Portrait

Inventeur, chef d’entreprise et chercheur de génie

On lui donnerait le prix Nobel sans confession. Ce docteur en chimie formé au CNRS, a fait ses débuts dans la recherche pour l’industrie, et a récemment inventé un procédé pour améliorer la production et le recyclage de carton. Ce père de famille ne vit que pour ses enfants et les molécules qu’il développe. Par Noréddine El Abbassi

Einstein est mort, mais il s’est réincarné dans le corps d’un marocain. Le Dr Rachid Chraïbi correspond à l’image d’Epinal, du savant perdu dans ses formules. Le bon vieux Albert, pour cette nouvelle incarnation a délaissé la physique, «Dieu ne joue pas aux dés avec le Monde», pour un concept bien plus pragmatique: la chimie organique. C’est au théoricien de la relativité, père malgré lui de la physique quantique et de la compréhension de plus en plus profonde de la nature «quantique» du monde qui nous entoure, qu’il ressemble. Les cheveux mi-longs et quelque peu en bataille, il porte une blouse de chimiste blanche, qui ne semble jamais le quitter, même hors de ses bureaux… Son antre? Un mix entre une usine, avec des laboratoires à l’étage et un personnel administratif effacé. C’est une entreprise familiale marocaine, spécialisée dans la recherche et développement en molécules dans des marchés de niche, où justement, il a fait une découverte majeure dans le domaine de l’industrie du recyclage et du carton. Sobrement baptisée SASLO/J, au lieu de Chraïbi/R, d’après le nom de l’industriel dans le carton qui a posé la problématique: comment optimiser le recyclage de carton pour produire plus, avec moins d’entrants? Au bout de trois mois de recherche effrénée, où le bon Dr s’usait le dos, jusqu’à dormir dans son vaste bureau, Rachid Chraïbi est ressorti avec LA formule, un brevet chimique bien marocain, que les quataris s’arrachent déjà, sans qu’il ne se résolve à céder la trouvaille, répétant: «je ne suis pas intéressé de vendre ma molécule. Ce que je veux c’est produire au Maroc et donner du pain à mes employés», explique-t-il, soudain animé par une autorité passionnée, lui qui semble si doux, hypersensible et perdu dans ses pensées. L’archétype du Professor Doctor allemand du XIXe siècle…

Au lendemain de l’Indépendance
Il est né en 1952, à Louis Gentil, rebaptisée Youssoufia après l’indépendance. et se classe quatrième, des six enfants du Khalifa de la ville. Ce dernier est un homme de gauche, comme on en voyait alors souvent dans le Royaume nouvellement indépendant, assumer des responsabilités pareilles. «Un jour, mon père m’avait envoyé acheter du beurre chez l’épicier, étonné d’en recevoir le prix, sonnant et trébuchant que je lui tendais. Mon père m’expliqua alors la réaction du commerçant par la présence d’une brochette de camions, garés devant l’administration, chargés d’huile et de beurre et destinés aux bonnes œuvres. C’est que mon père était incorruptible. Lorsqu’on se plaignait de manquer de quelque chose, il nous rétorquait invariablement : un jour c’est vous qui donnerez des subsides à ceux,abusivement gâtés aujourd’hui. Et il avait raison!»
Le Maroc est alors un pays en pleine transformation, et Rachid compte parmi cette génération de jeunes appelés à reconstruire le pays. «Les français étaient partis d’un coup, laissant un vide. Pourtant, nous ne ressentions pas l’antagonisme entre marocains et colons, à cette époque du moins. Notre père, lui, nous racontait comment cela se passait pendant le Protectorat», confie-t-il, toujours en murmurant d’une voix douce des souvenirs encore présents dans sa mémoire. Timide, il se laisse apprivoiser, et parfois, laisse entrevoir des élans de force qu’on ne soupçonne pas chez cet homme au regard rêveur. L’enfant qu’il a été, ne diffère probablement pas beaucoup, de l’adulte qu’il est devenu. Ses jeux d’enfant étaient de mélanger les restes de médicaments, et de faire des expériences de réactions entre les produits. Il était déjà fasciné par les réactions et les mélanges de solutions. Prémonitoire cette appétence, puisque des années plus tard, son père le destine à la médecine. Ce à quoi il lui répondra «je ne peux pas. Ma vie c’est la chimie et les laboratoires».

