Immobilier

Le secteur de l’immobilier s’enfonce dans la crise !

Voilà plus de quatre ans, que le secteur de l’immobilier traverse une période de vaches maigres qui semble s’éterniser. Et les promoteurs immobiliers commencent à perdre patience et appellent au secours les pouvoirs publics. Les séries de réunions de la FNPI avec les ministres de l’Habitat, de l’Urbanisme, de l’Intérieur et des Finances, entamées depuis le 20 février 2015, n’ont donné lieu à aucun résultat concret. Le secteur semble s’enfoncer durablement dans la crise.  par S. Alattar

La question de la relance du secteur de l’immobilier est une question de politique économique par excellence. En toute logique, toute proposition et toute mesure de relance dans ce domaine, doit se fonder sur un diagnostic solide de la situation à traiter. Or, ce qui est étrange dans le débat qui a eu lieu, c’est que la Fédération Nationale des Promoteurs immobiliers (FNPI) passe tout de suite aux recommandations, sans les relier à une analyse de l’état du secteur, de son évolution et des facteurs qui l’ont conduit là où il est aujourd’hui. L’objectif, est bien évidemment de montrer que la seule sortie de crise réside dans l’octroi aux promoteurs de nouveaux avantages fiscaux et urbanistiques. C’est normal, pourrait-on nous répondre. Après tout, la FNPI est dans son rôle. C’est un groupe de pression qui défend les intérêts de ceux qu’il représente. Et c’est aux pouvoirs publics de concilier entre l’intérêt des groupes immobiliers et l’intérêt général.
En réalité, la situation de secteur de l’immobilier est beaucoup plus complexe. Pour sortir du brouillage méthodologique actuel, il faut reprendre le problème du bon côté et posons une question préalable : Quel est le problème du secteur de l’immobilier ? Y-a-t-il-une crise de l’offre ou une crise de la demande ? Quel est le segment stratégique sur lequel l’Etat doit agir ? Faut-il soutenir les promoteurs ou les acquéreurs ?
Commençons d’abord par les questions liées au diagnostic du secteur. De quoi souffre réellement l’immobilier depuis le début de cette décennie? L’analyse minutieuse du secteur montre que la crise actuelle est le produit de plusieurs facteurs qui se sont combinés et qu’il serait difficile de les détailler dans le cadre étroit de cet article.  On se contentera d’évoquer les causes les plus importantes.

De grands groupes inondent le marché par des produits concurrents

Un phénomène sans précédent s’est produit au début de la décennie 2000 : c’est la naissance de grands groupes immobiliers, tant privés que publics. Du côté du privé : on assiste à la formation d’une manière quasi simultanée de grands Groupes Immobiliers comme Addoha, Chaâbi Liliskane, Alliances, Jamai, Berrada, Emaar, Fadesa, Marina d’Or, sans parler des groupes  français et malaisiens.  Du côté du public, le Ministère de l’Habitat procède à la fusion des sept ERAC, de l’ANHI, de la SNEC et d’Attacharouk dans le groupe Al Omrane. Favorisés par le soutien de l’Etat sous forme d’avantages fiscaux et surtout  urbanistiques, liés à la dérogation, ces groupes vont se mettre à produire à une cadence sans précédent au Maroc : entre 2003 et 2010, des milliers d’hectares vont être ouverts à l’urbanisation et des certaines de milliers de logements vont être construits : des villas, des immeubles de luxe, des projets de Golfs, des stations balnéaires… C’est la période du grand boom immobilier. Plus les prix montent et plus l’appétit des groupes immobiliers se renforce et plus le secteur immobilier attire des investissements. L’Etat et les Groupes privés rivalisent dans le gigantisme : des méga projets concurrents sont lancés sans aucune étude préalable de marché. Tout le monde baignait dans un optimisme béat. En 2005, l’Etat lance la création aux portes de Casablanca, Marrakech, Rabat et Tanger de quatre villes nouvelles de plus de 5.000 hectares, pour près d’un million d’habitants. Les groupes privés répliquent en lançant des produits concurrents aux portes de ces villes (lotissement Firdaous de 600 hectares aux portes de Tamesna et celui de Chouitre de plus de 500 hectares aux portes de Tamansourt), pour tirer profit de l’arrivée des équipements d’infrastructures financés par l’Etat.
Lorsque la crise immobilière internationale se déclenche en 2008, le réveil sera douloureux. On assiste d’abord, au retrait des grands groupes étrangers qui ont senti le vent tourner (Emaar, Fadesa, General Contractor, le groupe indonésien Hidaya). Ensuite, l’immobilier de luxe est le premier à subir les effets de la crise, en particulier à Tanger et à Marrakech où les prix vont connaître une chute progressive et substantielle et où de nombreux projets de golf et de stations balnéaires sont soit gelés, soit abandonnés.

