Entreprises & Marchés

Peut-on protéger les consommateurs marocains ?

Les problèmes liés à la consommation donnent parfois lieu à des situations  dramatiques. Les affaires relatives aux chauffe-eaux qui auraient été importés de Chine sont toujours vivantes dans les mémoires. Un acte quotidien et normal bouleverse des destins et appelle à une vigilance accrue. Dans les années soixante, les Marocains ont été scandalisés par l’affaire des huiles frelatées. Les victimes de ces huiles ont été nombreuses et les jugements des responsables ont défrayé la chronique de l’époque. 

Aujourd’hui, le Maroc s’est doté d’une loi et d’une série d’organismes et d’institutions relevant de plusieurs départements ministériels. Le mouvement associatif de défense du consommateur est dynamique mais souffre de manque de moyens. Le fonds institué par la loi n’a pas encore connu un démarrage de ses activités. Défendre le consommateur est une affaire hautement politique qui demande un courage pour affronter certains lobbies et c’est aussi une question qui se trouve au cœur des droits de l’homme.

Evolution de la production et consommation de masse

La production de masse avait besoin d’une consommation de masse. Les transformations des systèmes de production dans un contexte de concurrence et de course effrénée vers les parts de marché ont bouleversé les comportements humains. Faire du chiffre d’affaires et enregistrer les meilleures rentabilités ne sont pas toujours conciliables avec la qualité des biens et des services qu’on cherche à faire consommer aux individus, aux citoyens, aux hommes, femmes et enfants. Consommer est un signe de niveau de vie et consommer davantage est devenu un enjeu de santé publique. Toutes les armes sont utilisées pour faire basculer la raison vers l’irrationnel. Les images et les sons sont tellement efficaces qu’ils peuvent rendre le futile trop nécessaire et l’acte de consommer un geste hautement conditionné. Les rapports qui se sont installés entre producteurs de biens ou pourvoyeurs de services et consommateurs ont nécessité des régulations pour préserver tant la liberté du commerce que les droits des consommateurs. L’histoire de cette protection dans le monde n’est pas très ancienne. Les différentes législations dans ce domaine remontent, pour les plus anciennes, aux années cinquante. Les pays développés d’Europe et d’Amérique du nord ont été les premiers à légiférer pour protéger leurs citoyens consommateurs. Chez nous ,comme dans beaucoup de pays en voie du développement, les pouvoirs publics, bien qu’ils accordent une grande importance à la protection du consommateur et notamment dans le volet alimentaire et les prix y afférents depuis longtemps, n’ont que très récemment intégré le club des pays ayant une loi sur la consommation. L’avènement du texte de loi en 2011 a été le fruit d’un travail intensif du tissu associatif et d’une volonté gouvernementale.
Avant de présenter les différentes dispositions de la loi portant les numéros 31-08, il est utile de rappeler l’évolution historique récente de la protection du consommateur à travers le monde.

La défense du consommateur: une histoire récente

C’est un américain nommé Ralph Nader qui a mené les premières campagnes du mouvement des consommateurs en 1959. L’objet de la contestation était le manque de sécurité dans les automobiles et la cible de la contestation était Chevrolet Corsair. La première association a été créée en 1971 sous le nom de «Public Citizen». Les premières dispositions en matière de droit remontent à la présidence de John Kennedy (1960-1963) avec l’adoption des quatre droits fondamentaux du consommateur (sécurité, information, représentation, choix). En Europe ,ce n’est qu’en 1975 que la communauté européenne s’attaque à la question de la défense des consommateurs en posant les droits fondamentaux dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la consultation et de la représentation dans la prise de décision et dans la protection. Le traité de Maastricht a consacré l’article 129-a à la défense du consommateur. La législation française va enregistrer une série de textes depuis 1978 et jusqu’en 2008. Les nouveaux thèmes et secteurs vont apparaitre dans les domaines de protection du consommateur et notamment en matière de surendettement, des modes de vente et des télécommunications. Le monde célèbre depuis le 15 mars 1983 une journée mondiale des droits du consommateur et une charte mondiale des droits des consommateurs est adoptée le 9 avril 1985 et révisée en1999. Cette charte propose des objectifs qualifiés de besoins légitimes : « droit de la défense, droit à l’information, droit à la sûreté, droit de choisir, droit à l’éducation du consommateur, droit au recours du consommateur, liberté de former des groupes de consommateurs, promotion de types de consommation appropriés et des intérêts économiques des consommateurs. Plusieurs de ces objectifs semblent avoir pour origine les droits de l’homme». Le débat sur le cadre juridique adéquat pour assurer la protection du consommateur est toujours une question d’actualité. Le recours aux expériences des différents systèmes de droit et la pratique du copier –coller en matière de législation ne pourraient apporter toutes les réponses aux questions spécifiques locales et partant, nécessitant une adaptation aux réalités de l’espace et du moment. La législation marocaine a semble-t-il tenté de répondre aux attentes des associations et des exigences démocratiques d’un pays en transition.