Un « bosseur »
Il a dix années, lorsqu’il doit quitter Louis Gentil pour El Jadida. C’est dans cette ville de province où son père était déjà un notable que les enfants seront scolarisés et s’y adopteront. «El Jadida c’est ma ville de coeur. Nos voisins étaient la famille de l’écrivain Driss Chraïbi. Il était plus vieux que nous, mais en vacances, il revenait du Danemark avec une magnifique voiture «Triumph» et une belle femme à son bord. Nous l’adulions, même si nous n’étions pas cousins,» laisse-t-il échapper, en confidence. Ce sont alors les années «baba cool», quand la mode est aux pantalons à «pattes d’éléphants» aux chemises «pelle à tarte» et musiques folk. Rachid s’adonne à la guitare sans pour autant négliger ses études qu’il prend au sérieux. Studieux plus que de raison, ce qui le démarquera toute sa vie. «Nous étions un foyer modeste. Pour le reste de la famille nous étions pauvres. Mais nous étions, et demeurons soudés, plus encore», tient-il, à préciser. Nous sommes en 1968, et Rachid à 16 ans s’envole déjà pour Brest, avec une bourse d’Etat. «Mai 68» est déjà passé par là, et l’ambiance est à la joie de vivre. Après un DEUG en chimie, obtenu dans le port militaire, il quitte Brest pour Toulouse. Il restera dans la ville rose jusqu’à son Doctorat. «La bourse marocaine était réellement consistante. On touchait 300 francs lorsqu’il en fallait moins de 200 pour vivre. La chambre d’étudiant coûtait 25 francs et le repas 40 centimes. D’ailleurs, cela m’a permis de m’offrir une mobylette. Mais nous vivions avec la peur au ventre, à l’idée de risquer de perdre notre bourse. On n’avait pas le droit à l’échec. Sans bourse, c’était un aller simple pour le Maroc, sans rien!» développe-t-il. Mais Rachid est un élève modèle et qui rejoindra le célèbre centre de recherches français, le CNRS.

Débuts dans la vie active
«Mon professeur, Dr Wright, était une lumière. Lorsqu’il rencontrait un étudiant d’une nationalité qu’il ne connaissait pas encore, il faisait fort, dès le lendemain d’être en mesure de lui faire un cours sur l’histoire de son pays», se remémore-t-il, quelque peu enjoué. Au CNRS, Rachid travaille au sein d’une équipe de chercheurs, aux côtés desquels il prépare et obtient son doctorat de chimie en 1981. Le diplôme en poche, Rachid doit prendre le chemin du retour. Le service civil obligatoire est de rigueur, et on l’affecte à l’enseignement. Mais Rachid est un jeune homme doux, et trop sensible, plus familier des salles de laboratoires où l’on manipule des produits chimiques, et moins enclin à donner des cours, devant des élèves dissipés. Il fait alors son entrée dans le monde du travail. et devient président d’une première entreprise fondée par des cousins, PANAF, puis une seconde MATAL. Il développe alors des molécules industrielles, avant de rejoindre son propre frère à Graphi Chimie, dont il détient 50%. Quelques années plus tard, il finit par devenir associé: «je n’avais pas le sou à l’époque. Mais on m’a toujours pris sous son aile. Il s’est trouvé que le Directeur de la Société Générale de l’époque, m’a accordé un prêt sur 10 années, pour racheter mon entreprise. Au bout de deux années j’avais remboursé toutes mes dettes», dévoile-t-il, reconnaissant. Depuis, il s’investit dans l’associatif, dans une culture du «give back», rendre à la communauté un peu de ce qu’elle lui a donné. Toujours et discrètement dans la pénombre, sans se mettre en avant, et tendant la main aux industriels qui se lancent dans le métier. A tel point que son bureau serait un «moulin» où l’on vient le voir sans s’annoncer, sans formalités. Rachid Chraïbi est justement celui qui, au détour d’un problème industriel, fait la découverte qui va révolutionner le recyclage: la molécule SOVOL/J. Un additif à l’industrie de l’emballage qui accroît la solidité du carton. Lorsque nous nous séparons, l’esprit pratique lui échappe un instant, et on a beau être journaliste, on ne comprend jamais Tintin qu’à son contact.

BIO EXPRESS
1952
: naissance à Louis Gentil (Youssoufia)
1968: Bac scientifique à El Jadida Départ pour Brest
1981: Doctorat en Chimie au CNRS de Toulouse
1983: président de PANAF et MATAL
1986: associé à Graphichimie
2015: invention de SASLO/J

 
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