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Le renouvellement des élites régionales, enjeu des prochaines échéances électorales

Maintenant que le projet de Loi organique sur la régionalisation a été voté à l’unanimité par les deux Chambres et que les dates des élections ont été arrêtées,  le temps de la mise en œuvre est arrivé. Une question lancinante se pose avec acuité : est-ce que les élites actuelles sont  capables de réussir ce grand chantier de réforme territoriale ?  Conscient de cette donnée stratégique, le Souverain a, déjà, dans le discours du 20 août 2011,  placé les questions du renouvellement des élites et de la bonne gouvernance au cœur des grands chantiers de la régionalisation avancée. par S.ALATTAR

En effet, la réussite du processus de changement en cours dépend dans une large mesure, du renforcement des capacités des élites locales,  pour qu’elles puissent  concevoir et  mettre des politiques publiques territoriales afin de promouvoir une économie moderne, compétitive, innovante et solidaire. En appelant à «rompre définitivement avec les pratiques électorales scandaleuses, qui ont porté préjudice à la crédibilité des assemblées élues », le Souverain a critiqué le processus de formation des élites et a appelé à une rupture avec les pratiques actuelles et à l’émergence d’une nouvelle élite entrepreneuriale.
La nouvelle Constitution a ouvert de larges perspectives d’évolution de notre système institutionnel, mais qui risquent de rester virtuelles si on n’ouvre pas de grands chantiers de réforme socio-économiques et si on ne transforme pas les modes de gouvernance des territoires.  Tout  passe finalement par les territoires. Réforme de la Constitution et réforme des modes de gouvernance des territoires sont donc intimement imbriquées. Depuis le Discours du 9 Mars 2011, les deux processus sont liés et ce, pour plusieurs raisons. Il faut d’abord rappeler que c’est bien  dans les territoires où se fabriquent les élites. Toutes les catégories  des élites nationales viennent des territoires. Les parlementaires, en dehors de quelques parachutages exceptionnels,  ont chacun un ancrage territorial. C’est d’ailleurs, de la maîtrise des territoires que dépend la longévité parlementaire. On ne peut donc transformer durablement notre système politico-administratif et la configuration des élites, sans transformer les relations de pouvoirs, c’est-à-dire les relations entre les populations et ceux qui les représentent et les gouvernent, dans les territoires.
 
De la gestion notabilaire classique à une nouvelle gouvernance territoriale

Les élites locales ne se sont pas développées à partir de la promotion du développement économique.  Compte tenu des limites posées aux jeux politiques, les pouvoirs locaux ont fondé leur légitimité sur la médiation et la défense de leurs intérêts particuliers et ceux de leurs clients. Nous avons donc affaire à un groupe d’acteurs, qui portent la demande sociale, la revendication pour obtenir des résultats au profit de certains groupes particuliers. A partir du moment où ces pouvoirs locaux ne peuvent faire que de la médiation, ils vont être dominés par la figure de la notabilité. Le concept de notable permet de rendre compte de ce type de pouvoirs locaux fondé essentiellement sur le clientélisme.  En effet, l’une des  caractéristiques majeures  du jeu politique local dans les territoires est qu’il évacue totalement les questions de développement, de croissance et de compétition entre les territoires. Les campagnes électorales, restent marquées par des thèmes liés aux équipements de base ou de proximité ou de promesse d’ouverture de nouvelles zones à l’urbanisation d’une façon licite ou illicite. Et ce sont finalement les relations clientélistes qui décident de la réussite électorale. Rares sont les députés et les  présidents de conseils communaux qui gagnent leurs sièges en se présentant seulement comme un développeur ou en faisant prévaloir leurs capacités entrepreneuriales. Le discours sur l’efficacité économique et managériale n’est pas encore entré dans les mœurs politiques locales.  L’entreprise politique locale frappe encore par son caractère archaïque, clientéliste et foncièrement vénal. Le poste de député ou de président du Conseil communal n’est souvent gagné qu’à la suite de multiples tractations où se combinent, relations partisanes, relations familiales, notabilaires, clientélistes… Ceux qui sont élus ne sont pas forcément les mieux outillés pour gouverner les  territoires. Une fois élu, le député ou le président du Conseil communal ne se considère  pas  comme responsable devant les opérateurs économiques ou investi d’une mission de développement.
Un autre facteur qui bloque la transition vers la bonne gouvernance territoriale: c’est la faible structuration des milieux d’affaires, des groupes d’intérêts économiques et des ONG et ce, même dans les grandes villes. On a rarement vu dans les campagnes électorales ces groupes se coaliser pour soutenir un candidat ou pour mettre sur la place publique une vision cohérente de la gestion territoriale. Chaque acteur économique défend ses propres intérêts, soit directement en se faisant élire, soit indirectement en faisant du lobbying auprès de ceux qui sont élus. Empêtré dans la gestion des micros-intérêts, le pouvoir local semble comme frappé de paralysie, incapable de prendre des initiatives  ou de promouvoir des projets de développement. Il attend toujours l’impulsion du Centre. Globalement, le gouvernement territorial continue à fonctionner encore à la pacification et non à l’efficience économique.
    