Vers la réduction des marges bénéficiaires des promoteurs

Pour atténuer les effets de la crise et maintenir le même niveau d’activité dans le secteur, l’Etat procède à la défiscalisation totale des investissements dans le logement social, qui bénéficie par ailleurs d’avantages urbanistiques liés à la dérogation. On assiste alors à une nouvelle ruée des investisseurs dans le logement social. En trois ans, plus d’un million d’unités sont conventionnées et près de 100.000 unités sont mises en chantiers chaque année. Là aussi, les grands groupes immobiliers inondent le marché de produits concurrents. La conséquence, est qu’il y a près d’un million d’unités produites qui ne trouvent pas acquéreurs.
La surabondance de l’offre a conduit à une situation de méventes. Le produit immobilier est là, mais il est cher et ne trouve pas preneur. La période du boom immobilier a créé de mauvaises habitudes chez les promoteurs immobiliers. Ils veulent gagner beaucoup et très vite. Leurs marges bénéficiaires sont très élevées : 24%. Elles sont trois fois plus élevées que la moyenne européenne.
Quelle politique faut-il alors mettre en œuvre pour sortir le secteur immobilier de la crise où il se trouve actuellement ?
Il faut d’abord que les grands groupes immobiliers apprennent à faire des études de marchés, segment par segment et orienter leurs investissements en fonction des besoins réels des populations cibles pour adapter leur offre à la demande. En deuxième lieu, il faut que les promoteurs immobiliers réduisent leur marge bénéficiaire d’au moins 50%, ce qui va entraîner une baisse des prix et contribuer à relancer les achats. Car, s’il y a méventes c’est parce que le produit immobilier est devenu trop cher. Il y a eu donc un décrochage du prix de vente par rapport aux capacités moyennes de paiement du grand nombre. Enfin l’Etat, comme dans la plupart des pays européens, doit cesser de subventionner les promoteurs. Les cinq milliards de dirhams qui vont chaque année, depuis 2010, aux promoteurs sous forme de dégrèvement fiscaux et de rétrocession de la TVA, doivent être versés dans un fonds pour soutenir les ménages à faibles revenus, pour les aider soit à acquérir un logement économique, soit accéder à un logement locatif subventionné par le produit de ce fonds. Une commission préfectorale devrait être créée dans chaque ville, avec la participation de la société civile et des instances de contrôle judiciaires. Cette commission mettrait en place les critères d’octroi des subventions et veillera à leur respect.
Cette politique alternative s’impose, car les premières évaluations du Ministère de l’Habitat ont révélé que les subventions des promoteurs perdent toute leur justification, quand on sait que dans la plupart des cas, les acquéreurs proviennent souvent, de catégories sociales relativement aisées. Il arrive souvent que le chef de ménage achète plusieurs appartements dans le même immeuble avec des noms d’emprunts et les logements sont agrandis et changent de standing. L’effort consenti par l’Etat se trouve alors détourné vers des catégories sociales qui n’en ont pas besoin. Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement de minimiser de l’importance du rôle du secteur immobilier dans l’économie nationale. Bien au contraire. La formation de grands groupes immobiliers doit être considérée comme un progrès vers la professionnalisation d’un secteur qui commence à s’exporter à l’étranger, notamment en Afrique subsaharienne. Mais maintenant que ce secteur a atteint l’âge mûr, il faut qu’il arrive à vivre de la richesse qu’il produit et non pas des subventions directes de l’Etat. Ces subventions doivent aller aux acquéreurs titulaires de revenus faibles, pour les solvabiliser afin de leur permettre d’accéder aux marchés de logements, ce qui permettra de liquider une partie du stock d’un million de logements construits et qui ne trouvent pas encore acquéreurs. Soyons clairs : ne nous trompons pas de politique économique : la meilleure façon pour l’Etat d’aider les promoteurs, c’est d’aider les acquéreurs et non l’inverse. Ce qui est bon pour les acquéreurs, est bon pour les promoteurs et l’inverse n’est pas forcément vrai.

 
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