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L’impôt, une affaire de tous les citoyens

Nous vivons en société et cette vie collective nécessite des charges communes pour lesquelles des ressources doivent être collectées et mobilisées, de manière équitable. Pour cela, des institutions élues et surtout responsables sont indispensables pour représenter la population dans le débat public et la prise de décision sur les choix et l’application des politiques publiques. La reddition des comptes sur la base des résultats effectivement atteints en est le point focal. Ce schéma, théoriquement simple, demeure  cependant difficile à concrétiser dans des sociétés où s’autoproclament des décideurs dans des clubs dont les rôles et les contours restent à définir. par M. Amine

Dans les anciens temps, l’impôt était synonyme de contrainte, inséparable de l’usage de la force, celle-ci étant le premier monopole du pouvoir central. Impôt et genèse de l’Etat étaient inséparables. Le pouvoir central en pleine gestation devait rémunérer une armée et une administration devenues professionnelles et permanentes. Ainsi, une part des richesses créées dans les formations sociales étaient affectées au fonctionnement de l’Etat. Cette ponction ne se faisait pas sans abus et sans résistances, surtout dans les moments difficiles de sécheresse et de crise.
L’évolution ultérieure dans la plupart des Etats dans le monde se fera vers une nouvelle conception de l’impôt, en relation étroite avec celle de l’Etat. A la force, se substituera le principe du consentement à l’impôt qui doit se traduire par l’adhésion volontaire du contribuable, exprimée par le représentant qu’il a choisi. L’Etat centraliste et autoritaire cédera la place à l’Etat démocratique fondé sur le respect du droit. La théorie du contrat social et le principe de séparation des pouvoirs ont été au centre de cette évolution.
Dans les Etats dits de transition, cette évolution ne se fera pas sans tempêtes et sans orages. Les citoyens restent souvent exclus des débats fondamentaux, tel celui relatif à l’impôt. La fiscalité est rarement abordée par les organisations de masse telles que les syndicats professionnels des salariés. Faute de compétences ? En fait, il s’agit surtout d’une faible prise de conscience quant à la priorité de la question fiscale dans les enjeux sociaux. C’est aussi le cas des partis politiques, en particulier ceux ayant une profondeur historique et sociologique dans la réalité politique marocaine. La seule organisation professionnelle fortement présente et ayant un poids réel dans ce débat est la CGEM. C’est que les intérêts à défendre par cette organisation sont directement exposés. Et la logique de rente qui continue à peser lourdement dans le capitalisme marocain n’est pas totalement absente des positions prises dans le domaine fiscal.
Le Conseil Economique, Social et Environnemental est une sorte de think tank officiel, jouant le rôle de Conseil, mais reflétant aussi la situation actuelle des rapports de forces, favorable aux catégories sociales les mieux organisées économiquement et ayant un pouvoir d’influence important sur la prise de décision.

