Portrait

Mehdi Hadj Khalifa, fondateur d’Another Life : Sérial entrepreneur, militant de l’entrepreunariat créatif

Mehdi Hadj Khalifa, fondateur d’Another Life

Ne vous fiez pas à sa jeunesse. Du haut de ses trente ans, cet entrepreneur a décroché des budgets de marques de référence dans l’automobile, le sportswear et l’agro-industrie pour s’imposer comme partenaire des plus grandes agences de conseil en communication. Son background familial l’aurait voulu cadre d’entreprise, le destin l’a fait entrepreneur et promoteur de talents. Par Noréddine El Abbassi

Le sage dit que la souffrance donne une âme. Si l’on ne peut se prononcer pour l’âme, il en est autrement  pour ce qui est des qualités humaines et de la volonté de réussir. Mehdi Hadj Khalifa est de ces jeunes qui ont réussi à la force du poignet. Sans passer par la case des études longues, et profiter par exemple d’une opportunité, comme celle de vivre un moment à Paris. Il aura préféré bâtir dès le départ, une vie professionnelle, plutôt que risquer de végéter sur les bancs de la fac.
Il est né en 1984, à Casablanca. Fils unique d’un directeur de bureau d’études de la CDG et d’une biochimiste de l’OCP, il sera très tôt marqué par le destin. Sa santé fragile force sa mère à quitter son emploi, pour prendre soin de son fils, familier des lits d’hôpitaux jusqu’à ses 12 années. Une enfance de souffrance que l’on distrait de toutes les manières possibles, le rire étant le compagnon privilégié.
Mais bientôt, les obligations professionnelles du père obligent la famille à déménager à Rabat. Période dont Mehdi gardera des souvenirs précis: “A cette époque, on ne sentait pas de différence entre les enfants, quelle que soit leur appartenance sociale,  comme c’est le cas aujourd’hui. Le fils du Président de Maroc télécom avait un téléphone prépayé alors que tous ses camarades avaient un abonnement. Il en allait de même pour les voitures qui venaient récupérer les élèves à la sortie des cours, et qui ne ressemblaient en rien aux grosses berlines qui, aujourd’hui, se bousculent devant le lycée Descartes”, remarque-t-il.
Mehdi revendique la proximité avec les “gens simples”, tels les loueurs de cassettes vidéos qui conseillent les films d’arts et d’essai, depuis Jacques Tati à Casavetes et Tarentino, avant Pulp Fiction et que la tarentinade ne soit un concept hollywoodien. Mais Mehdi est un enfant turbulent à l’école, dont les parents finissent par inscrire au Golf, supposé, pensent-ils, le calmer : “En ces temps-là, les frais d’inscription étaient très abordables. A tel point que même les fils de caddy, pouvaient jouer. Tous les matins, dès 7h, je voyais Driss Basri venir s’offrir une partie de Golf,” se remémore-t-il, comme un reflet d’une époque où la ségrégation sociale n’était pas ce qu’elle est actuellement.

Le stagiaire devient chef d’entreprise

Mais à l’école, Mehdi opte pour une filière STG, une “voie de garage” dans le milieu élitiste de la “Mission française”. Ce qui ne l’empêche pas de décrocher son bac et de s’envoler pour Paris, suivre des études d’architecture. C’est peut-être par tradition familiale, puisque son père l’éduque dans un environnement de bâtisseur et l’emmène sur les chantiers les week-ends. Mais Mehdi tombe mal. L’école d’architecture de La Villette est l’un des derniers bastions socialo-communistes, et fronde contre la réforme “Licence, Master, doctorat “. Après six mois de grève, Mehdi se trouve un job d’étudiant, pour rentabiliser son année blanche. Grâce à quelques relations, il commence avec Bruno Moinard, “c’est un grand nom de la réflexion en amont, sur les espaces de luxe. Il composait des lieux pour des grandes marques, telles que Hermès ou Cartier”, explique-t-il. Mehdi se découvre alors une fascination pour l’organisation en entreprise et un talent pour résoudre les problèmes. “J’ai commencé comme stagiaire. D’abord, à apporter des cafés et à faire des photocopies. Mais je me suis sorti de mon provincialisme et je me suis instruit. J’ai appris énormément, auprès des gens que je côtoyais”, tempère-t-il. Il rencontre Philipe Combre, le fondateur de Blast magazine, et plonge dans une réflexion sur “la création liée à une puissance”.
Au détour de cette collaboration, il rencontre un partenaire, Patrice Meignan. A eux deux, ils fondent l’agence “l’Ecurie” et se lancent dans la production de contenu. La matérialisation de cette action sera le support média “Intersection”, qui se penche sur le life style, lié à l’art. D’autres projets naissent. Pour Fiat, ils animent une réflexion pour la Fiat 500, puis juste après, décrochent le marché de Renault. Chemin faisant, ils s’imposent comme micro-agence pour le groupe Publicis. Nouveau challenge, Mehdi fonde Balak, un support dédié à l’architecture et qui remet en cause le nationalisme architectural marocain, en le confrontant aux expériences mondiales. Il conduira un travail de fond pour d’autres marques, telles que Nike, et pour lesquelles il fait intervenir des artistes et créateurs, dans la réflexion autour de produits de consommation.

Promoteur de talent créatif international 

2009 sera l’année du virage. “J’ai fondé ma deuxième agence, Another life, en collaboration avec Laurence Soha, agence que je dirige encore actuellement ”, précise-t-il. Mehdi travaille alors dans une entreprise éparpillée à travers le monde, qui emploie 3000 collaborateurs freelance, basés aux Etats-Unis, au Japon ou en Afrique. Ses consultants sont des directeurs artistiques, des designers, ou des développeurs digitaux. Mehdi anime aussi des conférences, où il explique par exemple les liens entre Richard Price, Karl Lagerfeld, Jeremy Rifkin, Bernard Arnaud et l’émir de Dubaï Mohammed Al Maktoum, dans le processus de création de valeur dans le monde en devenir.
En 2010, il se marie, et trois années plus tard, sa fille voit le jour. Son agence, elle, prend de l’ampleur et décroche un contrat de création de contenu pour les biscuits “Petit beurre” de Lu en 2013. Fièrement, il mentionne la participation de Matali Casset, première femme designer du monde dans cette campagne à succès.
Au Maroc, il s’intéresse réellement au marché de l’art, et à la stratégie à adopter pour que le Royaume puisse créer du contenu pour la région. “Il faut pour cela, que les managers du privé et du public, s’investissent dans l’encouragement de la création. Au niveau local comme au niveau global. En fin de compte, il faut créer des plateformes pérennes en matière de contenu, suffisamment attirantes et aux standards internationaux, ainsi que performantes en outillages conceptuels”, analyse-t-il.
Dans toute la discussion, Mehdi Hadj Khalifa, garde des airs de jeune homme bien élevé,  plus à l’écoute que dans le discours. Comme si ses pensées étaient réfléchies, un millier de fois avant qu’il ne les expose, tout en gardant une profonde pudeur sur sa vie privée. Dans un sens, Mehdi est le produit d’une génération qui devait faire la mondialisation et qui a été sacrifiée. Mehdi, lui, a réussi en s’exportant. Qui pourrait donc lui en vouloir, puisque dans son cas, l’adage “nul n’est prophète dans son pays”, n’est pas une nouvelle expression, mais juste une vieille sagesse.

 
Article précédent

Tourisme : Haddad défend ses chantiers

Article suivant

Industrie : TMSA planche sur le financement