Entreprises & Marchés

La faillite tourne à l’imbroglio juridico-financier

Affaire Samanah Country Club. Suite à la procédure de redressement judiciaire entamée au Maroc, Samanah Country Club qui aurait dû être l’un des plus beaux projets touristiques de Marrakech avec un investissement projeté de 240 millions d’euros, est en train de
se transformer en un scandale juridico-financier. par Adama Sylla

Après le déclenchement de sa mise en redressement judiciaire, le 4 février 2014, par le tribunal de commerce de Marrakech suite à son dépôt de bilan survenu un mois auparavant, Samanah Country Club, du moins la société Marprom S.A., ne sort toujours pas la tête hors de l’eau. En effet, le litige qui oppose les anciens propriétaires de Samanah Country Club, les Français Alain Crenn et Richard Hennessy, aux nouveaux repreneurs du projet de resort golfique dont le chantier est loin d’être terminé, Gaël Paclot et Daniel Boisson, tourne à l’imbroglio juridico-financier. Le différend fait l’objet d’un nouveau rebondissement.
Le tribunal de commerce de Nanterre et le tribunal de grande instance de Paris ont ordonné en fin mars dernier la saisie en France de certains des biens des anciens propriétaires de Samanah Country Club. Ainsi, Alain Crenn perd le contrôle de ses actions dans la société Alain Crenn Finance, tandis que la justice a saisi les parts de Richard Hennessy dans plusieurs sociétés de droit français et sur ses comptes en banque, entre autres. Il faut dire que les montants en jeu sont énormes, le passif de Marprom, société de droit marocain créée pour réaliser le projet Samanah, étant évalué à plus de 250 millions d’euros.
Cette action judiciaire fait suite à la plainte déposée par les nouveaux repreneurs du projet à Paris contre Alain Crenn, Richard Hennessy et Gilles Hennessy pour « escroquerie», «faux et usage de faux», «présentation de comptes non fidèles», «abus de biens sociaux » et « confirmation d’informations mensongères », après celle de Marrakech qui a vu le tribunal de commerce de la ville conclure en février 2014 que le Samanah Country Club était en état réel de cessation des paiements dès le 1er décembre 2008, soit près de six ans avant qu’il ne mette officiellement la clé sous la porte. Mais, les anciens propriétaires ne sont pas restés les bras croisés. Ils ont contre-attaqué devant le juge de l’exécution de Paris à travers le cabinet d’avocats Veil Jourde. Résultat des courses : le tribunal de grande instance de Paris vient de donner raison aux avocats de Richard Hennessy en ordonnant la levée de la saisie conservatoire qui avait été pratiquée deux mois plus tôt sur les biens de ce dernier. En fait, c’est une double plainte que les nouveaux repreneurs avaient déposée à Marrakech et Paris. L’enquête entamée par le Parquet de Paris en août 2013 avait été ralentie par le coup de froid diplomatique entre le Maroc et la France, qui avait conduit à la suspension des accords de coopération judiciaire entre Rabat et Paris.
Il faut souligner que dans cette affaire Samanah Country Club, anciens propriétaires et nouveaux repreneurs se renvoient la responsabilité des déboires de ce qui aurait dû être l’un des plus beaux projets touristiques de Marrakech. Comment en est-on arrivé là ?