La loi 31-08 et la protection du consommateur

Adopter une loi dans ce domaine n’est pas une opération qui vient combler un vide sur le plan juridique. Les dispositions des codes de commerce ou les codes civils incorporent des dispositions relatives à la protection du consommateur. La note de présentation de la loi marocaine dans ce domaine la présente comme un cadre complémentaire du système juridique. Cette loi vient renforcer les droits fondamentaux du consommateur que sont le droit à l’information ; le droit à la protection de ses droits économiques; le droit à la représentation ; le droit à la rétractation et le droit à l’écoute. Informer d’une manière claire et appropriée sur les produits, les biens et les services et garantir une protection contre les clauses abusives et celles relatives aux services financiers (crédits à la consommation et crédits immobiliers) et contre les défauts de la chose vendue.
Le texte organise la relation entre le consommateur et le fournisseur. L’article 3 définit les devoirs du fournisseur et l’oblige à informer « par tout moyen approprié, le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du produit, du bien ou du service ainsi que l’origine du produit, ou du bien et la date de péremption, le cas échéant, et lui fournir les renseignements susceptibles de lui permettre de faire un choix rationnel compte tenu de ses besoins et de ses moyens. A cet effet, tout fournisseur doit notamment par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix des produits et biens et tarifs des services, et lui fournir le mode d’emploi et le manuel d’utilisation, la durée de garantie et ses conditions ainsi que les conditions particulières de la vente ou de la réalisation de la prestation, et le cas échéant, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle. » La loi favorise le consommateur au niveau de l’interprétation des clauses (article 10) et le protège contre les clauses abusives (article 15). La publicité est règlementée pour éviter toutes les pratiques qui peuvent fausser la présentation du produit ou du service (articles 22-23-24) et le droit de rétractation du consommateur est assuré par la loi (article 35).
L’apport réel de la loi réside dans le rôle assigné aux associations de consommateurs. Le titre VII est consacré à ce volet de la défense du consommateur. L’association constitue un relai nécessaire pour un citoyen seul et démuni de moyens pour se défendre contre des pratiques qui nuisent à ses droits. « Les associations de protection du consommateur, constituées et fonctionnant conformément à la législation et la réglementation en vigueur relatives au droit d’association, assurent l’information, la défense et la promotion des intérêts du consommateur, et concourent au respect des dispositions de la présente loi. » (Article 152) La loi pose dans son article 153 les cas qui ne peuvent permettre à une association de se prévaloir du statut de défense du droit du consommateur. Les membres ayant la qualité de personnes morales ayant une activité à but lucratif et les associations recevant des subventions d’entreprises ou poursuivant un but politique ne peuvent exercer des activités dans la défense des consommateurs. Elles peuvent être reconnues d’utilité publique. La « fédération Nationale de protection du consommateur acquiert de plein droit la reconnaissance d’utilité publique. Les statuts de la Fédération Nationale de protection du consommateur sont fixés par décret. La reconnaissance d’utilité publique lui est conférée par décret. »

Le financement des activités des associations : c’est pour quand ?

