Spécial Fête du Trône

La couverture médicale : une injustice levée

Avoir une carte de mutuelle n’était qu’un rêve pour la grande majorité des marocains. Aller à hôpital public était une aventure dont l’issue heureuse dépendait de la «bienveillance  du moqqadam  qui délivre  le certificat  d’indigence » aux nécessiteux pour pouvoir franchir les portes des services et des chambres afin de recevoir un traitement. Ajoutée à la faible capacité de nos établissements sanitaires à faire face à la maladie, la couverture médicale n’était à la portée que d’environ 30 % des marocains. Au début du règne de Mohammed VI, le pays était ainsi et le secteur de la couverture médicale était parmi les plus faibles par rapport aux pays similaires au nôtre. En quinze ans de règne, cette  couverture a connu une évolution notable avec l’élargissement de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) et la mise en place d’un nouveau régime appelé RAMED. Ces deux systèmes s’adressent à deux catégories d’assurés. l’AMO couvre tous les fonctionnaires, travailleurs du secteur privé ou du semi-public qui sont affiliés à un régime de couverture médicale (CNSS,CNOPS et mutuelles) alors que le RAMED a connu récemment un démarrage effectif avec la remise de cartes à des centaines de milliers de familles répondant à des critères  de pauvreté ou de précarité et n’ayant aucun revenu qui peut leur permettre d’accéder par leurs propres moyens à des soins appropriés. 

L’apport constitutionnel  à la couverture médicale :

La mise en place de ce système est devenue une priorité après l’adoption de la constitution de 2011. Son article 31 élève le droit à la santé au rang des priorités qui méritent d’être inscrites dans la loi suprême. L’objectif est l’accès des citoyens aux soins de santé et à la protection sociale. Les acteurs appelés à jouer un rôle primordial dans la réalisation de ces objectifs sont désignés dans l’article précité :

« L’État, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits :

• Aux soins de santé,

• A la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’État » . 

SM le Roi Mohammed VI lançant la campagne nationale du don de sang.

Malgré les difficultés qui ont accompagné cette mise en place, le RAMED fait partie des éléments principaux de notre paysage social. SM le Roi a été clair dans le message qu’il a envoyé à la deuxième conférence sur la santé qui a eu lieu en 2013. Il a exprimé sa  «ferme volonté personnelle d’assurer la mise en œuvre optimale du RAMED, en lui permettant de surmonter tous les obstacles, et en veillant à le développer et à en simplifier les procédures, de sorte à garantir un large accès des catégories défavorisées parmi nos citoyens à ce régime», incitant à «garder à l’esprit la nécessité d’intégrer la dimension sanitaire dans les différentes politiques publiques, en alliant efficience et transversalité. Cela devrait se faire dans le cadre d’une nouvelle approche territoriale, se fondant sur le renforcement de la politique de proximité, et s’inscrivant au cœur de la réforme institutionnelle profonde de la régionalisation avancée». 

Les observateurs ont qualifié cette initiative d’une première au Maghreb et qu’elle ouvre une nouvelle ère pour le secteur de la santé marocain. Des millions de marocains sont ainsi intégrés dans la couverture médicale. Des efforts sont encore nécessaires pour rendre nos structures d’accueil plus performantes dans le traitement des malades et pour rapprocher davantage l’hôpital des malades. Le monde rural  demeure grandement dans le besoin en matière des soins de base. Si le problème lié aux structures et même aux médicaments  peut trouver des solutions moyennant des investissements, l’encadrement du secteur médical par des médecins généralistes et spécialistes et par des infirmiers appelle une mobilisation grande et soutenue pour arriver à des ratios normaux d’encadrement. 

Rappel des données sur l’état actuel de la couverture médicale.

Au mois de mars 2014, nous avons consacré un dossier au secteur de la santé et nous estimons qu’il est utile de rappeler les principaux acquis dans le domaine de la couverture médicale tels qu’ils ressortent de l’interview que nous avons effectuée avec M. jilali Hazem, directeur général de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM). Les réponses qu’il nous a apportées sur l’AMO et le RAMED et sur l’ANAM  peuvent être résumées comme suit :  

>> 17,5 millions de bénéficiaires 

« Je peux dire que le bilan est relativement positif. Le Maroc, grâce à l’AMO, le RAMED et les régimes transitoires a pu élargir la couverture du risque maladie pour atteindre aujourd’hui 17,5 millions de bénéficiaires, soit 53% de la population marocaine. L’AMO des actifs salariés et des titulaires de pensions couvre aujourd’hui 34% de la population et le RAMED bénéficie déjà à 6,5 millions de personnes.