Chronologie des faits

Tout a commencé le 7 janvier 2006. Le groupe français Alain Crenn, spécialisé dans la promotion immobilière, dirigé par Richard Hennessy et dont le conseil d’administration est présidé par Alain Crenn, signe avec le gouvernement marocain une convention d’investissement de plus de 240 millions d’euros.
Cet investissement devait permettre la réalisation sur trois ans d’un complexe touristique de très grand standing à Marrakech. Baptisé « Samanah Country Club», ce projet de 285 hectares de superficie, devait voir sortir de terre un Golf de 18 trous de classe internationale, trois hôtels cinq étoiles de 540 chambres, 144 appartements de grand luxe, 410 villas, de nombreuses piscines, un centre de séminaires, un kid’s club et une grande place d’animation touristique et à la clé, engendrer la création de 1 500 emplois directs. La même année, ces propriétaires créent la société de droit marocain Marprom, gestionnaire de ce méga projet touristique situé dans la petite commune de Tamesloht, à 14 kilomètres au sud de Marrakech. Le projet a démarré six mois plus tard avec un apport en fonds propres et une levée de fonds auprès des banques marocaines, dont le principal créancier est la Banque populaire.
En novembre 2009, soit trois ans après son lancement officiel, Samanah inaugure son golf 18 trous et son club house, couvrant 100 des 300 ha du domaine, soit un retard de près d’une année par rapport à la date initiale de livraison de la première phase.
A cette période, 160 sur les 168 villas de cette tranche (commercialisées entre 1,3 et 2 millions d’euros l’unité) avaient trouvé preneur. Plus de 52 % des investisseurs étaient Marocains. Les premiers locataires étaient attendus au courant de 2010. Il n’empêche que cette année-là, les promoteurs du projet vont procéder à une opération de réduction de capital de plus de 92 millions de DH. Crise immobilière oblige ou pas, les prix affichés à l’époque dans la cité ocre avaient chuté de 20 à 30 %. Quoi qu’il en soit, deux ans plus tard, le groupe français, après avoir donc réalisé le parcours de golf et une partie des villas, cherche un repreneur pour une partie du projet, voire le tout. Pendant, ce temps, la partie hôtelière, elle, est toujours en suspens. En effet, le premier établissement hôtelier dont la gestion a été confiée au célèbre hôtelier britannique Campbell Gray Hotels, a vu son chantier s’arrêter depuis octobre 2008. La principale raison avancée à l’époque par Alain Grenn lors d’une interview accordée à Challenge (N°254 du 10 octobre 2009) était que «les partenaires indiens, qui détiennent 66 % du tour de table, ont été durement touchés par la crise et souhaitent se retirer ».
Idem pour le groupe français et la holding Leading Hotels of the World, gestionnaire du prestigieux Wan Aldwych Hotel à Londres, qui avait également conclu en septembre 2006, une convention de coentreprise avec la société Marprom.
En tout cas, Alain Crenn et Richard Hennessy, vont finir par céder  le complexe Samanah Country Club à Gaël Paclot et Daniel Boisson, le 18 mai 2011. Ce jour-là, les repreneurs auraient versé 10 millions d’euros pour relancer le chantier. Mais quelques mois plus tard, ils intentent une double action judiciaire à Marrakech et Paris à l’encontre des propriétaires du Complexe. Selon eux, la situation qu’on leur a présentée ne correspond pas à la réalité : « non seulement, les dettes de Marprom étaient largement supérieures au montant indiqué mais les comptes, au moment de la cession étaient, entachés d’inexactitudes ».
Nous avons alors contacté KPMG France qui est également concerné par l’enquête en cours dans l’Hexagone, qui cherche à savoir si le cabinet d’audit aurait les comptes présentés en 2011 aux plaignants. «Votre demande se place dans le cadre d’une mission de commissariat aux comptes de KPMG. Nous sommes donc tenus au secret professionnel et ne pouvons vous apporter de commentaire sur ce sujet», a répondu Marion, Responsable Relations Presse chez KPMG France. Même son de cloche auprès du cabinet de Me Hamid Andaloussi, qui défend au Maroc dans cette affaire, les intérêts d’Alain Crenn et Richard Hennessy mais aussi de la Banque populaire, principal créancier de la société Maprom. « Le dossier est en cours à Paris. Nous ne sommes pas en mesure de se prononcer dessus pour l’instant. Attendons qu’il soit d’ordre public», lance Me Mehdi Andaloussi du Cabinet Hamid Andaloussi. C’est dire que l’affaire Samanah Country Club n’est qu’à ses débuts et qu’elle est encore loin de son dénouement.

 
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