Portrait

Mohamed Saïd Karrouk, membre de IPCC : Climatologue, prédicateur de catastrophes

Il a gardé une franchise d’adolescent turbulent, et une allure frêle de cet âge. A 54 ans, ce professeur universitaire a passé sa carrière à imposer sa discipline, dont il était le seul représentant, dans un milieu universitaire hostile. Par Noréddine El Abbassi

Le Pr Karrouk présente sa discipline  comme étant une étude du climat, de son influence sur les hommes et sur la société. Une approche globale où la météo : c’est mesurer les taux d’humidité, la pluviométrie et les vents qui amènent ou dévient les pluies, tantôt destructrices, tantôt bénéfiques. Alors que la climatologie a pour objet  l’étude des mesures pour se projeter dans l’avenir et les conséquences sur le pays, à grande échelle, et non par la lorgnette du taux de remplissage des barrages. Mais ce n’est pas pour autant que le bon Pr Docteur fait dans le sectarisme, et au contraire, se prévaut d’ une solide formation de météorologue.

Un enfant du milieu ouvrier tangérois

Mohamed Saïd Karrouk est né en 1960, à Tanger. Il est l’aîné des sept enfants d’une  famille dont le père est un simple employé, dans l’ancienne cité internationale d’abord et à Tétouan ensuite, pour quelques années. La famille reviendra d’ailleurs à Tanger et s’installera au quartier “Marchane”. Mohamed Said côtoie à cette époque, tous genres de nationalités à la recherche d’un ailleurs. Tels  les hippies anglais, venus vivre au Maroc leur rêve de proximité avec la nature et  en quête d’une authenticité perdue. Des écrivains et des artistes, plus ou moins célèbres, ont toujours été attirés par la ville du Détroit. Mais dans le quartier “populaire”, où habite la famille Karrouk, on est loin de ces célébrités. Les résidents marocains, plutôt de conditions modestes et carrément conservateurs, côtoient néanmoins des libertaires anglais exilés et des familles espagnoles non moins modestes et que la colonisation espagnole du nord du pays avait ramenés dans ses bagages. Certes, quelques couples mixtes se forment, mais restent marginaux: “A cette époque, ce qui nous  fascinait, c’étaient les choppers, ces motos à haut guidons, les cheveux longs au vent. Mais ce que nous partagions, c’était le même quartier et le respect mutuel entre voisins. Pour le reste, nous avions des valeurs différentes”, se remémore Mohamed Saïd, des accents nostalgiques dans la voix à l’évocation de cette époque bénie et le récit agrémenté de nombre d’anecdotes.
L’enseignement que suit notre interlocuteur tout au long de sa scolarité primaire et secondaire était bilingue, dispensé par des enseignants aussi bien français que marocains. C’était l’époque des premières années de l’indépendance, l’époque de l’enthousiasme, des grands projets et des rêves pleins la tête. Si les enseignants étaient enthousiastes pour leur métier, ils n’en étaient pas moins prisonniers d’un système éducatif où la créativité n’était guère stimulée. Mohamed Saïd, qui était un enfant  avide de connaissances et de nouveautés, après tout propre à son âge, apparaissait facétieux, là où il n’y avait qu’une saine curiosité enfantine et un esprit aventureux. De son récit, on devine des débats homériques avec les enseignants, entre l’adolescent qui avait ses propres idées et ceux qui se limitaient à transmettre un enseignement figé.

