Interview

«La marque «Maroc» est de plus en plus sollicitée en Afrique»

L’ouvrage collectif de l’Institut Amadeus, «Le Maroc en Afrique : la Voie Royale», met en relief la Vision Royale relative au Partenariat entre le Royaume et les différents pays africains. Brahim Fassi Fihri décortique ce nouvel opus de son think tank. Interview réalisée par  Adama Sylla

Challenge : Vous avez remis au Souverain un nouvel ouvrage réalisé par l’Institut Amadeus « Le Maroc en Afrique : La Voie Royale ». Quel est l’objectif de cette publication ?
Brahim Fassi Fihri : « Le Maroc en Afrique : La Voie Royale », que j’ai eu le privilège et l’immense honneur de remettre personnellement à SM le Roi Mohammed VI, lors de la Fête de la Jeunesse, est une mise à jour du premier opus « Le Maroc et l’Afrique : Pour une mobilisation nationale d’envergure », publié en juillet 2014. Cette mise à jour est justifiée par les permanentes mutations structurelles africaines, ainsi que par l’évolution récente du partenariat Maroc-Afrique, suite notamment, à la dernière Tournée Royale africaine, de mai et juin 2015. Cette publication a plusieurs objectifs. Elle cartographie la présence marocaine sur le continent. Ensuite, elle tente de mettre en perspective la Vision Royale africaine, avec, d’une part, les stratégies des entreprises marocaines présentes en Afrique, et d’autre part, avec les paramètres macro-économiques, socio-économiques et géostratégiques du continent. Elle propose, enfin, aux différents acteurs et intervenants de la relation Maroc-Afrique, des recommandations visant à pérenniser et à élargir la présence marocaine sur le continent.

L’ouvrage présente un benchmark des stratégies africaines des 28 principaux pays disposant d’une «politique africaine». Quelles sont les forces et les faiblesses de l’approche marocaine?

Effectivement, l’un des intérêts de cet ouvrage est de présenter un benchmark des stratégies africaines de nombreux pays, pour démontrer le caractère exceptionnel de la Vision Africaine du Royaume. Porté par SM le Roi Mohammed VI, le Partenariat proposé par le Maroc est multidimensionnel, où l’Humain est au centre de toutes les initiatives. Le Royaume apporte à ses partenaires africains une réelle valeur ajoutée dans son expertise en termes de développement humain. Sous l’impulsion du Souverain, le Maroc propose à ses partenaires de reproduire les schémas et les expériences mis en œuvre dans le Royaume ces 15 dernières années, en matière de développement humain intégré. Le Partenariat Maroc-Afrique a été également  renforcé par des actions concrètes de solidarité, telles que l’annulation de la dette des pays les moins avancés du continent, l’accueil des étudiants et des cadres africains dans les universités et les formations au Maroc, la régularisation des subsahariens en situation irrégulière au Maroc, le financement de projets à caractères socio-économiques, ou encore la formation d’imams et de morchidates à travers la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains. Le modèle marocain fonctionne bien et est accepté par les populations locales car nous sommes membres, avec ces nations, d’une même communauté culturelle, cultuelle et linguistique. Il n’existe pas de rapports de force, et la coopération Sud-Sud prônée par le Royaume s’inscrit dans un schéma gagnant-gagnant crédible de co-émergence. Par ailleurs, la multiplication des Tournées et Visites Royales en Afrique, a permis d’institutionnaliser les déplacements récurrents de SM le Roi Mohammed VI sur le continent, qui permettent d’impulser et de suivre l’évolution et le développement des projets lancés et des accords signés. Les africains sont plutôt habitués à voir des chefs d’Etats occidentaux faire des «Touch and Go» alors que le Souverain multiplie les Visites de longues durées. Aujourd’hui, il est indéniable que la marque « Maroc », forte de l’impact de la Vision Royale sur les populations africaines, est de plus en plus sollicitée par les responsables politiques et les opérateurs économiques du continent. Cependant, la marge de progression du Maroc pour occuper une place de référence sur le continent reste importante. Certaines barrières doivent encore être levées pour libérer pleinement le potentiel du partenariat économique Maroc-Afrique. A titre d’exemple, si sur la période 2008-2014, chaque année, ce sont environ 2 milliards de DH qui ont été investis en Afrique subsaharienne, l’Afrique ne représente qu’une faible part des échanges commerciaux du Royaume. Avec 4 milliards USD d’échanges commerciaux de marchandises en 2013, le Maroc est le 45ème partenaire commercial de l’Afrique, derrière l’Algérie (41ème) et la Tunisie (38ème).

«Le Maroc en Afrique : la Voie Royale» met également le doigt sur les stratégies de développement des grands groupes marocains en Afrique. Quel est l’état des lieux ?

