se rendre à une agence Wafacash dans les 16 heures qui suivent la réception de l’email de pré-réservation, muni de son code de paiement pour régler son billet et confirmer la réservation. Une fois le paiement effectué chez Wafacash, le client reçoit la confirmation de son billet d’avion par email. Mais avec la mise en branle de ce procédé simple, les voyagistes se ruent déjà sur les brancards pour dire qu’ils vont perdre une bonne partie de leur chiffre d’affaires. « Il s’agit ni plus ni moins que d’une concurrence déloyale qui nous fait perdre beaucoup de clients. En procédant ainsi, Royal Air Maroc qui a suffisamment d’agences propres et partenaires, est en train de fausser le jeu », déplore Khalil Majdi, président de la Fédération nationale des agences de voyages du Maroc (FNAVM).
De son côté, la compagnie aérienne nationale estime que son partenariat avec Wafacash n’est qu’un nouveau service qui n’a rien à voir avec le réseau de la clientèle des agences de voyages. «Jusque-là, nous avons trois canaux de commercialisation : les agences, notre site internet où le paiement se fait par carte bancaire, et notre call center. Au niveau de ce centre d’appels, le client a la possibilité de pré-réserver son billet. Il communique par téléphone ses données et puis il va dans une agence de RAM dans les six heures qui suivent son appel pour payer et récupérer son billet. Aujourd’hui, nous avons décidé d’élargir ce service aux clients des régions enclavées et à la cible non-bancarisée à travers ce partenariat avec Wafacash qui dispose de 1100 agences. Il faut savoir qu’il y a des villes de provinces où il n’y a pas d’agences RAM, notamment Zagora, Ouarzazate ou encore Khouribga. Pire, certaines localités n’ont même pas d’agences de voyages. C’est le cas de Benhamed, Youssoufia, Khénifra, Béni Mellal, Deriouch… D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, depuis le lancement de ce service, nous réalisons beaucoup de ventes dans ces villes », souligne  Hakim Challot, directeur de la Communication et porte-parole de la RAM. Et d’ajouter : « Wafacash n’assure pas la mission d’agence de voyages. Ce qui nous lie, c’est la location temporelle de ses bureaux. D’ailleurs, toutes les compagnies aériennes le font d’une manière ou d’une autre, certaines via les sociétés de transfert d’argent comme Western Union ».
Pour autant, les voyagistes comptent batailler pour parvenir à se faire entendre, estimant qu’ils représentent un maillon essentiel du tourisme. « Nous allons nous réunir incessamment sur la question pour nous mettre d’accord sur la stratégie à entreprendre », précise le président de la FNAVM.
Les rapports entre la compagnie aérienne nationale et les agences de voyages partenaires sont souvent tendus. En effet, les voyagistes estiment que RAM est à l’origine de la plupart de leurs maux et ne ratent pas l’occasion d’énumérer une litanie de problèmes avec la compagnie, qui a commencé en 2003 avec la réduction de la commission sur les billets, la portant de 9 à 7%. Un litige qui est depuis, devant les tribunaux de commerce, sans pour autant voir une issue. Cela a-t-il conforté la compagnie nationale dans ses nouvelles décisions ? Certaines agences en sont convaincues. En tous les cas, à ce litige est venue s’ajouter l’application du taux de commission zéro par la RAM, à l’instar des autres compagnies aériennes. Le dernier bras de fer entre les voyagistes et la compagnie remonte au 13 mars 2013, qui a vu les présidents des associations d’agences de voyages de Casablanca et de Rabat et Région, saisir officiellement, le Conseil de la concurrence au sujet de ce qu’elles considèrent comme «un abus de position dominante RAM sur le marché à l’égard de ses partenaires, les agences de voyages». Elles accusent la compagnie de proposer sur Internet à la clientèle locale des billets moins chers que ce qu’ils peuvent offrir à travers le réseau GDS, la plateforme électronique de gestion des réservations qui permettent aux agences de voyages de consulter les listes des vols des compagnies qui y figurent, les tarifs, l’état des réservations, et de procéder à des réservations à distance. A noter que derrière cette saisine des voyagistes de Casablanca et de Rabat, il y a le fait que le canal de commercialisation de RAM ne cesse de monter en puissance : la compagnie aérienne nationale réalise aujourd’hui 22 % de son chiffre d’affaires via le web. Quoi qu’il en soit, récemment, le Conseil de la concurrence a rendu son avis. Ce dernier, a considéré que la commercialisation exclusive par la RAM des offres promotionnelles via son site Internet, ne constitue pas un abus de position dominante dans le marché concerné et par conséquent, ladite compagnie n’a pas exploité abusivement sa position dominante. « Il n’est pas établi que la Royal Air Maroc a enfreint les dispositions de l’article 7 de la loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence », indique le Conseil.
Toujours est-il que les rapports de force sont plutôt favorables à Royal Air Maroc. En face du transporteur, le réseau des agences de voyages est atomisé en petites entreprises et structuré en un oligopole contrôlé par une poignée de grosses PME. Selon des estimations, environ 10 % des agences concentrent 42% du chiffre d’affaires billetterie du secteur. 61 % de ce chiffre d’affaires sont réalisés par 20% des agences. Que vendent aujourd’hui les agences de voyages ? Deux-tiers des billets émis sont sur l’Europe; 79 % des titres de voyage sont vendus aux tarifs promotionnels, et seulement 21 %, selon la grille haute contribution.
L’analyse du marché, d’après le Conseil de la concurrence, fait ressortir que le montant total des ventes des billets d’avion par les agences de voyages a connu durant entre 2009 et 2012 une augmentation de 24,58 % passant de 2,4 milliards de DH à environ 3 milliards de DH. Sur le même montant, la part des billets de la RAM varie entre 39 et 41%. En ce qui concerne les ventes des billets d’avion de la RAM réalisées par les agences de voyages, elles ont représenté en 2012, 40,87% des ventes totales de toutes les compagnies, enregistrant ainsi une augmentation légère de 1,65% par rapport à l’année 2011.
Selon les statistiques communiquées par la RAM au Conseil de la concurrence, la part des billets d’avion de la compagnie dans le chiffre d’affaires des agences de voyages varie entre 53 et 55%.
En plus des ventes des billets d’avion réalisées par les agences de voyages, l’offre se compose également des ventes des billets effectuées directement par les compagnies aériennes.
L’analyse fait ressortir que l’offre globale est estimée à 3,9 milliards de DH en 2012. C’est une offre qui ne comprend pas les ventes directes réalisées par les autres compagnies à travers leurs propres réseaux.
Selon les estimations des agences de voyages, ces ventes ne constituent qu’une partie minime de l’offre vu que les autres compagnies n’ont que des représentations limitées dans les grandes villes marocaines.
Aussi, ces données montrent qu’en 2012, la RAM a réalisé près de 2,236 milliards de dirhams comme vente de billets, représentant ainsi 56,28% des parts de marché des ventes totales traitées par le BSP Maroc. Partant, la RAM est considérée comme un partenaire commercial incontournable des agences de voyages.

 
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