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L’esprit perdu des réformes fiscales

Dans la fiscalité, le mot «réforme» a été utilisé à tort et à travers, malmené, à tel point qu’il a été vidé de sa signification. Difficile de se comprendre et de mener des actions cohérentes quand le sens des mots varie d’une personne à une autre, d’une institution à une autre, d’un pays à un autre. Quand les mots ne représentent plus les choses telles qu’elles sont réellement. par M. Amine

2% des entreprises paient au moins 80% des recettes spontanées de l’Impôt sur les Sociétés (IS). 75% des recettes IR proviennent de l’impôt prélevé à la source des salaires. Globalement, l’essentiel des recettes fiscales provient principalement de la TVA, soit le 1/3 des recettes fiscales totales de l’Etat et presque 10% du PIB. Voilà donc le résultat principal d’un système fiscal mis en place depuis une trentaine d’années. Et le mot « réforme» ressurgit chaque année, à chaque occasion. On « réforme les réformes pour les reréformer »…Une réforme permanente ou tout simplement une absence de réforme sérieuse ? Sommes-nous face à une fatalité ? L’article 39 de la Constitution consacrant le principe d’équité fiscale, est-il un simple décor ? Pour le moment, l’Administration fiscale priorise les « réformes » de la TVA pour trouver de nouvelles sources de financement. Une « réforme en miettes ».

Le système fiscal, malgré les multiples tentatives de «réformes », demeure boiteux

Quoi de mieux pour réduire la visibilité et la stabilité du système fiscal ? La « réforme » de la TVA est limitée à la réduction du nombre de taux, actuellement cinq si l’on compte le taux zéro (exonérations), à deux taux : 10 et 20%. C’est là une voie apparemment facile qui ne peut qu’aggraver l’iniquité fiscale actuelle. La TVA a une maladie congénitale. Aveugle, incolore et indolore, car diluée subrepticement dans les prix, elle est payée surtout par cette grande masse de contribuables à revenus faibles ou modestes, surtout lorsqu’il s’agit de produits ou services dont la consommation n’est pas élastique.
Mêmes problèmes que ceux relevés pour la Caisse de Compensation. Exemples : le taux de TVA pour le service de l’eau potable ou l’assainissement est de 7%, que ce soit pour remplir une piscine ou assainir les multiples toilettes d’une villa cossue, ou bien pour un logement social de 40 à 50 mètres carrés disposant d’une petite toilette et au maximum de deux ou trois robinets d’eau. C’est aussi le cas de l’électricité, avec un taux réduit de TVA de 14%. Et les exemples sont nombreux.

Faut-il convaincre et faire adhérer ou bien «surveiller et punir» ?

Lorsqu’on examine les rapports annuels de l’Administration fiscale, rarement mis sur le site du ministère de l’Economie et des Finances, chaque année, ce sont 70 000 à 80 000 réclamations qui sont déposées. Il faut dire que la contestation de l’impôt est enracinée dans les rapports entre l’Etat et les citoyens. Le contrôle fiscal est souvent perçu par le contribuable comme une punition. D’ailleurs l’enquête de satisfaction diligentée par cette administration n’a guère abordé ce volet. Et c’est pourtant là que le bât blesse. Malgré ses faibles moyens, l’Administration fiscale arrive à vérifier la comptabilité de nombreuses entreprises (une moyenne de 1000 entreprises par an, soit une moyenne annuelle de 3 à 4 dossiers par vérificateur). Le contrôle rapporte des recettes fiscales additionnelles (7,6 milliards de DH en 2013), à tel point que son véritable objectif qui est la dissuasion/persuasion est oublié. En fait, aussi bien l’augmentation du nombre de réclamations, que la croissance des recettes fiscales provenant de la vérification des comptabilités, sont d’abord des indicateurs du « mal être fiscal», du caractère essentiellement conflictuel entre le citoyen et l’Etat à travers l’impôt.

