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La montagne a «peut être» accouché d’une souris

Après une longue lutte menée par la société civile et certaines forces vives de la nation pour dénoncer la cherté des prix des médicaments, le texte devant annoncer la « bonne nouvelle » pour les Marocains a fait son entrée dans le tableau d’affichage du Secrétariat Général du Gouvernement. Le dossier qui devait s’inscrire dans les conquêtes positives de ce gouvernement est en train de connaitre une descente vers le terrain du manque de crédibilité. 

Le citoyen et notamment, les familles des malades pour lesquelles l’achat des médicaments constitue une part importante de leurs budgets vont se réveiller dans quelques jours sur un semblant de « victoire » sur les prix trop chers. Nous avons entendu le Chef du gouvernement annoncer la bonne nouvelle, nous avons suivi l’enchantement de certains députés de la majorité qui ont exprimé leur fierté d’avoir touché un dossier que les prédécesseurs n’ont pas osé toucher et tout le monde a enregistré les engagements du gouvernement à aller de l’avant dans l’allégement des prix des médicaments.
Les premières données relevées par les spécialistes du médicament et par les associations de la société civile actives dans le domaine de la santé poussent au désenchantement. Les baisses sont parfois ridicules et portent sur « quelques centimes ». Les premiers exemples que nous vous donnons à ce stade de lecture et d’analyse vont dans le sens du maintien de la pression sur le pouvoir d’achat du citoyen marocain.

Promesses du ministre et réalité des prix

La ferveur du ministre a été saluée notamment, lorsqu’il a déclaré que la plupart des prix connaitront des baisses qui peuvent aller jusqu’à 70%. Des éclaircissements sur la réalité de ces baisses sont vivement demandés au ministre. La responsabilité politique implique une réédition des comptes sur les engagements. Une culture politique nouvelle chantant les bienfaits de la communication sincère avec les citoyens doit se traduire par des mesures des décalages entre les engagements écrits et enregistrés du ministre dans le domaine de la baisse des prix des médicaments et ce qui vient d’être affiché sur le portail du SGG .

Le benchmark ou comparaison des prix avec les autres pays
Le ministre a été clair dans sa lutte passée contre la cherté des médicaments. Les prix de certains pays de notre région et même de certains pays européens comme la France, la Suisse, l’Espagne et même de la Turquie sont plus bas que les nôtres. Les marocains sont dans leur droit de pouvoir connaitre ces prix. Le ministère de la Santé est dans l’obligation d’afficher dans son site internet toutes les données sur les prix des médicaments dans les pays du Benchmark.
La liste des 1200 médicaments doit être communiquée avec tous les détails et les comparaisons qui ont été utilisées pour fixer les nouveaux prix. La transparence ne se fait nullement dans le noir des coffres de sécurité de l’information. Les procès verbaux ou les résultats des réunions sur les médicaments doivent être communiqués aux représentants du peuple. C’est la seule garantie qui rend crédible tout discours de la majorité ou de l’opposition. Derrière les coulisses, les professionnels défendent leurs intérêts et exercent toutes les formes du lobbying. Demain, ce sont les citoyens qui demanderont des comptes à ceux qui leur ont promis de vraies baisses sur le prix des médicaments.

Le maquillage du prix hospitalier

Certains médicaments étaient vendus au prix hospitalier dans les pharmacies. L’absence de marge pour le pharmacien a poussé beaucoup d’entre eux à refuser de les commercialiser. Les laboratoires qui les vendaient directement aux patients se sont vus interdire la commercialisation de ces produits. Cette situation a donné lieu à des pratiques de vente opaques qui frôlaient l’illégalité. Certaines pharmacies dépôts ont servi de relais à certains laboratoires pour contourner l’interdiction de la vente directe. La publication de la liste des quelques 6000 médicaments commercialisés au Maroc permet de lire sur quelques colonnes les prix hospitaliers et les prix publics de vente. Beaucoup d’éclaircissements seront recherchés dans les jours à venir. Certains médicaments à prix hospitalier ne pourraient être vendus que dans les cliniques et les hôpitaux et facturés aux patients aux prix hospitaliers et non au PPV. Un énorme travail de contrôle et de suivi attend les services du ministère et les organismes d’assurance maladie dans ce domaine. Les pratiques dans certaines cliniques sont empruntes d’illégalité dans la facturation. Le détail des médicaments administrés aux patients doit devenir une pratique courante et ne point relever des secrets des caisses dans lesquelles sont cumulés les paiements des citoyens. Demain, une partie des médicaments qui étaient vendus exclusivement aux hôpitaux et aux cliniques sera commercialisée dans les pharmacies. La marge de ces dernières sera remplacée par un forfait. Légitime, ce forfait rémunère un travail mais constitue un plus à la structure des prix. A noter que le prix hôpital reste malgré les baisses qu’il pourra connaitre, trop cher par rapport aux prix des adjudications publiques. Les marges des industriels et de certains laboratoires resteront aussi grandes que par le passé.

Mauvaises communication et lecture

Tout le monde attendait avec impatience la liste des 1200 médicaments qui vont subir les baisses. Les visiteurs intéressés du portail du SGG se sont trouvés devant un texte PDF de 200 pages difficilement exploitables. La lecture difficile de ce document ne peut rendre compte totalement des modifications qui ont touché les prix. Publier la liste des 6000 médicaments commercialisés au Maroc est certes légal, mais l’essentiel est ailleurs. Où sont les baisses? Où sont les 50% et les 70% des baisses ? La lecture «rapide et difficile» des premières données nécessite beaucoup de précautions. Les gens qui voient la baisse de 5 centimes sont choqués, il fallait au moins leur dire qu’il ne s’agit pas d’une baisse mais d’un arrondi au décimal. Les lecteurs de la liste qui ont remarqué que la baisse s’élève à 10 ou 20 centimes pour certains médicaments sont dans le droit de crier haut et fort que ces montants sont ridicules. Le ministère serait sur le point de publier des éclaircissements pour lever certains doutes sur ce qui a été publié. Plus de clarté serait la bienvenue.

La baisse est-elle réelle ?

Les premières données encore non lisibles mais qui ont été communiquées à un cercle limité de connaisseurs sont en deçà des attentes. Les grandes baisses sur les 1200 médicaments sont loin de refléter les annonces faites aux citoyens il y a quelques mois .Les prix des médicaments de lutte contre le cancer et contre certaines maladies graves connaitront une baisse entre 30 % et 40 % . Ils ne représenteraient qu’environ 10 % des 1200 médicaments. Les médicaments pour les maladies chroniques ne bénéficieraient que d’une baisse entre 10% et 15%.
Les premières impressions recueillies auprès d’un certain nombre de professionnels et de responsables associatifs sont pessimistes. A-t-on bien géré ce dossier ? A-t-on subi la pression des lobbys? A-t-on atteint les limites de la volonté politique ?
Les semaines qui viennent permettront une grande visibilité. Les analystes sont à l’œuvre pour éclairer le citoyen et l’acteur politique. Tableaux de comparaison à l’appui, Challenge reprendra dans les détails la réalité des baisses des prix des médicaments. Pour l’instant, nous nous limitons à inviter le gouvernement à communiquer dans la transparence sur ce dossier. Nous avons apporté notre appui au ministre de la Santé aux moments les plus difficiles qu’a connus ce dossier et nous nous attendons à ce que les promesses exposées sur nos colonnes puissent avoir un aspect concret et un impact positif sur les finances des familles dans la difficulté devant la maladie, et surtout devant le coût des médicaments. 

 
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