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Transition démocratique et liberté d’expression

Débat. Les médias sont la vitrine d’une société plurielle et en mutation. Leur rôle est capital dans une transition démocratique. Cerner ce rôle était justement l’axe central du Débat de Skhirat les 16 et 17 octobre.  par Driss Al Andaloussi

C

’est dans une ambiance d’abondance en questionnements, d’hésitation en matière de réponses et de voyage à travers des expériences et des concepts que s’est déroulé le voyage qui a été proposé par la HACA à des professionnels du monde médiatique lors de l’atelier de Skhirat les 16 et 17 octobre. La multidisciplinarité et les sauts technologiques ont opéré des mutations énormes dans le paysage de la production de l’information. Le discours sur les grands principes comme la liberté, la démocratie ou la transparence véhicule des ambitions et retrace les frontières dont certaines demeurent intangibles. Certaines institutions internationales comme l’Union Européenne, qui a contribué à l’organisation de cet atelier, s’intéressent à la liberté de la presse et la considèrent comme étant primordiale dans les relations avec les pays tiers.  

Liberté d’expression et norme juridique : difficile conciliation !

La présidente de la HACA  a tenu à préciser en guise d’ouverture de l’atelier qui a coïncidé avec la journée internationale de lutte contre la pauvreté, que celle-ci n’a pas qu’un visage matériel ou monétaire, mais aussi et surtout une dimension liée à la liberté. Les débats ont fait de la liberté d’expression l’axe central des différents panels qui ont porté sur l’environnement juridique, politique et normatif, sur l’opinion publique et le discours médiatique et enfin, sur la problématique de l’éthique journalistique et de la régulation.

Le juge a toujours un regard sur le travail médiatique lié à la norme juridique qui l’encadre. De persuasive, la loi peut élargir les passages vers le monde de l’interdit. L’énoncé des principes et des moyens de les contourner est le propre de la norme en matière de l’information. La convention européenne des droits de l’homme a tenté de concilier le principe de non-ingérence et le droit de protection. Il n’y a pas de droit absolu en matière d’expression. Les discours considérés comme véhiculant des messages de haine et ceux pouvant nuire à l’intégration nationale ou à la sécurité peuvent pousser le juge à limiter les marges de liberté. La jurisprudence est dense en la matière au niveau européen. Chez nous, les restrictions à la liberté d’expression constituent un problème qui est semble-t-il en voie d’une partielle résolution. Les limitations existeraient toujours, mais l’emprisonnement du journaliste ne figurerait plus dans le code de la presse. 

 Le printemps arabe ou l’hiver des medias !

Les pays arabes qui font leur  «printemps» ont enregistré une contribution des medias dans toutes les évolutions politiques connues par ces pays. Les medias ont porté les discours de la société civile et de ses composantes. Les transitions politiques qu’ont connues plusieurs régions du monde n’ont pas été aussi « dramatiques » que celles du monde arabe. L’Europe de l’Est et l’Afrique ont réussi des transitions dans lesquelles l’occident a été un vecteur d’appui et de facilitation du passage vers les nouveaux horizons. La question idéologique et notamment, la dimension islamiste dans les changements ont fait de la chute des dictateurs un début de lutte pour le pouvoir. Les protagonistes sont jusqu’à aujourd’hui, sur la scène médiatique. La dichotomie entre medias en tant que véhicule «non objectif » et généralement de «producteur » de l’information ne facilite pas la transition dans les mêmes conditions qu’en Europe de l’Est ou qu’en Afrique. 

Le discours médiatique et ses supports peuvent être décodés à travers  plusieurs modes de lecture. C’est d’abord un discours qui peut recevoir des traitements culturels, linguistiques et politiques. Il porte des systèmes de valeur et partant, des jugements sur l’autre et sur sa vision et son action. Les grands groupes de medias ont façonné des discours qui obéissent à des logiques qui les dépassent parfois. Même le lexique journalistique peut atteindre des degrés de sacralité qui déterminent le seuil du «professionnalisme» du journaliste et sa capacité à s’adapter aux références de performance dans certaines chaines de télévisions ou certains grands titres de la presse écrite.

La transition démocratique est un concept, mais aussi une méthode de gestion du temps politique. La question de sa durée a été posée autant que la capacité à pouvoir distinguer entre les programmes politiques. L’acteur central dans ce questionnement, à savoir le journaliste, vit, selon certains intervenants, dans la précarité. Le marché de la publicité rend difficile la pérennisation du financement des medias. La lecture de la presse est boudée par une très large catégorie de marocains. Les chiffres relatifs à la presse écrite frôlent le ridicule.

Le discours médiatique se trouve au centre de plusieurs contradictions. Celles-ci posent le problème de l’inexistence de l’objectivité en tant que concept et mode de fonctionnement. Le « journalisme citoyen » est une manière de tromper les gens. Seuls les professionnels peuvent accomplir cette mission avec un minimum d’honnêteté.  

Opinion publique : existe-t-elle ?

Le débat a porté aussi sur l’axe de l’opinion publique. Existe-t-elle ? Est-elle plurielle ou non ? Les réponses à ces questions sont difficiles. L’opinion publique n’intéresse que l’Elite et les medias ne peuvent que créer l’étincelle sans pouvoir garantir la pérennité des effets de mouvements cherchant le changement. Le professionnel ne peut continuer à vivre par le mensonge ou par la création de phénomènes qui n’existent pas. Le contrôle extérieur ne peut être plus efficient que la gouvernance de l’intérieur des medias. L’opinion publique a été considérée comme l’axe le plus difficile du débat par certains participants. L’opinion publique ou l’opinion d’un public et non pas du public en général.

 La régulation est un mode de gouvernance étatique pour garantir le respect d’un certain nombre de règles. En France, le CSA est chargé du secteur audiovisuel. La presse écrite se trouve confrontée, lorsqu’elle provoque des situations de « conflit », aux tribunaux. La régulation de l’internet est encore absente du paysage. Certains grands pays ne sentent aucun besoin à la régulation des medias internet. Le débat sur la régulation n’est pas terminé et renvoie aux évolutions futures et à la dimension de plus en plus grande que prennent les images non régulées par rapport aux images régulées. C’est ce qui a fait dire à l’ancien patron du CSA que l’Age d’or de la régulation est en train de connaitre sa fin. 

 
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