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Ramadan et fiscalité : la TVA ne pratique pas le jeûne !

dans l’Oriental ou au Sud, il est possible d’acheter des dattes algériennes ou mauritaniennes en dehors du circuit formel et donc sans versement de taxe.

De l’aube au coucher du soleil, le Marocain, comme d’autres musulmans pratiquants dans le monde, observe le jeûne. C’est un moment qui rappelle surtout que la vie ne peut pas être réduite uniquement aux choses du ventre. Pourtant, et paradoxalement, Ramadan est le mois où la consommation des produits alimentaires connait une croissance exceptionnellement importante. Pendant ce temps, l’Etat, lui, ignore le jeûne. C’est que sa reproduction nécessite une alimentation permanente à travers l’impôt. par M. Amine

Instant crucial autour de la table, au moment de la rupture du jeûne. La table varie d’une catégorie sociale à une autre. Mais la TVA est aveugle sur cette table. Le taux est le même : famille pauvre ou démunie, classes moyennes, famille aisée ou super riche. Certes, il y a des dattes à 200 dirhams le kg et même plus, destinées aux ventres bien gras, et des dattes à 20 dirhams toutes maigrichonnes, destinées à la masse. Toutes les deux, si elles sont produites et conditionnées au Maroc, sont exonérées de la TVA. Importées, elles doivent subir cette taxe au taux de 20% avec des droits de douanes. Mais dans l’Oriental ou au Sud, il est possible d’acheter des dattes algériennes ou mauritaniennes en dehors du circuit formel et donc sans versement de taxe. Les figues sèches ne sont plus exonérées depuis 2014. Elles sont passées de 0 à 20%, comme d’ailleurs les raisins secs.
Vous pouvez manger quelques œufs généralement exonérés de la TVA, car distribués dans les petits commerces. Mais attention avec la Chabakia, car elle comporte beaucoup de sucre taxé au taux de 7%. Et le lait, si vous le prenez frais, est exonéré. Mais en poudre, vous payez une TVA au taux de 7%.
Le bol de soupe est préparé avec du sel taxé au taux de 10%, autrefois exonéré. Avec un peu de chaâria (pâtes alimentaires), taxée au taux de 10% que M. Benkirane voulait rehausser l’année dernière à 20% ou avec du riz usiné taxé au même taux. La tomate en conserve est taxée au taux de 20%.  Et pour préparer ce bol de soupe, le gaz utilisé est aussi taxé à 10%. Et le transport pour ramener tout ça est taxé au taux de 14%. Ce malin voulait boire du jus naturel sans sucre, pour ne pas payer de taxe. Mais il a oublié de préparer le jus manuellement et a utilisé son appareil Moulinex. Résultat, il a payé sans se rendre compte une TVA sur l’énergie électrique au taux de 14%. Certains aiment un bon thé après le repas. Pour cette consommation typiquement marocaine et fortement présente surtout dans les milieux populaires, M. Benkirane a augmenté le taux de TVA, cette année, de 14 à 20%. En faveur des grands producteurs de limonades. Le café est taxé depuis longtemps au taux de 20%.

Le beurre est taxé au taux de 14%

Le beurre est surconsommé en ce mois de Ramadan. Autrefois exonéré, le voilà aujourd’hui taxé au taux de 14%. Et tout est préparé avec une eau livrée aux réseaux de distribution publique, taxée au taux de 7%. Des taux de TVA certes réduits, mais qui frappent souvent des produits et des services de large consommation, et donc génèrent une recette fiscale assez consistante pour le Trésor. Les briouates et autres gâteaux achetés dans les grandes pâtisseries, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 2 millions de dirhams, sont taxés au taux de 20%. Mais là, en général, c’est l’informel qui domine. Car, ne l’oublions surtout pas, en ce sacré mois de Ramadan, les espaces publics se transforment en cuisines à ciel ouvert. Les micro activités se multiplient à merveille pour servir des produits alimentaires. Les autorités locales lâchent du lest. C’est aussi un mois socialement et politiquement chaud. La température augmente et l’ « œil de mica » est nécessaire. Les locaux commerciaux souffrent de cette concurrence déloyale. Beaucoup ferment pour procéder à des travaux de réparation, de peinture…
Dans les administrations publiques, mais aussi dans presque tous les secteurs économiques, le rythme de production diminue. Les absences sont plus fréquentes. Par contre, les mosquées sont plus fréquentées. L’alcool n’est plus servi dans les bars, ni vendu dans les grandes surfaces. Taxe intérieure à la consommation, taxe sur les débits de boisson et TVA au taux normal ou au taux spécifique sur les boissons alcoolisées, sont aussi en congé annuel. Elles se reposent avant de reprendre leur danse frénétique de l’été. La taxe de licence aussi est en veilleuse. C’est une taxe discrète créée en 1967, avec un soubassement juridique peu orthodoxe, payée par les restaurants et les bars servant de l’alcool. Pourtant, les recettes fiscales qui en proviennent sont versées dans le budget général de l’Etat pour servir ensuite de dépenses publiques après avoir été miraculeusement «hallallisées». Mais Ramadan est un mois qui se veut pur. La consommation du cannabis se démultiplie pour remplacer la boisson divine. Le cannabis, contrairement aux boissons alcoolisées, échappe totalement au circuit formel. Comme de nombreuses autres activités illicites, il fait partie de cette dimension inconnue qui rend le PIB incompréhensible et difficile à toute tentative de compréhension de la répartition et de l’origine de certaines richesses.

La Zakat, un vestige fiscal à revisiter

Et presque à la fin du mois de Ramadan, surgit un vestige fiscal : la Zakat. Elle revient chaque année, pour nous rappeler que nous sommes dans la modernité sans avoir jamais quitté la tradition. Elle est l’un des meilleurs indicateurs du caractère composite de notre société. Elle est certes volontaire. Mais, bien que d’un montant symbolique, elle pèse de tout son poids sur la psychologie du musulman.
La Zakat pourrait cependant être revisitée et réhabilitée à la lumière de la réalité sociale actuelle. Elle peut devenir un véritable impôt sur le patrimoine, consacrant ainsi fondamentalement l’esprit et la lettre des articles 39 et 40 de la Constitution,  et conciliant ainsi tradition et modernité, passé, présent et avenir. Elle peut devenir une ressource publique permanente pour agir sur les inégalités sociales qui génèrent la pauvreté. Ce ne sera plus une simple démarche caritative, volontaire, individuelle et limitée dans le temps. Elle devra faire partie d’un projet de société fondé sur la solidarité et la justice sociale. Pour le moment, bon appétit ! n

 
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