Du notable au manager

Le passage du notable traditionnel au gestionnaire développeur, exige une véritable réforme qui modifie profondément les règles du jeu et les compétitions politiques locales et les reconfigure sur le terrain  de l’efficience économique. Est-ce que le système politico-administratif marocain est en mesure de sortir de sa rigidité réglementaire pour entrer dans une logique de gouvernance ? Peut-il reconnaître son incapacité à gérer à lui seul les territoires? Peut-il ramener ses exigences normatives à des niveaux plus modestes pour définir un projet de développement territorial avec les populations, les ONG et les opérateurs économiques?
     Cette évolution est nécessaire et suppose  une modernisation des institutions et  un nouveau profilage des élites. D’autres pays l’ont fait avant nous. Dans le contexte européen, les gouvernements locaux ont connu une profonde mutation durant les trois décennies écoulées. Les modes de gouvernement territoriaux ont subi, sous l’effet de la mondialisation, de la privatisation, de la montée des régions, des recompositions qui ont modifié en profondeur les règles du jeu politique local et qui expliquent le passage d’une société urbaine fondée sur la prédominance des acteurs publics, à une société basée sur le polycentralisme. Les impératifs de la croissance économique et de la compétition entre villes et régions européennes, ont conféré aux opérateurs économiques et aux ONG, un poids grandissant dans la détermination et la mise en œuvre des politiques territoriales. Le gouvernement local est devenu l’un des organismes parmi d’autres, enserré dans des relations contractuelles et partenariales avec des associations, des entreprises privées, des agences de développement. Son rôle se limite  à superviser l’application des contrats et la gestion des services  dans l’intérêt des opérateurs économiques et des consommateurs et à faire faire au moindre coût, sous la houlette de professionnels du management, très qualifiés, aidés par des consultants. L’image du notable traditionnel fondant sa légitimité sur son enracinement dans le terroir, s’éclipse progressivement au profit du maire entrepreneur capable de promouvoir le développement économique, en créant des emplois et en développant des activités de prestige (manifestations culturelle ou sportive, foires internationales) qui développent les capacités attractives de la ville et renforcent sa position et son rôle dans la compétition économique globale.  Le nouveau profil de l’élu est celui d’un manager, de courtier du développement local. Il met à profit les positions qu’il occupe au sein du parti, du gouvernement, du parlement,  pour drainer vers son territoire des ressources  et nourrir  son image de  maire développeur. Même lorsque les milieux économiques sont fragmentés et n’arrivent pas à impulser des réformes institutionnelles, les acteurs publics locaux réorientent certaines ressources dans le sens des intérêts des instances représentatives du Patronat local. Les procédures de planification territoriale  stratégiques sont construites alors comme des opportunités de mobilisation.
     Certes, on ne part pas de rien et le système de gouvernance territorial de notre pays a connu des évolutions remarquables, surtout durant la décennie 2000.  N’oublions pas que tous les grands chantiers et les grands projets réalisés depuis 2000, l’ont été sous la conduite et la supervision des Administrations techniques  et des élus locaux. On a assisté à l’émergence de véritables pôles techniques dans les villes capitales des régions, constitués de Directions techniques, d’Agences de développements, d’établissements publics spécialisés, comme les agences urbaines, de structures dédiées à la gestion des grands projets, comme TMSA pour le Tanger Med, ou l’Agence Bouregreg et Marchika , le tout sous la houlette de Walis ou de Gouverneurs ingénieurs, ou polytechniciens. Dans le même temps, le profil des présidents de Conseils communaux et des présidents de région a commencé lui aussi à évoluer avec, dans certains cas,  l’arrivée à la tête des mairies des grandes villes, d’anciens ministres, ou de cadres hautement qualifiés qui ont vraiment le profil d’agents développeurs. L’expérience de la décentralisation et de déconcentration, développée durant les trente dernières années, malgré ses limites, a sans doute fait émerger une élite formée d’élus, de responsables administratifs,  qui maîtrisent toutes les complexités de la gestion des affaires locales et qui fourniraient demain le cadre de la Région rénovée, devenant ainsi les principaux agents du développement régional. A partir des acquis de l’expérience développée ces trente dernières années, il s’agit en fait de mettre en place un nouveau cadre institutionnel approprié pour accroître le contrôle des citoyens sur les allocations des ressources et ce, afin de promouvoir une gestion efficiente, responsable et participative.

 
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