Interview

« Il ne faudrait pas s’étonner que les produits participatifs soient plus chers que ceux des banques classiques »

Le lancement des banques participatives est imminent. Bank Al-Maghrib a octroyé, la semaine dernière, cinq agréments pour la création de banques participatives et a autorisé trois banques à offrir des produits participatifs. Saïd Amaghdir, président de l’Association Marocaine pour les Professionnels de la Finance Participative (AMPF) fait le point sur la situation.

Challenge : Vous avez organisé un workshop en fin de semaine dernière à Casablanca. Qu’est-ce qui a motivé cette rencontre ?
Saïd Amaghdir: Le travail sur la finance participative de manière générale et la banque participative de façon particulière, a démarré depuis quatre ans au moins. Nous avons donc tissé un partenariat avec l’Association Professionnelle des Sociétés de Bourses et aussi avec la Bourse de Casablanca. Et durant les quatre ans, nous avons organisé beaucoup de rencontres sur cette nouvelle industrie qui va voir le jour. Ces rencontres ont touché à la fois la partie bancaire, la partie des Sukuks et aussi l’assurance participative, et l’indice boursier Sharia compliant. Il est important d’avoir un écosystème complet. Bank Al-Maghrib, après plusieurs consultations avec les banques qui ont déposé leurs demandes d’agrément, a rassuré sur cette nouvelle industrie qui va voir le jour. Cela veut dire qu’il y a des règles, un cadre comptable, un référentiel de gestion des risques. Fort de cela, la banque centrale a décidé d’accorder cinq agréments de création de banques participatives et trois autorisations pour proposer des produits de banques participatives à travers des fenêtres. Notre workshop a coïncidé avec l’octroi de ces agréments, et c’est une bonne chose. Nous avons invité les régulateurs Bank Al-Maghrib et le Conseil Supérieur des Oulémas pour expliquer les règles aux professionnels. Et, nous avons aussi pensé à l’Autorité marocaine du marché des capitaux pour nous parler des dispositifs mis en place pour l’émission de sukuks qui a été récemment annoncée par le ministre des Finances. Il faut savoir qu’afin que cet écosystème soit complet, il faut absolument des produits d’assurance participative. La loi sur l’assurance participative a déjà été publiée en version arabe au Bulletin Officiel, il ne reste plus que la version française. C’est important que les produits bancaires participatifs démarrent au même moment que les produits d’assurance takaful. L’un des produits qui sera très demandé, c’est le Mourabaha. Il s’agit d’un produit adossé à une assurance décès qui doit être Sharia compliant. D’où la nécessité de l’assurance participative. Donc, nous travaillons à ce qu’il y ait une banque participative, une assurance participative et bien sûr, un marché des capitaux qui va absorber les dépôts qui auront été effectués auprès des banques ou des primes collectées par les compagnies d’assurance. Dans ce sens, la Bourse de Casablanca est en train de mettre en place un indice boursier Sharia compliant. C’est un projet en cours et qui sera validé par le Conseil Supérieur des Oulémas.

Quelle est l’ambition au niveau dela Bourse ?
L’idée, c’est de voir ce qu’on peut apporter de plus par rapport à ce qui existe déjà. Donc l’ambition est d’avoir un marché Action Sharia compliant et un nouveau marché des Commodities où seront cotées des matières premières, comme en Malaisie par exemple. Bien sûr, tout cela ne se fera pas d’un seul coup, mais progressivement, en s’inspirant des expériences à l’international. Il y a aussi, un détail qui ne doit pas nous échapper. Ce n’est pas pour rien que le Maroc a choisi l’appellation de « Finance participative » pour qualifier cette nouvelle industrie au lieu de « Finance islamique ». Ce choix se justifie, parce que, in fine, il s’agit dans un premier temps, d’une nouvelle industrie bancaire marocaine, mais il n’empêche qu’elle reste ouverte à toutes les religions. En l’appelant « Finance islamique », cela voudrait dire qu’on la restreint à la sphère islamique. En Malaisie par exemple, 78% à 80% des investisseurs au niveau du marché malaisien sont des bouddhistes. Donc, cela n’a rien à voir avec la religion. Les gens sont attirés par deux éléments importants qui sont l’éthique et la performance. Si nous arrivons vraiment à réussir l’expérience et à avoir un marché bien structuré, nous pourrons l’exporter en Afrique.