Une contribution qui demeure assez faible…

L’absence de véritable stratégie officielle dans le domaine fiscal est la caractéristique principale à relever. Le processus décisionnel est dominé par une technostructure, elle-même étroitement dépendante des institutions financières internationales, ayant notamment un pouvoir de notation et de sanction, et donc de pression et ce, depuis la mise en route de la réforme fiscale de 1984.
Alors, il ne faut pas s’étonner, si une partie de cette technobureaucratie a recours à la création d’associations composées d’académiciens étrangers nostalgiques de l’époque coloniale et de hauts dignitaires à réflexes makhzéniens, pour donner un semblant de scientificité au discours fiscal. Puisant dans les deniers publics pour s’autofinancer et offrir des voyages à des universitaires bien connus pour leur opportunisme intellectuel, ces hauts fonctionnaires cherchent à tout prix à développer une vision selon laquelle l’impôt est une affaire réservée exclusivement aux experts, compte tenu de la complexité de la chose fiscale. Néanmoins, tout récemment, un effort d’enracinement local peut être perçu à travers la récente création d’un « Club marocain de la fiscalité », réunissant de hauts commis de l’Etat, des experts et des universitaires. Cependant, pour ces instances autoproclamées, la fiscalité demeure un domaine complexe réservé aux experts. Elle doit rester loin de la plèbe. Les thèmes prioritaires retenus lors de la dernière rencontre de ce Club, le 12 mai 2015, sont la réforme de la TVA, le contentieux fiscal et la fiscalité locale. En fait, c’est le premier thème sur la TVA qui revient comme un leitmotiv et qui permet à ce Club de s’inscrire dans l’air du temps ou plus simplement dans l’agenda des institutions financières internationales et de certains groupes de pression qui cherchent à faire supporter le fardeau fiscal par le consommateur, c’est-à-dire par les catégories sociales les plus fragiles et les plus désarmées pour résister à cette tendance insidieuse, qualifiée par le mot technique et magique : «élargissement de l’assiette fiscale». Bien sûr, ce Club, qui semble être mû par l’intérêt général, semble oublier complètement la fiscalité agricole où une minorité de grands exploitants agricoles continue à profiter d’une exonération de droit et de fait. On tourne le dos à la fraude fiscale, face à laquelle l’administration fiscale est structurellement impuissante. On oublie ce sur quoi est construit tout l’édifice fiscal, à savoir le principe d’équité fiscale solennellement proclamé dans les articles 39 et 40 de la Constitution.

Le soleil ne peut être caché par un tamis !

Pour réussir sérieusement la transition fiscale, l’impôt doit devenir un acte de citoyenneté. C’est à travers l’adhésion volontaire à l’impôt que le citoyen devient actif. Le rôle premier dans la production des textes fiscaux revient dans toute démocratie au pouvoir législatif. Le rôle de l’Administration fiscale est strictement limité à l’interprétation administrative et à l’application rigoureuse des lois fiscales adoptées et entrées en vigueur, sous le regard vigilant du pouvoir judiciaire. Cette Administration peut être éventuellement sollicitée pour appuyer techniquement les projets émanant du pouvoir exécutif.
Partis politiques, syndicats professionnels des salariés et des patrons, ont aussi leur mot à dire, à travers les institutions représentatives. Le rôle des universités est celui de former les futurs cadres et de développer la connaissance et la recherche scientifique, en permettant à tous les acteurs de disposer d’outils théoriques et pratiques, et en partant de l’étude de la réalité sociale locale tout en s’inspirant des expériences internationales.
Le nouvel acteur qui pourrait être déterminant dans la transition fiscale est incontestablement la société civile. Actuellement, les organisations de défense des droits humains intègrent rarement la fiscalité dans leurs priorités. Pourtant, cette dimension est indispensable quand il s’agit d’apprécier les politiques publiques mises en œuvre. Tout citoyen actif éprouve au quotidien ce besoin fort d’interpeller les pouvoirs publics sur l’utilisation des deniers publics. Que fait-on avec mon argent ? Qui paie l’impôt ? Comment l’impôt est-il collecté et réparti ? C’est en répondant à ces questions, en toute transparence, que les pouvoirs publics pourront effectivement rétablir et développer la confiance des citoyens. La démocratie ne peut pas être réduite uniquement et périodiquement au bulletin de vote, bien qu’indispensable. Encore moins à des activités de clubs. La démocratie est une réalité qui doit être vécue au jour le jour, perçue et ressentie concrètement. L’Etat de Droit, expression de la vie collective et de l’intérêt général, n’a rien à cacher, ni à se reprocher. Cet Etat ne craint pas la transparence. Il n’a pas honte de se déshabiller quand les citoyens l’exigent. Cette démocratisation effective dans la gestion de la chose publique ne peut que se traduire par une implication plus forte des citoyens  et indubitablement par un taux plus conséquent de participation aux rendez-vous électoraux.

 
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