Par ailleurs, il faut noter que l’impact de l’AMO sur la santé des assurés est important, en raison de la garantie d’une prise en charge des maladies lourdes et coûteuses avec des niveaux de couverture qui ont été sensiblement améliorés. On peut retenir aussi que grâce à l’AMO, il y a un plus large accès aux médicaments puisque la liste de remboursement compte aujourd’hui 3.212 médicaments au lieu de 1000 au démarrage, soit 66% de ce qui est commercialisé sur le marché marocain.

Sur le plan financier, on peut dire que la couverture du risque maladie contribue à hauteur de 20%, soit 9 milliards de dirhams, à l’économie de la santé qui est estimée globalement à 57 milliards de dirhams.  

>> Les ménages supportent le gros de la facture médicale

Dans le paysage de la couverture maladie, l’ANAM a certaines réalisations à son actif mais par rapport à sa raison d’être, c’est-à-dire la régulation, l’institution a modestement joué son rôle de régulateur. Pour prendre un exemple : elle n’a pas été en mesure de renouveler les conventions tarifaires de 2006, alors que cela devait être fait au bout de trois années. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les conventions tarifaires ne sont pas appliquées au niveau du secteur privé en particulier. Résultat, c’est le patient qui en subit les conséquences puisqu’il paye le prix du marché qui est très loin de ce qui est remboursé. Il y a, en fait un différentiel supporté directement par les ménages et qui est, malheureusement, en augmentation. 

L’ANAM, qui devait protéger les assurés soit en renouvelant les conventions, soit en les faisant respecter, soit en se donnant les moyens et les pouvoirs pour sanctionner, n’a pas joué pleinement son rôle. 

Ma vision est de repositionner l’ANAM de manière stratégique pour qu’elle puisse contribuer à l’atteinte de l’objectif de la couverture sanitaire universelle (CSU) au Maroc. 

Pour ce faire, une  nouvelle feuille de route pour les cinq prochaines années a été adoptée. Sa mise en œuvre induira une révision de l’organisation, un renforcement des actions et des moyens en s’appuyant sur des  budgets programme de trois ans et des indicateurs de performance. 

Nous souhaitons tout d’abord donner plus de moyens et d’efforts pour améliorer la régulation de l’AMO. Donc, l’ANAM doit se donner les moyens pour accompagner les réformes de santé. Nous devons apporter notre contribution pour intensifier les actions de prévention, être fortement impliqués dans tout ce qui concerne le management des hôpitaux et des cliniques privées pour les aider à mettre en place des outils comme les systèmes d’information, la formation du personnel, ou même la promotion des génériques.

>> Le risque de déficit dans les caisses de prévoyance est réel

L’harmonisation et la convergence des régimes de l’AMO en cours et ceux à créer est un chantier important qu’il faut attaquer. Quand on fractionne, le jeu de la solidarité n’est plus assuré. Aujourd’hui, la CNSS et la CNOPS sont en train de payer près de 51% de toute la dépense pour les maladies chroniques. Si on continue sur cette tendance, l’AMO risquerait d’être touché par le déficit dans les 10 prochaines années. Nous devons rester, quelles que soient les catégories sociales à couvrir sur deux pôles : un pôle pour le privé et un autre pour tout le public y compris les entreprises et établissements publics et les collectivités territoriales.

Un autre chantier important est sans aucun doute d’accélérer, en concertation avec les autres intervenants, l’extension de la couverture médicale de base aux autres catégories, telles que les indépendants et les professions libérales, les étudiants et les parents. 

Aussi, l’ANAM doit-elle attaquer le renouvellement des conventions tarifaires qui datent de 2006 alors qu’elles devaient être revues tous les trois ans pour que, à la fois les tarifs utilisés dans les remboursements ou les prises en charge et les outils de maitrise des dépenses soient opposables aux caisses et prestataires de soins.    