Nous sommes à la veille du lancement de cette nouvelle industrie bancaire. Alors quels ont été les feedbacks des professionnels après ce workshop ?
Je pense que grâce à ce workshop, nous avons ouvert le débat sur tout l’univers de la finance participative, parce qu’à un moment donné les discussions tournaient seulement autour des banques participatives. Or, une banque participative toute seule sans écosystème, est une banque mort-née. Sans l’assurance participative, sans les sukuks et tous les autres éléments pour créer de la liquidité, alors c’est un mort-né. Donc, les professionnels sont bien d’accord qu’il faut réfléchir pour, au moins, mettre quelques éléments en place qui vont permettre de soutenir ces nouvelles banques dès le départ. Et, nous devons arriver à stabiliser ce développement au Maroc, pour que demain, nous puissions partager cela avec les pays amis d’Afrique subsaharienne comme le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal etc. Cette nouvelle industrie offre beaucoup d’opportunités. En plus de l’indice boursier Sharia compliant, nous avons ajouté un autre maillon dans la chaîne. Il s’agit des OPCI (NDRL : Organismes de placement collectif en immobilier). Ces derniers peuvent également émettre des sukuks avec de faibles valeurs nominales. Cela donne donc l’opportunité à un particulier lambda d’acheter des sukuks à travers ces OPCI. Mais, tout ceci sera fait de manière progressive. Cette industrie a aussi besoin de ressources humaines qualifiées pour fonctionner. D’où l’opportunité pour la création d’emplois. Depuis quatre ans, plusieurs formations ont été lancées à travers des masters, des MBA, des bourses de recherche scientifique au niveau des écoles d’ingénieurs. L’objectif est de créer de l’emploi pour nos jeunes.

A votre avis, est-ce que tout est prêt aujourd’hui pour le lancement des banques participatives ?
L’octroi des agréments et autorisations par Bank Al-Maghrib signifie que le business model de ces banques a été validé. Le Conseil Supérieur des Oulémas a vu chaque produit qui sera proposé par ces banques et les a validés. Donc, il est d’accord sur la démarche. Je pense qu’en l’état actuel des choses, certaines banques qui ont déjà leur agrément peuvent certainement démarrer leur activité aujourd’hui, même si le top est donné. Mais à mon avis, ce ne sera pas un démarrage effectif global. Elles pourront ouvrir des agences et commencer à collecter des dépôts… Mais, en ce qui concerne les produits tels que Mourabaha, il faudra encore patienter. De même, l’absence de gouvernement officiel retarde aussi le lancement.

Le principe des banques participatives repose, en grande partie, sur l’éthique. Mais, il faut bien aussi que ces banques fassent du chiffre d’affaires. N’y-a-t-il pas un risque de tomber dans la spirale de la recherche de profit à l’instar des banques conventionnelles ?
C’est vrai qu’il y a tout un débat sur cet aspect du sujet. Mais, il faut savoir que la banque participative a trois piliers importants. Le premier, c’est l’éthique, c’est-à-dire que les banques doivent être transparentes vis-à-vis des clients. En deuxième lieu, ces banques doivent s’adosser à des projets concrets, c’est-à-dire proposer des produits concrets qui ne seront pas dérivés. Et en troisième lieu, il y a le droit musulman des affaires. Ce sont ces trois éléments qui vont encadrer la recherche de profit par la suite. Bien sûr, ces banques vont faire des profits, mais il s’agit de profits sains et encadrés par des règles. Ce qui n’est pas le cas au niveau des banques classiques.

Qu’en sera-t-il des coûts pratiqués par les banques participatives ?
Il y a d’abord lieu de faire une distinction. La banque conventionnelle vend de l’argent à sa clientèle contre des intérêts, alors que la banque participative ne donne pas du cash à sa clientèle. C’est-à-dire que lorsqu’un client a besoin d’un bien, la banque participative achète le bien en question en son nom qu’elle va ensuite vendre au client, selon certaines modalités. Partant de là, il est évident que la banque, en prenant ce risque, a le droit de gagner une plus value sur le bien que va acquérir le client. Je pense qu’il faut garder à l’esprit que les banques participatives vont vendre des produits qui répondent à une conviction. Si dans un premier temps, on arrive à avoir le coût entre un produit participatif et un produit classique, ce sera une excellente chose. Mais, je pense qu’il ne faudra pas être étonné de voir que les produits des banques participatives soient un peu plus chers que ceux des banques classiques. Ce sont des banques qui vont démarrer en 2017, on ne peut donc pas leur demander de pratiquer le même coût que les banques qui sont déjà là depuis l’indépendance, avec un système classique qui a plus de 400 ans. Ainsi, je pense que nous serons un peu tolérants par rapport au coût, qui quand-même, à mon avis, sera pratiquement sur le même alignement que les banques classiques, si des efforts sont faits. Les banques participatives ne doivent être pas trop gourmandes au niveau du business model, mais chercher à être concurrentielles pour avoir une part de marché correcte.

 
Article précédent

CAN 2017 : Le Maroc rate son entrée en lice

Article suivant

Orange lance l’ADSL entreprise