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La bataille du perchoir aura lieu

Karim Ghellab, actuel Président de la Chambre des représentants.

Karim Ghellab a raison quand il dit « il est normal que l’opposition présente son candidat ». C’est le jeu démocratique et on ne comprendrait pas que la présidence du Parlement fasse l’objet d’une candidature unique. L’on se rappelle du comique de la situation, quand feu Ali Yata soutenait Ahmed Osman, « démocrate » selon lui, parce qu’il ne lui coupait pas la parole quand il dépassait le temps imparti.

Mansouri s’étant retiré, la majorité proposera Talbi Alami, le député de Tétouan et ex-ministre. Cet accord fait partie du package qui a été à la base de l’entrée du RNI au gouvernement. Salaheddine Mezouar a usé de cet argument pour convaincre Mansouri de quitter la course en lui promettant des compensations.

Mais il n’est pas sûr du tout que la candidature de Karim Ghellab soit une candidature pour la forme, une candidature de principe. Il a le soutien de tous les partis d’opposition qui ont publié un communiqué commun signé par leurs secrétaires généraux. Arithmétiquement, cela ne devrait pas suffire… sauf que potentiellement, il peut ratisser plus large.

De l’avis de tous les parlementaires, il a été un bon président. Il a secoué le mammouth et mis en branle une démarche modernisatrice de l’institution parlementaire. Il a défendu les prérogatives face à l’exécutif même quand le parti de l’Istiqlal était aux affaires. Ce bilan lui est reconnu par tous les groupes parlementaires. 

L’homme a aussi beaucoup de tact et un véritable sens politique, alors qu’il a débuté comme un technocrate puisqu’il n’a rejoint l’Istiqlal qu’une fois ministre. Le pari est osé, mais pas insensé.

Talbi Alami, le député de Tétouan (RNI) et ex-ministre.

Il s’agit d’un scrutin à bulletins secrets. Au sein même du groupe RNI, rien n’assure la discipline des amis de Mansouri, malgré le retrait de celui-ci. Ils n’ont eu aucun portefeuille ministériel alors que le RNI en a huit. Ils comptaient pouvoir se refaire via la présidence du parlement, c’est raté. On peut spéculer sur le désir de revanche, le vote contestataire. Il n’est pas sûr non plus que tous les députés du PJD soient au rendez-vous.

Une bataille sérieuse

Si ce scénario devait se réaliser, cela constituerait un véritable séisme politique. La présidence du Parlement, la troisième position dans la hiérarchie de l’Etat irait à l’opposition. Ce cas est rarissime en démocratie. Seule l’Italie ingouvernable, sans majorité claire, a connu ce cas de figure dans les années 80. Karim Ghellab n’est pas de cet avis et cite, fort à propos des exemples. Les USA, le Quebec et le Paraguay. Dans ces trois Parlements, la présidence revient à l’opposition, sauf que l’on peut rétorquer que c’est parce que les élections législatives ont eu lieu après les présidentielles aux USA et au Paraguay et que l’opposition est en fait majoritaire dans les Chambres qu’elle préside. Au Mexique, c’est vrai, c’est la constitution elle-même qui interdit au parti qui dirige le gouvernement d’assurer la présidence du Parlement.

Mais l’argument choc de Ghellab, c’est d’abord son bilan. Il fait campagne sur la base d’un document retraçant les activités de la première Chambre à mi-chemin de la législature, en insistant sur le fait qu’il a assuré sa fonction en étant le président de tous, et non pas le représentant d’un clan. Il veut aussi donner une dimension « politique forte » à ce scrutin. Il insiste en outre sur le plan stratégique adopté par tous les élus et qui est à mi-chemin. Il considère qu’il a encore une mission à terminer. Il a le soutien des quatre partis de l’opposition qui ont tenu à signaler « devant le bilan très honorable de la gestion… qui a donné un nouveau souffle à l’action parlementaire et dont opposition et majorité ne peuvent que  se féliciter… nous soutenons la candidature de Karim Ghellab». La logique arithmétique n’est pas automatique. Les partis de l’opposition cherchent à la dépasser.

On peut donc s’attendre à ce que les partis de la majorité mobilisent leurs élus pour éviter la mauvaise surprise. C’est d’autant plus important que Benkirane doit s’adresser à l’Assemblée pour présenter le nouveau contrat de la majorité. 

Cette présentation ne sera suivie d’aucun vote, mais elle est importante, parce que les priorités ont changé par rapport au programme de Benkirane I, et que le RNI a mis un point d’honneur à marquer de son empreinte ce contrat, pour éviter l’image d’un parti qui ne s’intéresse qu’aux maroquins.

Dans ce contexte, l’image d’une majorité fissurée, qui perd le perchoir serait désastreuse. On comprend aisément que ses chefs font leur possible pour éviter toute mauvaise surprise.

Mais par ailleurs, l’opposition sait que si elle remporte cette bataille, elle crée un nouvel équilibre politique dans le paysage, en renforçant son rôle. Les tractations vont bon train, non pas entre les partis, mais pour débaucher quelques voix ici ou là.

Karim Ghellab l’a dit lors de la conférence de presse, il défendra ses chances jusqu’au bout. En vieux briscard de la politique, on peut compter sur Talbi Alami pour en faire de même. C’est une bataille politique importante, où les jeux sont plus ouverts que prévu. Notons juste que les deux hommes la mènent de manière très digne, et qu’il n’y a eu aucun dérapage verbal. C’est tellement rare qu’il faut saluer cette éthique. 

 
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