Economie

Regard des institutions de Bretton Woods sur le Maroc : une évolution notoire

 
Ceux qui ont vécu les tempêtes financières que nous avons traversées dans les années quatre vingt et qui ont donné lieu au premier programme d’ajustement structurel (PAS) se souviennent toujours des discours  politiques de l’époque. Les gouvernements successifs ayant meublé les cabines de commande de notre économie et de nos secteurs productifs et sociaux ont essuyé les critiques pour la prééminence qu’ils ont accordée à la logique compactable au détriment des logiques économiques et sociales. En ligne de mire des élites et les profanes, figuraient   les institutions financières internationales et notamment le FMI et la Banque mondiales. Tous les maux du tiers monde étaient, à ces époques, attribués aux « néocolonialisme financier » dont les portes étendards n’étaient que celles ayant vu le monde à Bretton Woods et qui sont logées à Washington DC. La notion de gouvernance n’était pas, à cette époque, aussi connue qu’aujourd’hui. Même les moins doués en matière de gestion des finances publiques se transformaient en militants anti ajustement. Certains dictateurs africains de l’époque ont trouvé l’occasion d’opérer une opération de transfert de la responsabilité des maux de leurs peuples  sur le  pouvoir des finances internationales symbolisé par le FMI et la Banque Mondiale. Le véto de ces institutions sur les programmes sociaux et le peu d’ouverture de leurs responsables par rapport à ceux ayant opéré les changements des orientations et des politiques n’était pas non plus étranger à cette animosité à l’égard de ce pouvoir supranational. L’arrivée des missions  de la Banque Mondiale et du FMI dans les pays était synonyme de nuits blanches pour les cadres des départements chargés des finances et de stress pour les responsables politiques devant signé les engagements de restriction en matière budgétaire et économique. L’atmosphère était lourde. Les réserves de change ne permettaient que des couvertures minimes des besoins d’importations. A l’époque  ce n’était pas en nombre de mois d’importation que le seuil du stress en matière de volume des avoirs extérieurs nets était mesuré mais en nombre de jours. Cet épisode allait connaitre une évolution positive vers le fin des années quatre vingt. Une période courte d’accalmie et de rétablissement a pu permettre une amélioration des comptes et notamment ceux relatifs au déficit budgétaire et à celui du courant de la balance des paiements. L’arrivée du gouvernement de la première alternance coïncidait avec le fameux  diagnostic de Feu Hassan II concluant que le corps de l’économie nationale allait vers la « crise cardiaque ». L’embellissement  des comptes au début du troisième millénaire  s’accompagnait de plusieurs opérations de privatisation, d’un allégement du poids de la dette extérieure et même d’un début de la gestion active de cette dernière. L’épargne intérieure allait jouer un rôle important dans le financement du Trésor. Plusieurs indicateurs étaient passés au vert et ont permis le lancement de grands projets d’infrastructures. Les plans de développement sectoriels remontent à cette période. Tanger Med, les autoroutes, le plan azur et l’INDH ont créé une dynamique qui a eu un impact psychologique sur le moral des citoyens. L’accès à la propriété est devenu un projet faisable pour de nombreux chefs de foyers de condition modeste. Entre temps, la crise financière mondiale s’est invitée dans l’imaginaire de la population d’une grande partie de la planète. Les images des Américains victimes des produits dérivés et se trouvant dans l’incapacité d’honorer les paiements de leurs crédits à taux variable ont fait le tour de la terre. Leur impact a été vite ressenti au niveau des marchés de l’immobilier. Le passage de la crise financière à la crise économique s’est effectué comme l’avait prévu les plus réalistes des décideurs et des économistes. Le marché de l’emploi  s’est détérioré dans la plupart des pays  comme résultante d’une baisse de la demande au niveau de tous les secteurs de production et même au niveau des services. Dépendant de son environnement tant au niveau des transactions commerciales, qu’au niveau des différents transferts et notamment ceux liés au tourisme et à la situation des MRE (Marocains résidents à l’étranger), le Maroc n’a pas échappé à la crise et ce malgré les propos rassurants et naïvement optimistes de certains de nos  responsables lors du déclenchement de la crise financière.
Les déséquilibres de nos comptes et le poids des factures sociales (compensation, recrutement de fonctionnaires, dépenses de l’enseignement et de la santé…) ont  réouvert  le dossier du recours aux services des institutions de Bretton Woods. Le FMI et ses experts ont réapparu dans les couloirs de nos ministères  et la Banque Mondiale a commencé une nouvelle ère de relations avec notre pays. Le contexte est certes différent par rapport à celui ayant prévalu dans les années quatre vingt, mais l’ombre des mesures de restriction budgétaire plane sur le paysage marocain. Le discours de ces deux institutions a changé comme l’attestent deux documents qui remontent à quelques mois (Banque Mondiale : document de présentation pays actualisé au mois d’avril 2013 et entretien du bulletin du FMI avec  le chef de la mission du FMI pour le Maroc 2012). La lecture de la situation du pays n’est pas réduite à une constatation de la dégradation des indicateurs, mais dénote d’une prise en compte de la stabilité politique et  des questions sociales.
 