La réforme fiscale de 1984 a mis théoriquement en place un système déclaratif

C’est aussi le cas de la fiscalité locale «réformée » sur le papier en 2007. Une récente petite enquête par la Wilaya du Grand Casablanca a révélé que sur 21 centres de visite technique des véhicules, à peine deux centres reversent la taxe locale perçue. La gestion de la fiscalité locale est caractérisée par un niveau élevé d’opacité. 85% des recettes fiscales locales proviennent des impôts gérés par la Direction Générale des Impôts (Taxe d’habitation, Taxe professionnelle, Taxe de services communaux et surtout TVA dont 30 % sont reversés aux communes). La régionalisation risque, elle aussi, d’être une simple déclaration de bonnes intentions.
Les textes ne changent guère la réalité
Ce sont les êtres humains chargés d’appliquer ces textes qui doivent changer et matérialiser le changement. Or, le rapport actuellement prédominant entre l’Etat et le citoyen est un rapport de méfiance. Le citoyen/contribuable constate globalement, dans presque tous les domaines, un déficit structurel des services publics. Les inondations provoquent des dégâts et révèlent l’absence chronique de l’Etat.  La situation de l’enseignement est quasi catastrophique. Le contribuable n’a pas de visibilité quant à l’avenir de ses enfants. En cas de problème de santé, il se sent piégé dans un système de santé gravement malade. Dans ce vertige quotidien, où vient se greffer facilement la corruption, c’est la confusion, la perte des repères. Alors, s’il paie,  c’est parce qu’il a peur, pas parce qu’il est convaincu.
Bien cravatés et loin de la réalité, dans des salles bien climatisées, les hauts fonctionnaires du ministère des Finances et les «experts » de la Banque Mondiale ou du FMI discutent et échangent sur l’avenir du système fiscal, sur les stratégies, sur les réformes fiscales à mener…Mais qui leur a délégué ce pouvoir ? C’est «trop technique» ! disent-ils. On ne laisse pas ces choses-là entre les mains des « citoyens lambda » ! Ce n’est pas l’affaire du « troupeau». C’est l’affaire des « spécialistes». On fera appel plus tard aux «représentants de la Nation» pour adopter les mesures proposées/décidées. Les «experts» sont là avec leurs schémas abstraits et bien «mathématisés », valables en tout temps et en tout lieu. L’emballage peut changer, avec une bonne introduction sur la «lutte contre la pauvreté». «Gérer la pauvreté» sans s’attaquer à ses causes profondes. Après tout, elle est naturelle. Patience, la croissance devra y mettre fin. Pensée unique ou «fastfoodisation » de la pensée humaine. La pensée critique libre ou simplement différente est perçue comme subversive. Les élus, presque partout dans le monde, ont de moins en moins de pouvoir dans le domaine des finances publiques. Leur marge de manœuvre ne cesse de se réduire. Le cas actuel de la Grèce illustre bien cette situation.
Dans le domaine fiscal, le vocabulaire est trompeur. « Le contribuable est imposable ». Deux mots contradictoires dans une même phrase. L’usage indifférent de deux mots pourtant substantiellement opposés, impôt et contribution. Auxquels s’ajoute le mot taxe. En arabe, c’est encore plus clair. Le mot « dariba » évoque la violence, le recours à la force, le caractère contraignant.
Une réalité fiscale «composite», pour emprunter ce mot à P. Pascon, parti si jeune. Une région au sud défiscalisée de fait, «zone de non droit». Des catégories de «contribuables», notamment celle des agriculteurs, sous fiscalisées de droit. Des dérogations fiscales accordées à droite et à gauche pour calmer les appétits des uns et des autres. Et d’autres catégories surfiscalisées, n’ayant guère ni le choix ni la possibilité de frauder.
Une réforme fiscale est d’abord nécessairement extra fiscale. Ce n’est pas une affaire de techniciens. Elle est d’abord politique. Elle est inséparable des politiques publiques, du mode de gouvernance en général. C’est l’axe central dans la redéfinition du contrat social. C’est le point de départ  d’une réelle réconciliation entre l’Etat et le citoyen.

 
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