Enfin, les chantiers de gouvernance et de l’arsenal juridiques sont aussi d’une extrême importance. La bonne gouvernance de l’AMO et du RAMED implique un bon système de gestion et d’information unifié. En effet, les compétences de l’ANAM en matière de normalisation la responsabilisent sur le devant de la question pour mettre en réseau les acteurs (cliniques, hôpitaux, pharmacies, personnels de santé, CNOPS, CNSS, les assurés…) de la couverture médicale de base en s’appuyant sur la dématérialisation des actes et des flux. »

« Deux ans après la généralisation du RAMED, L’ANAM a pu immatriculer et produire les cartes RAMED à 6,5 millions de bénéficiaires, soit 75% de la population ciblée au départ, ce qui est en soi une bonne réalisation.  Cette population bénéficie de soins dans les hôpitaux publics, sachant que les soins et actions de prévention dispensés dans les établissements de soins de santé de base sont gratuits pour tout le monde.  

>> Les difficultés du RAMED se trouvent dans son financement

Mais beaucoup de difficultés persistent. Il y a le manque de communication qui a accompagné le lancement du RAMED aussi bien auprès de la population qu’auprès des acteurs de ce système qui sont multiples.

Une autre contrainte de taille, est le financement. Ce dernier a été évalué en 2007 à 3 milliards de dirhams. Certes, le Ministère de la Santé est en train de recevoir directement dans son budget certains fonds pour financer les hôpitaux, mais ce n’est pas suffisant par rapport aux besoins qui s’accroissent. Il faut faire en sorte que ce financement puisse être centralisé quelque part, avoir un impact sur la santé des bénéficiaires et que sa gestion puisse obéir aux règles et modalités de conventionnement et de maitrise de dépenses, surtout que le Gouvernement actuel a dans son bilan l’action de clarification de l’origine du financement du RAMED en instaurant le fonds d’appui à la cohésion sociale qui doit constituer une source de financement sécurisé du RAMED. 

Donc, les  réalisations sont importantes mais beaucoup de travail reste à faire pour que le RAMED puisse être géré selon les modalités de l’assurance sociale. Il faut lever les contraintes structurelles et rattraper le retard accusé en la matière durant les années passées. Et pour commencer, il faut s’attaquer au volet juridique afin de corriger les incohérences existantes au niveau des textes juridiques et réglementaires. Légalement, l’ANAM est gestionnaire de toutes les ressources affectées au RAMED. Or, jusqu’à ce jour, l’Agence ne reçoit que les contributions de la population dite vulnérable qu’elle n’arrive pas à verser au Ministère de la Santé pour des contraintes réglementaires. Quant aux contributions des collectivités territoriales, elles ne sont pas toutes versées au ministère de la Santé pour les mêmes considérations. L’enjeu financier est de plus de 300 millions de dirhams qui ne profitent pas aux hôpitaux qui en ont vraiment besoin. 

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’administration du RAMED, réuni le 22 janvier dernier, a pris une résolution qui va être soumise au Chef du Gouvernement pour rétablir la légalité en vue de permettre à l’ANAM d’assurer sa compétence en matière de gestion du financement de ce régime, mais uniquement pendant une période transitoire qui ne doit pas dépasser deux ans, le temps de créer un organisme indépendant du ministère de la Santé et sous le contrôle de l’Agence. Cette dernière pourrait alors se consacrer sur la régulation de tout le système, y compris le RAMED.

Pour dépasser ces obstacles, la proposition faite par l’ANAM consiste à créer un organisme gestionnaire du RAMED dans deux ans à charge pour l’ANAM d’assurer ce rôle et qui est pour le moment tout à fait conforme à la loi mais nécessite juste d’adapter à la loi son décret d’application. Il est à rappeler à l’occasion que cette proposition s’inspire de la recommandation faite par le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport relatif aux soins de santé de base. 

Aussi, d’autres mesurent sont-elles prises pour anticiper cette gestion. Il s’agit de la création d’un organigramme dédié au RAMED, du renforcement des effectifs des cadres et surtout la refonte du système de gestion et d’information du régime. 

 
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