Un amour: la climatologie

Mohamed Saïd qui obtient son bac en 1979, s’oriente vers les études littéraires. Il  doit donc quitter Tanger pour Fès, seul débouché pour les “lettreux”. Mais il supporte mal le changement pour une ville où il découvre un espèce de système de classes et un environnement bien moins propice que celui qu’il avait connu jusqu’alors. C’était déjà le cas, en 1977, quand il était “descendu” à Rabat, pourtant juste pour les formalités  de dispense du service militaire et d’obtention de passeport. Le voilà donc à l’Université de Fès à étudier les matières choisies, que sont l’Histoire et la Géographie. L’occasion pour lui, au détour d’un cours magistral, de découvrir sa passion: la climatologie. Dès lors, cette matière occupera toutes ses recherches extra-scolaires, et son parcours devient clair. Nous sommes en 1982, quand il décroche sa licence en Géographie. Il décide de monter à Paris, accompagné de son épouse, puisqu’il s’est marié entre temps. Il rappelle avoir eu la chance de suivre les premiers cours des pères de la Météorologie et de la Climatologie. “Paul Quesnney était le fondateur de la météorologie dynamique, et Pierre Laborde celui de la Climatologie. Mais lorsque je suis arrivé, ils n’étaient plus actifs et depuis lors, remplacés par Pierre Pagney et Denise Cruette. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont formé toute une génération de climatologues et météorologues Africains et Français. Je suivais les cours à la Sorbonne et parallèlement, assistais à ceux de l’Université Pierre et Marie Curie, en auditeur libre”. Arrive 1987, quand Mohamed Saïd soutient sa thèse de doctorat et l’obtient haut la main. Durant cette période où il avait accumulé une formation solide, il avait aussi tissé un réseau avec la Communauté Scientifique Internationale. Tout naturellement, on lui propose un poste à l’Agence Spatiale Européenne. “J’étais marié et je n’avais pas les mains libres. Ma femme, elle même, avait soutenu une thèse en Histoire du Monde Musulman. Nous sommes donc rentrés au Maroc”, explique-t-il, sans jamais se départir d’une simplicité de chaque instant, de ceux qui n’ont rien à prouver, ni à cacher. Il a des manières polies, ne manque pas de saluer même un serveur. On est loin des clivages sociaux et encore moins, d’une arrogance de parvenu.
A ce moment au Maroc, Mohamed Saïd Karrouk est le seul qualifié de sa spécialité. Plusieurs universités marocaines lui ont proposé le poste d’enseignant. Il opte pour Casablanca, et plus précisément pour la Faculté Hassan II de Ben Msik. Là encore, il vit la différence  avec sa bonne ville de Tanger et affronte le stress d’une méga ville. “On doit se battre en permanence. A quel saint se vouer,  entre les chauffeurs de taxis malhonnêtes et les pick pockets en nombre”, regrette-t-il. C’est à ce stade de la rencontre, que l’on réalise avoir affaire à un intellectuel filiforme, presque frêle et dont la tenue tient plus du médecin casablancais type que de l’enseignant qu’il est. Mais la Fac n’est pas une sinécure et là encore, il doit se battre pour imposer l’enseignement de sa discipline,  dont il est le seul mandataire, pour le moment, en tout cas. Son réseau international joue en sa faveur, et puisque “nul n’est prophète en son pays”, il bâtit sa notoriété à l’International. “Lorsqu’un climatologue français assiste à une conférence ou un sommet, il livre un rapport. Moi, je n’ai aucun interlocuteur pour livrer une synthèse de sociétés savantes,” pointe-t-il. Or, le Maroc n’est-il pas  signataire des protocoles des différents Sommets sur le Climat…
Dans l’intervalle, le Pr Karrouk adhère à plusieurs sociétés savantes, comme les Associations Internationales d’Hydrologie et de Météorologies, et le Programme International Climat Change (GEWEX) ainsi que le programme de Recherche sur la Modélisation Régionale. En 2001, il adhère au groupe intergouvernemental de recherche sur le climat (IPCC). Ce sera la consécration en 2007, lorsque IPCC obtient le prix Nobel avec l’ancien Vice Président Américain de Bill Clinton, à savoir Al Gore. Les fonds  du Prix seront répartis en bourses de recherches. Mohamed Saïd fait partie du comité de sélection. Nouvelle consécration lorsqu’il publie un Rapport de Recherche sur la Corrélation entre la Pluviométrie dans le Sud Marocain et les phénomènes à fort impact El Nino et El Nina. Depuis, le Pr Karrouk  continue de monter au créneau pour apporter sa pierre à un édifice, que personne ne semble décidé à construire. Parfois, on est né pour être prêcheur, même dans le désert…

 
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