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Que deviennent les comptes bancaires dormants ?

N’abandonnez jamais un compte bancaire sans le clôturer. C’est ce que révèle l’analyse de la loi. Il y va de vos sous. par C.A.H.

Pour de multiples raisons, de nombreux comptes bancaires se trouvent en état «d’abandon» ou «d’oubli». C’est un phénomène qui existe dans tous les pays, abstraction faite du niveau de développement de leur système bancaire même s’il a tendance à prendre de l’ampleur en période de conflits, de crises ou de catastrophes (décès, disparitions, déplacements etc.). Ces comptes, appelés dans le jargon bancaire, «comptes en déshérence » ou « comptes inactifs » font généralement l’objet d’une réglementation spéciale dont le but est de leur assurer une bonne protection.
Les avoirs non réclamés pendant quinze ans sont frappés de prescription en faveur de l’Etat. La loi bancaire marocaine qui fait actuellement l’objet d’un projet de refonte prévoit, dans le cadre de son dispositif de protection des déposants, des règles relatives aux «comptes inactifs». Le principe retenu est que les banques sont tenues de clôturer les comptes non mouvementés depuis dix ans. Mais avant la clôture des comptes, l’établissement bancaire doit adresser un avis au titulaire du compte ou à ses ayants droit, dans un délai de six mois avant l’expiration de la période de dix ans. Si le client ou ses ayants droit ne se manifestent pas, les fonds sont versés à la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) qui les gardera à la disposition des titulaires des comptes et de leurs ayants droit pendant une durée de cinq ans.
A l’expiration de cette durée de cinq ans, les fonds et valeurs, frappés de prescription au profit de l’Etat, sont versés au Trésor. Les titulaires des comptes ainsi que leurs ayants droit, propriétaires légitimes des fonds, perdent à partir de cette date toute possibilité de les récupérer.
Un système peu protecteur des intérêts des épargnants.
Tel qu’il est conçu, ce régime ne protège pas suffisamment les intérêts des épargnants et de leurs héritiers ; il se présente plus comme un système d’organisation de la prescription des comptes bancaires au profit du Trésor Public, que comme un système de protection des épargnants.
Le dispositif relatif aux « comptes non mouvementés » institué par la loi bancaire ne prévoit que très peu de garanties en faveur des épargnants ; aucun système de recherche et d’identification des bénéficiaires des fonds n’est mis en place ; les banques ne sont tenues à aucune obligation de recherche des bénéficiaires des fonds. La loi leur permet de garder sous un voile de silence les fonds en déshérence pendant dix ans ; durant toute cette période, aucun effort de recherches des titulaires des comptes ou de leurs héritiers n’est exigé ; une simple lettre recommandée est envoyée avant le transfert des fonds à la Caisse de Dépôt et de Gestion à la fin de cette période. Attendre dix ans pour envoyer la première lettre aux «bénéficiaires» les informant de l’existence de fonds ne semble pas justifié et rend l’identification des bénéficiaires très difficile en raison de l’écoulement du temps.
 En l’absence d’un dispositif de suivi statistique, le phénomène des « comptes en déshérence » n’est pas connu avec précision, aucun chiffre ne circule concernant le stock de ces comptes. Les causes du développement des «comptes dormants» ne sont pas non plus déterminées avec précision. Si le décès des titulaires des comptes est sans doute la source principale de ce phénomène, d’autres facteurs y contribuent aussi, notamment l’absence d’un cadre légal et réglementaire rigoureux, imposant le traitement régulier de ces comptes afin de réduire leur ampleur pour une meilleure protection des intérêts des épargnants.
Par ailleurs, le système actuel de traitement des comptes en déshérence, porte préjudice aux intérêts des bénéficiaires de fonds au niveau de la durée de prescription en faveur de l’Etat qui n’est que de quinze ans ; c’est une durée trop courte ; pour s’en rendre compte, il suffit de comparer avec le droit français qui retient une prescription trentenaire, c’est-à-dire deux fois ce que prévoit la loi marocaine.
L’épargnant au Maroc se trouve pénalisé doublement par le régime applicable aux comptes inactifs, d’un côté par une sorte de règle de silence qui dure dix ans et d’un autre côté, par l’organisation d’un système de prescription expéditive qui permet à l’Etat de s’approprier les fonds au détriment de leurs « propriétaires légitimes ». Au moment où le pays se trouve engagé dans un processus de renforcement des droits des citoyens, il semble qu’il est temps de revoir le dispositif juridique des comptes en déshérence. Les axes d’amélioration sont multiples mais les deux principaux concernent l’information des titulaires des comptes et de leurs héritiers et aussi la durée de la prescription des fonds en faveur de l’Etat.
Pour une meilleure préservation des intérêts des déposants, il serait souhaitable d’abolir la «règle du silence de dix ans» et d’instaurer une règle qui impose à la banque d’informer à temps le titulaire du compte et éventuellement ses héritiers. Ceci va permettre d’identifier et de localiser plus facilement les bénéficiaires des fonds. De même, un système de recherche doit être institué à l’échelle nationale ; il peut être utilisé à la fois par le public, les banques, les notaires et les adouls. La recherche des bénéficiaires doit continuer même après le transfert des fonds à la Caisse de Dépôt et de Gestion. L’objectif du système serait la recherche de l’identification des bénéficiaires des fonds pour éviter leur prescription au profit de l’Etat. C’est pourquoi, une obligation de recherche des bénéficiaires légitimes des fonds à la charge des banques et de la Caisse de dépôt doit être instituée.
D’un autre côté, la préservation des droits des épargnants passe inévitablement par l’allongement de la durée de la prescription des fonds qui mérite d’être portée à trente ans, comme c’est le cas dans de nombreux pays. Etant souligné toutefois, que l’allongement de la durée de la prescription ne peut avoir d’effet que si le système de recherche impose à la CDG de mener des recherches pendant toute la durée de conservation des fonds. Ceci pourrait justifier en partie la fructification des fonds par la CDG avant leur versement au Trésor. Une telle refonte de la législation relative aux comptes en déshérence permettra sans doute de rétablir les droits d’un nombre important de citoyens qui voient leur épargne s’évaporer, tout simplement pace qu’ils ignorent son existence auprès des banques. Si le phénomène de comptes en déshérence était toléré par le passé, dans la société moderne dont le point fort est la facilité d’accès à l’information, il doit être abordé autrement afin de le faire tendre vers la disparition.
En France, le législateur vient d’adopter une nouvelle loi régissant les comptes en déshérence ; cette loi qui entre en vigueur le premier janvier 2016 place la recherche du titulaire du compte et de ses ayants droit au cœur du dispositif. Les banques sont tenues d’effectuer des recherches annuelles et de publier périodiquement des statistiques concernant les comptes inactifs (nombre, encours, comptes dont la gestion est transférée à la CGC…). La Caisse de Dépôt et de Consignation de son côté est soumise à l’obligation de publier sur son site officiel la liste des comptes inactifs, offrant ainsi la possibilité au grand public d’effectuer des recherches.

 
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