La majorité des grands groupes marocains se sont implantés, pendant les 10 dernières années, dans plusieurs pays d’Afrique Subsaharienne, majoritairement en Afrique de l’Ouest et Centrale, selon une politique de « champions nationaux » et ont développé des stratégies de développement diversifiées, et ce, sous différentes formes de partenariats (prise de participations, création de filiale, apport d’expertise, représentation). Cette africanisation des grands groupes marocains touche les secteurs d’activités clés de l’économie marocaine (banques, assurances, télécoms, BTP et Immobilier, TIC et média, mines, pharmaceutique, transport aérien), mais ce sont les secteurs bancaires, assurances et télécoms qui ont exploré en premier les opportunités de développement et de coopération économique en Afrique et qui possèdent aujourd’hui la présence la plus significative sur le continent. Ces grandes institutions sont d’ailleurs, de plus en plus considérées comme étant des structures panafricaines.
Le secteur privé, largement encouragé par les pouvoirs publics, et qui participe, depuis la Tournée Royale africaine de 2014, aux déplacements Royaux sur le continent, doit s’impliquer davantage dans l’investissement en Afrique, pour pérenniser la présence du Maroc et la rendre non dépendante des aléas politiques. L’enjeu principal pour le secteur privé est de continuer à démontrer que la stratégie du Royaume est construite sur l’investissement, donc le co-développement et la co-émergence, plutôt que sur le simple commerce de biens ou de services.  Il est donc essentiel pour les entreprises marocaines présentes en Afrique, d’accompagner la Vision Royale tout en évitant de poursuivre des actions « au coup par coup » ne répondant à aucune coordination. Cette stratégie doit pouvoir accompagner la Vision existante en orientant le concept fondateur de coopération Sud- Sud vers l’instauration d’un partenariat économique « gagnant-gagnant », rompant avec la logique exclusive de profitabilité au détriment des populations locales.
A cet effet, l’ouvrage de l’Institut Amadeus permet aux acteurs de la stratégie africaine du Royaume de prendre conscience de l’évolution constante et permanente des réalités africaines, afin de les aider au mieux, à définir leurs politiques d’investissements en Afrique.

Peu de PME marocaines sont parties à la conquête des marchés africains. Y-a-t-il aujourd’hui une place pour les PME/PMI ?

Plus que jamais ! Les nombreuses «succes story» des «champions nationaux» en Afrique appellent les PME/PMI à se tourner davantage vers le continent. Il faut noter d’ailleurs avec satisfaction, que de nombreuses PME développent des activités et s’installent au Gabon en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Il existe, aujourd’hui, pour celles-ci, à travers la CGEM, Maroc Export ou la multiplication des Fora économiques Maroc-Afrique, de réelles plateformes leur permettant de développer du Business sur le continent. Le réflexe qu’ont de plus en plus les entrepreneurs marocains, tous domaines confondus, à vouloir se tourner vers le Sud est très perceptible, d’où l’importance de les intégrer à la Vision africaine du Royaume.

L’ouvrage préconise un certain nombre de recommandations. Quelles en sont les principales ?

L’ouvrage préconise en effet 18 recommandations largement développées. Si je dois en retenir une, c’est sans doute celle qui est transversale et qu’on retrouve en filigrane dans chacune des recommandations.  Les promoteurs de la Vision marocaine en Afrique devraient prendre conscience, aujourd’hui – au-delà de l’essentielle consolidation de nos acquis dans les pays partenaires et frères d’Afrique de l’Ouest et Centrale – de l’importance pour le Royaume d’aller au-delà de cette zone «de confort». A titre d’illustration, l’UEMOA et la CEMAC, composées respectivement de 8 et 6 pays, ne représentent uniquement que 6% du PIB africain.
Des pays à très fort potentiel de croissance, qui ont pour la plupart des positions politiques hostiles au Maroc, tels que l’Angola, le Mozambique, le Rwanda, le Kenya, l’Ethiopie, le Nigéria, le Botswana, le Ghana, la Zambie, la Tanzanie ou encore l’Ouganda, ne sauraient être écartés plus longtemps d’une stratégie Afrique globale, accompagnant la Vision Royale. L’ouvrage de l’Institut Amadeus plaide pour l’établissement d’une diplomatie économique, à mon avis beaucoup plus efficace que la diplomatie classique, pour pénétrer les pays avec lesquels nous n’avons aucune tradition de coopération, et pour peut-être à long terme faire évoluer leur hostilité politique vis-à-vis du Royaume. Personnellement, à travers mes déplacements en Afrique anglo-saxonne ou mes discussions avec des responsables politiques et opérateurs économiques, issus de ces pays, lors des différents évènements organisés par l’Institut Amadeus, je peux témoigner de l’intérêt grandissant et du désir qu’ont ces pays à développer avec le Maroc des relations de coopération plus approfondies, sur le modèle multidimensionnel proposé par le Royaume.

Son ACTU
Il a remis au Souverain, le 21 août 2015 à Tanger, l’ouvrage «Le Maroc en Afrique : la Voie Royale», réalisé sous sa direction par l’Institut Amadeus qu’il préside.

Son parcours
Diplômé en sciences politiques à l’Université de Montréal,  Brahim Fassi Fihri a effectué de nombreux travaux de recherche dans le domaine des relations internationales. Il fonde l’Institut Amadeus en 2008. En tant que Président de l’Institut Amadeus il coordonne et dirige l’ensemble des activités de l’Institut, Il est également le créateur et l’initiateur des MEDays et de la GGC.

 
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