Défendre les consommateurs n’est pas une tâche facile. Son accomplissement nécessite des moyens humains de qualité et des profils spécialisés dans les domaines juridiques, dans les techniques nouvelles de l’information et dans les secteurs ayant un lien avec le consommateur. Au Maroc, le nombre d’associations est estimé à 100 dont seul un nombre limité d’entre eux a une activité régulière. Les entretiens avec certains responsables associatifs permettent de constater le manque de moyens dont ils disposent. Agir dans le domaine de la protection du consommateur nécessite des ressources financières conséquentes. Gérer des locaux, avoir des permanents et pouvoir recourir à des consultants coûte de l’argent. Les seules cotisations des membres ne peuvent couvrir qu’une infime partie des coûts de fonctionnement. La loi a reconnu la nécessité de mettre en place des financements adaptés aux activités des associations. L’article 156 institue, conformément à la législation en vigueur, un « Fonds National du Consommateur». Ce fonds doit financer les activités et les projets visant la protection du consommateur, »à développer la culture consumériste et à soutenir les associations de protection du consommateur constituées conformément aux dispositions de la présente loi. Le ministère du Commerce, de l’Industrie et des Nouvelles Technologies est chargé de la gestion de ce fonds.
Les ressources de ce fonds sont constituées: des dotations du budget général ; d’un pourcentage des amendes perçues à la suite des contentieux sur lesquels il a été statué en vertu de la présente loi ; des dons et legs au profit du fonds ; et de toutes autres ressources obtenues légalement. Seront fixés par décret, le régime d’administration du fonds, de gestion de ses finances »
Les associations sont toujours en train d’attendre la mise en place du fonds. Leur fédération tente de pousser le gouvernement à mettre dans le circuit décisionnel le projet de fonds. Trois années sont passées sans que l’acteur principal du dispositif de la protection du consommateur ne trouve l’appui nécessaire à son action. Le traitement de milliers de réclamations et le lancement des procédures d’arbitrage, de contentieux ou de médiation se trouve handicapé par le manque de moyens.
En France, les associations de consommateurs sont devenues puissantes et leur action a un impact réel sur les fournisseurs. En une année, En France, au premier semestre 2008, les plaintes enregistrées ont atteint plus de 70.000 et ont porté essentiellement sur le secteur de la communication et la téléphonie (28,3%) et le secteur non alimentaire (23,5%). Les produits alimentaires ne représentent que 5%. Cette dernière indication montre la force des contrôles sur la qualité des produits alimentaires et l’évolution des autres domaines dans l’échelle d’importance des domaines de protection du consommateur .Les principaux problèmes rencontrés sont l’inexécution de la prestation (totale ou partielle) ; la publicité mensongère ;le problème de livraison (délai, marchandise abîmée…) ; le problème de facturation (contestation du prix) ; la non prise en compte d’une demande de résiliation. Les plaintes ont connu une évolution jusqu’en 2010. En 2011 leur nombre a baissé de 2,3 %. (90 125). L’évolution de la médiation est un des facteurs expliquant cette baisse.

La protection du consommateur : quel lendemain ?

Les politiques de protection du consommateur au Maroc sont récentes et appellent un renforcement des dispositifs et des acteurs. Le niveau social et culturel du consommateur marocain ne permet pas encore de faire évoluer la culture de défense du citoyen consommateur. Les nouvelles technologies de l’information compliquent la situation du citoyen dans certains domaines et la complexité des contrats que signent, même les consommateurs les plus avertis, sont de plus en plus inintelligibles. Le tissu associatif doit être soutenu et le gouvernement est dans l’obligation de continuer à donner la priorité à la protection du consommateur. Si Abbas El Fassi a pu faire la loi 31-08, Abdelilah Benkirane a le devoir de mettre en place les mécanismes de naissance du fonds de financement de la protection du consommateur. Les travaux de préparation du projet de loi de finances vont bientôt débuter. Ne pas intégrer le fonds dans les dispositions de cette loi ne pourrait recevoir qu’une seule interprétation : L’abandon du consommateur. 

 
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