La lecture de la Banque Mondiale : bonne note pour les réformes politiques et mauvaise note pour la corruption, la pauvreté généralisée et pour le record en matière des disparités sociales

Les reformes politiques ont débuté au Maroc 1999 avec l’accession au trône du Roi Mohammed VI. L’élan ininterrompu de ce processus explique en grande partie le caractère pacifique des événements survenus depuis le mois  de février 2011. Le constat de la Banque mondiale est clair. Le Maroc n’a pas attendu l’événement du printemps arabe pour s’inscrire dans la vie démocratique. « Les différents gouvernements qui se sont succédés ont procédé à une transformation politique, économique et sociale de taille ». La reconnaissance de ces efforts   par une institution financière de l’importance de la Banque Mondiale est un témoignage de confiance et du maintien de la coopération. N’oublions pas que le Conseil d’administration de cette institution représente les pays les plus puissants du monde et qu’à travers ses décisions, il reflète le regard que portent ces pays sur la situation politique et économique du pays. Le tableau présenté n’est pas exempt de taches noires. Le document de la Banque fait une allusion très marquée à nos maux en indiquant que les différentes politiques suivies n’ont pas pu « parvenir à bout de la corruption endémique, de la pauvreté généralisée et d’une situation qui fait du Maroc le champion du monde arabe pour les écarts entre riches et pauvres ». Ce sont les mêmes constats que font les leaders des mouvements de contestation et  l’ensemble des acteurs de la société civile ainsi qu’une partie de la société politique. Les opposants des années soixante dix et même ceux des années quatre vingt ne peuvent qu’être éblouis par les propos de cette institution rangée, depuis longtemps, dans le cercle des outils de  « l’impérialisme ».
Le caractère innovant de la nouvelle Constitution est souligné et avec lui l’arrivée de Benkirane à la présidence du gouvernement. Le PJD est  considéré comme étant « une formation islamiste modérée qui a traditionnellement appartenu à l’opposition active et dont l’audience a cru régulièrement ces dernières années ». Le suivi des formations politiques et de leurs audiences est aussi minutieux que le suivi de l’état de l’économie. La Banque Mondiale n’oublie  pas d’affirmer que le Roi reste « populaire en tant que garant de la stabilité et de la cohésion sociale » mais émet en filigrane un avertissement  comme l’atteste le paragraphe suivant : « La population attend de fait que le gouvernement rompt avec le passé et engage des réformes plus rapides et plus crédibles, surtout en matière de création d’emplois, de gouvernance et d’amélioration de la qualité des services publics. Pour être moins spectaculaires, les changements n’en sont pas moins significatifs, le Maroc étant à la veille d’une possible transformation sociale, politique et économique radicale».
La Banque insiste sur les reformes mais considère les intentions du gouvernement dans le domaine de la réduction des subventions comme un volet « ambitieux »  du programme gouvernemental. Trois mois après ce constat, le dossier de la compensation, comme d’autres dossiers annoncés comme urgents, n’a pas connu un début d’action.
 
La lecture du FMI : confiance et nécessaire réforme des subventions universelles

Accorder une ligne de précaution et de liquidités d’une valeur de 6,2 milliards de dollars au Maroc pour se prémunir contre les hausses incontrôlables du prix du pétrole et les retombées de la crise des partenaires européens sur l’économie nationale est un signal de confiance à l’égard du pays. Le chef de la mission du FMI pour la Maroc a affirmé dans le bulletin en ligne de son institution que le Maroc  « compte à son actif des fondamentaux solides et des politiques saines ». La référence aux choix politiques  renforce l’image positive des partenaires et des investisseurs et nécessitent une consolidation des résultats atteints à travers la ligne sus visée.
Le regard sur l’évolution du paysage politique est semblable à celui de la Banque mondiale. Le gouvernement de coalition a été constitué dans le cadre d’une Constitution qui a procédé à un »rééquilibrage des pouvoirs » et a octroyé un rôle plus important au Parlement dans le contrôle de l’exécutif. L’autonomie du pouvoir judiciaire est soulignée comme étant un pas positif. Cet édifice institutionnel  est un des jalons pour répondre aux revendications sociales. Le système des subventions universelles hypothèque l’augmentation des investissements et affaiblit les politiques de création de l’emploi. La réforme de la caisse de compensation est stratégique. Rares ont été les périodes où cette institution a autant avancé dans les questions politiques et sociales. Le maitre mot des années quatre vingt était « la vérité des prix ». L’évolution est louable. Les subventions ne sont plus regardées comme hérétiques par rapport au dogme. Le ciblage des plus démunis est hautement sollicité et sera le signe d’une justice sociale.
Le printemps arabe a fait des émules jusque dans les institutions de Bretton Woods. Le monde change. Les classes démunies et celle qualifiée de moyenne trouveraient dans ces institutions des avocats plus virulents que certains militants noyés dans les jeux politiciens.

 
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