Dossier

Les fonds régionaux au Maroc : une expérience peu concluante

A quelques mois de leur liquidation statutaire, le Fonds de l’Oriental et le Fonds Igrane (dédié à la Région Souss Massa) affichent un piètre bilan avec 5 investissements seulement pour un total de 85 millions de DH, alors que ces véhicules abondés principalement par l’argent public étaient censés dynamiser l’investissement privé dans leurs régions respectives en accompagnant une trentaine de PME et en créant des milliers d’emplois. Au lendemain de la mise en place d’une régionalisation avancée au Maroc, une évaluation rigoureuse de ces instruments de politique publique de développement territorial s’impose.

Près de dix ans après avoir été porté sur les fonds baptismaux, l’heure est au bilan pour les deux seuls fonds d’investissement régionaux lancés au Maroc sur initiative publique. Et le moins qu’on puisse dire pour le Fonds Igrane (dédié à l’ex-Région Souss Massa Draa devenue Souss Massa) et le Fonds d’Investissement de la Région de l’Oriental (FIRO), c’est que ce bilan est tout sauf reluisant alors que la durée de vie statutaire du premier vient de s’achever et que celle du deuxième est prévue dans quelques mois. C’est même un échec patent à tout point de vue pour ces partenariats publics privés (PPP). D’abord, un échec socio-économique pour deux régions en quête d’une véritable relance qui peine à se profiler à l’horizon (notamment pour l’Oriental) et pour lesquelles le FIRO pour l’une et Igrane pour l’autre incarnaient théoriquement de puissants outils d’accompagnement de leur développement territorial et d’encouragement de l’investissement privé. Car au lieu d’accompagner une trentaine de PME régionales dans leur développement et favoriser ainsi la création de quelques milliers d’emplois (comme appelait de son vœu l’Etat promoteur de ces deux initiatives), ces deux véhicules d’investissement n’ont opéré finalement que cinq investissements (trois pour le FIRO et deux pour Igrane) totalisant en tout et pour tout la « maigre » somme de 85 millions de DH, soit un taux de transformation d’à peine 40% des montants réellement libérés par les actionnaires (soit près de 200 millions de DH), voire moins de 20% si on ramène cela aux tailles cibles visées initialement (300 millions de DH pour le FIRO et 200 millions de DH pour Igrane).

Le bilan est également un échec financier pour les actionnaires et parties prenantes (voir graphe ci-après) de ce PPP aussi innovant dans sa conception que décevant dans sa réalisation. En effet, les actionnaires du FIRO et d’Igrane, notamment les institutionnels privés soumis à des obligations de transparence financière, se sont résolus depuis quelques années déjà à provisionner dans leurs propres comptes leurs participations dans ces deux structures (à l’instar de BMCE Bank et d’Attijariwafa bank dont les provisions cumulées constatées à cet effet, à fin juin 2016, totalisent plus de la moitié de leurs investissements cumulés dans ces deux fonds). Il faut dire qu’avec des véhicules ayant un taux de réalisation aussi faible, il aurait fallu réaliser des plus-values mirobolantes sur les rares opérations réellement effectuées pour compenser les quelques dizaines de millions frais de gestion engloutis en dix ans d’existence et versés à Attijari Invest (le gestionnaire d’Igrane) et FIROGEST (l’entité ad hoc créée par les actionnaires du FIRO pour en assurer la gestion). Ce qui fut loin d’être le cas puisque, sur les trois prises de participations du FIRO, deux se sont avérées un fiasco total (en l’occurrence Microchoix dont le fondateur a quitté le pays en 2016 en laissant derrière lui des créanciers et des salariés aux abois et Monlait qui a mis la clef sous le paillasson quelques années seulement après l’entrée du FIRO dans son tour de table !). Quant aux investissements opérés par Igrane, disons que leur impact sur le tissu des PME locales est quasi-nul puisqu’ils revêtent plutôt un caractère institutionnel d’accompagnement de projets régionaux portés par de puissants groupes nationaux (SNI pour le projet d’adduction d’eau porté par Amensouss et CDG pour la zone industrielle Haliopolis). Ce qui en fait davantage un placement à moyen terme peu risqué et aux possibilités de sortie des plus limitées (peu de chance que ce soit quelqu’un d’autre que le majoritaire promoteur).

Enfin, il s’agit aussi d’un échec de politique économique dans un pays où les fortes disparités territoriales, notamment en matière de dynamique économique, ne cessent de s’accentuer comme en témoigne l’étude sur les inégalités régionales réalisée en 2015 par la Direction des études et des prévisions financières (DEPF) relevant du ministère des Finances. Il faut dire que l’échec « politique » des fonds régionaux ne vient pas seulement allonger l’inventaire des investissements publics aux impacts négligeables voire quasi-nuls ou à « multiplicateur » négatif, c’est-à-dire selon la définition des économistes «des ressources injectées beaucoup plus importantes que les richesses créées » mais bien au-delà, il vient aussi révéler que les outils économiques et financiers d’accompagnement de la politique de régionalisation avancée que le Maroc ambitionne de mettre en place restent encore à imaginer.

