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La magistrature se libère de la tutelle du ministère de la Justice

Le projet de la Loi organique relative au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) qui vient d’être approuvé par le gouvernement est un pan important de la réforme de la justice, puisqu’il est censé mettre en place le socle devant supporter tout l’édifice de la justice. Il intervient en application des dispositions de la nouvelle Constitution et s’inspire profondément des recommandations de la Haute Instance du Dialogue National sur la Réforme du Système Judiciaire. par CHENTOUF ABDEL HAFID

Il est universellement admis que le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire ne font pas bon ménage. Les politiciens ont souvent tendance à instrumentaliser la justice afin d’en faire un vrai épouvantail. Le Maroc ne fait pas exception à cette règle ; la justice était toujours placée sous la coupe du pouvoir politique. La Haute Instance du Dialogue National sur la Réforme du Système Judiciaire l’a bien souligné dans son diagnostic de la situation actuelle du système judiciaire. Son constat est sans appel : « la Justice est empreinte du fait que le Pouvoir exécutif est doté, à l’égard de la Justice, de prérogatives incompatibles avec les exigences de l’établissement d’un pouvoir judiciaire indépendant…. Vient en tête, la subordination du ministère public et de l’inspection judiciaire au ministère de la Justice qui supervise également la gestion de la carrière professionnelle des magistrats». 

C’est dans ce cadre que le gouvernement à élaboré ce projet de Loi organique dont le fil conducteur est de faire du CSPJ l’organe central du système judiciaire marocain. Pour y arriver et en conformité avec l’esprit de la constitution qui consacre l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif, le projet de loi prévoit l’émancipation du Conseil de la magistrature de la tutelle du ministère de la Justice. L’article 3 du projet dispose que le « Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire exerce sa fonction d’une manière indépendante. L’Etat met à sa disposition les moyens matériels et humains nécessaires». Le cordon ombilical qui a toujours lié le Conseil de la magistrature au ministère de la Justice se trouve ainsi coupé. Comment donc ce projet de loi organise-t-il l’indépendance du Conseil de la magistrature ?  

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) est doté de l’autonomie administrative et financière

En conformité avec l’article 116 de la Constitution, le projet de Loi organique précise que le CSPJ est doté de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière. Pour le faire sortir complètement de l’enceinte du ministère de la Justice, il est prévu que le Conseil « dispose d’un siège qui lui est propre ». Son fonctionnement est assuré par des ressources humaines propres régies par un statut spécial. Le Conseil est doté d’un Secrétariat Général et d’une Inspection Générale des Affaires Judiciaires. Le contrôle des magistrats relèvera dorénavant du CSPJ et non pas du ministère de la Justice comme c’est le cas actuellement.

Sur le plan financier, Le CSPJ est totalement indépendant du ministère de la Justice. L’article 59 du projet de Loi organique précise que le Conseil « dispose d’un budget qui lui est propre » et que les dotations qui lui sont affectées figurent dans le budget général de l’Etat sous un chapitre intitulé « Budget du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire ». 

La gestion de la carrière des magistrats : domaine réservé au CSPJ

En conformité avec la Constitution et dans le souci de sauvegarder l’indépendance des magistrats, le projet de loi fait de la gestion de leur carrière une chasse gardée du CSPJ. Ce dernier est chargé de veiller, aux termes de l’article 113 de la loi fondamentale, « à l’application des garanties accordées aux magistrats, notamment quant à leur indépendance, leur nomination, leur avancement, leur mise à la retraite et leur discipline ».Etant précisé que la gestion de la carrière des magistrats n’est pas laissée à la libre appréciation du CSPJ ; au contraire, le projet de loi fixe en détail les critères et les règles devant être appliqués et respectés par le Conseil dans ses prises de décisions concernant la carrière des magistrats ( nomination, promotion, sanction etc). Les décisions individuelles du Conseil doivent être obligatoirement motivées et sont passibles de recours pour excès de pouvoir devant la Chambre Administrative de la Cour de Cassation.

En matière de nomination aux postes de responsabilité, le Conseil se voit octroyer des pouvoirs importants ; c’est lui qui nomme en vertu de l’article 64 du projet de loi les magistrats et détermine leur poste de responsabilité. Il nomme aussi les responsables des Cours d’Appel et des Juridictions de premier degré. Les nominations sont approuvées par le Roi en vertu de l’article 57 de la Constitution et se font, comme il a été déjà souligné en respectant des critères bien précis. Ceci aura certainement un effet très bénéfique sur l’ensemble du corps de la magistrature du fait que les promotions et les nominations aux postes de responsabilité ne peuvent intervenir que sur la base de règles préalablement arrêtées. Parmi les critères fixés par le projet de la Loi organique, on peut citer : l’ancienneté dans le poste, la qualité des décisions judiciaires prononcées, la capacité d’organisation, la bonne gestion des affaires, le niveau de maîtrise des nouvelles technologies de l’information, le comportement professionnel, le respect des valeurs de la justice, la compétence scientifique et intellectuelle.           

Le patrimoine des juges sous surveillance

Dans le domaine disciplinaire, le magistrat bénéficie d’une protection renforcée; une mesure disciplinaire ne peut être prise qu’après enquête et investigation. En contrepartie de la garantie de l’indépendance du juge et de la protection de ses droits, ce dernier est tenu d’observer certaines valeurs en termes de rigueur, de professionnalisme et de moralité. Dans ce cadre, le Conseil est chargé d’élaborer un «code d’éthique judiciaire» comportant les principes, valeurs et règles devant être respectés par les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. Un « Comité d’éthique judiciaire » sera aussi institué à l’effet de suivre et de contrôler l’application dudit code. D’un autre côté, le juge est tenu de saisir le Conseil chaque fois qu’il estime que son indépendance est menacée. Dans ce cas, le Conseil prend, après investigation, les mesures qu’il juge opportunes et peut le cas échéant, saisir le ministère public quand il estime que le cas présente un caractère criminel. Par ailleurs, le Président Délégué du Conseil est chargé de suivre le patrimoine des magistrats et chaque fois qu’il le juge nécessaire, ordonne une enquête pour évaluer le patrimoine du juge en question. Tout juge dont le patrimoine a connu une évolution non justifiée pendant l’exercice de ses fonctions est passible de sanctions disciplinaires.

Ce projet de texte constitue une réelle avancée sur la voie de la construction d’un système judiciaire indépendant au Maroc. Etant noté que sa portée réelle reste conditionnée par un autre texte auquel il est fortement lié à savoir, le statut des magistrats qui fera l’objet d’une autre Loi organique. 

 
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