Mais comment le FIRO et Igrane ont-ils tourné à la déroute financière (notamment pour le premier) et à l’échec économique et social patent (pour les deux indéniablement) alors qu’ils comptent dans leurs tours de table respectifs, outre des acteurs publics concernés (la Région de l’Oriental, la Région de Souss Massa, l’Agence Nationale pour la Promotion et le Développement de développement de l’Oriental et le Fonds Hassan II pour le développement économique et social), les principaux fleurons du système financier du pays, à savoir la CDG, BMCE Bank, Attijariwafa bank, la BCP et le Crédit Agricole ou encore le groupe privé Holmarcom ? Est-ce la faute des gestionnaires qui se sont avérés incompétents en étant défaillants dans la prospection et la sélection des dossiers à présenter à leurs Comités d’Investissement respectifs, ou plutôt celle des actionnaires qui n’ont pas su réagir à temps ou rectifier la politique d’investissement ? Est-ce la gouvernance même de ces fonds qui est à incriminer avec des Comités d’Investissement au fonctionnement des plus rigides où tous les actionnaires y ont voix au chapitre (ce qui n’est pas le cas des fonds d’investissement gérés par des professionnels chevronnés dans le cadre d’une gestion discrétionnaire) ? Ou est-ce que tout simplement le ver était dans le fruit originel des fonds d’investissement régionaux ayant pour vocation à investir dans un seul espace économique, à fortiori peu industrialisé et aux PME encore peu enclines à sortir de leur endogamie et «autarcie » capitalistiques ?

Quelles que soient les raisons de cet échec, il est urgent pour les pouvoirs publics de tirer les leçons qui s’imposent pour une meilleure utilisation des deniers publics en tant qu’instrument de développement régional. Ce qui relève de la bonne pratique d’évaluation des politiques publiques qui a été le parent pauvre de la précédente législature malgré la large place faite par la nouvelle Constitution de 2011 à cet exercice démocratique de bonne gouvernance. Quant aux acteurs privés qui ont choisi d’accompagner cette aventure, ils seront sans doute beaucoup plus réticents, à l’avenir, à délier les cordons de la bourse pour accompagner des projets de ce genre si les actions correctives ne sont pas mises en place. D’aucuns érigent, d’ores et déjà, au sommet de celles-ci la règle de la séparation de la gestion de tels véhicules qui devrait être confiée à des professionnels totalement indépendants des actionnaires investisseurs.

Khalid Saadi, fondateur de Microchoix.
Khalid Saadi, fondateur de Microchoix.

Participations du FIRO

Microchoix : Cette PME opérait jusqu’en 2016 dans la distribution informatique multimarques avec un siège à Oujda et onze points de vente à travers le pays (dont un en franchise). Suite à l’entrée du FIRO en 2009 dans son capital à hauteur de 30%, la société a accéléré l’extension de son réseau, mais exclusivement ailleurs que dans la Région de l’Oriental (ce qui a fait dire aux détracteurs de l’entrée du FIRO dans son tour de table que cet investissement n’entrait pas dans l’épure de la politique d’investissement). Quant à la performance financière et même si le chiffre d’affaires a dépassé la barre des 100 millions de DH dès 2012 (contre 60 millions de DH à la veille de l’entrée du FIRO), la rentabilité est demeurée des plus fragiles. Finalement, malgré quelques opérations de lease-back opérées en 2014/15 et destinées à renflouer la trésorerie, le dépôt de bilan n’a pu être évité en 2016.

Midi peintures : Ce fabricant de peintures pour bâtiment a levé de l’argent, en 2010, auprès du FIRO (en contrepartie d’une participation à hauteur de 27% du capital) pour financer une extension de son usine basée à Oujda et renforcer son parc de camions. Mais le décès du directeur général et principal actionnaire de la société, deux ans plus tard, n’a pas manqué de déstabiliser le management qui n’est pas arrivé, finalement, à donner à cette PME une dimension nationale et réussir une conquête significative de parts de marché. En faisant du surplace autour de 100 millions de DH, le chiffre d’affaires reste insuffisant dans un secteur où l’effet taille est très important pour pouvoir générer des marges correctes.

Monlait : Ce petit fabricant de produits laitiers créé par trois Marocains résidants à l’étranger rentrés au pays pour entreprendre au milieu des années 2000, a accueilli le FIRO en 2011 dans son capital pour renforcer ses moyens logistiques et opérer un début d’intégration en amont. Sauf que depuis l’arrivée de cet institutionnel à hauteur de 29% de son capital, cette PME dont le chiffre d’affaires n’a jamais dépassé les 20 millions de DH, a connu une succession de déboires qui sont, en grande partie, la conséquence de choix hasardeux dans un secteur industriel très difficile. N’ayant pu redresser la barre et arrêter l’hémorragie du cash, la société a arrêté son activité en 2015 en attendant un hypothétique renflouement.

Participations d’Igrane

Amensouss : Cette filiale de Nareva Holding (bras armé de la SNI dans les secteurs de l’eau et de l’énergie) détient une concession de 30 ans pour l’adduction de l’eau du barrage d’Aoulouz vers le périmètre de Sebt El Guerdane (dans la région d’Agadir) où opèrent près d’un millier d’agriculteurs notamment dans l’agrumiculture à l’export. La mise en place de ce Partenariat Public Privé a permis de faire face à la problématique de forte pression sur la nappe phréatique dans une région de stress hydrique. Le fonds Igrane est entré dans le capital d’Amensouss en 2008 à hauteur de 13%.

Haliopolis : Cette filiale de Med Z (groupe CDG) a été chargée en 2010 de l’aménagement du parc industriel éponyme situé dans la région d’Agadir et qui s’étend sur une superficie de 150 hectares. Exclusivement dédié à la valorisation des produits de la mer, ce parc est le premier du genre au Maroc. A fin 2015, Haliopolis qui compte le fonds Igrane parmi les actionnaires fondateurs, était encore loin de l’objectif de création de 20.000 emplois pour un investissement cumulé de plus de sept milliards de DH.

Actionnariat d'Igrane
Actionnariat d’Igrane
Actionnariat du FIRO
Actionnariat du FIRO

 
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