Interview

Abdelmalek Alaoui : «Le Maroc n’est jamais aussi fort que dans la tempête»

Auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier « Le Temps du Continent » – qui a obtenu en 2018 le prix Turgot du livre d’économie francophone de l’année – Abdelmalek Alaoui vient de publier un nouveau livre intitulé « Le Temps du Maroc, 2020-2021 Résilience et émergence du Royaume chérifien ». L’économiste, CEO de Guépard Group, société de conseil en stratégie, analyse et met en perspective l’évolution du Maroc durant les 500 jours de pandémie, entre 2020-2021. Il en révèle les secrets, les moments de doute et de dépassement, mais aussi les échecs. Dans cette interview, Abdelmalek Alaoui revient sur les idées fortes qui ressortent de cet ouvrage, écrit au jour le jour.

Challenge : Vous venez de publier un livre intitulé « Le Temps du Maroc, 2020-2021 Résilience et émergence du Royaume chérifien ». Que voulez-vous mettre concrètement en perspective dans cet ouvrage ?

Abdelmalek Alaoui : L’envie d’écrire ce livre m’est venue en parcourant à nouveau un ouvrage des années 80, « Nous Marocains, permanences et espérances d’un pays en développement » sous la plume acide mais bienveillante de Yahya Benslimane. J’ai voulu dans mon livre essayer de dépasser les clichés éculés et souvent « orientalistes » sur le Maroc, et expliquer la singularité du modèle marocain, avec ses limites, mais également ses lignes de force et surtout, sa nouvelle position dans le concert des nations. La pandémie était, selon moi, le prétexte idoine, car c’est un moment d’accélération de l’histoire, ou le meilleur, comme le moins bien, se révèlent souvent.

Challenge : Votre livre analyse et met en perspective l’évolution du Maroc durant les 500 jours de pandémie, entre 2020-2021. Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué sur la manière dont cette crise sanitaire et économique a été gérée au Maroc ?

A.A : Sans hésiter, la capacité collective du Maroc de se sublimer et de faire  « cristalliser » plusieurs écosystèmes qui ont souvent du mal à travailler de concert. J’ai également été marqué par la capacité du Souverain à combiner des temps très courts avec des agendas de long terme, afin de permettre d’adresser les urgences de l’instant mais également les défis plus lointains. De manière globale, sur le plan tactique le « principe de précaution maximum », qui a très tôt été défini comme ligne directrice a permis au Maroc d’endiguer la pandémie très tôt, malgré quelques résurgences et ressacs.

Au niveau stratégique, ces 500 jours ont également été très chargés avec la mise en place du Fonds d’Investissement Stratégique Mohammed VI, la généralisation de la protection sociale, la campagne vaccinale qui place le Royaume en tête des nations africaines. C’est cette capacité du Maroc à allier ces deux dimensions que j’ai trouvé intéressante à raconter.

Challenge : Quelles sont les facettes peu méconnues du Maroc que ces 500 jours de pandémie ont révélées ?

A.A : La capacité de rebond du Maroc est connue. Elle est en quelque sorte inscrite dans le « code ADN » du Royaume. En revanche, le Maroc est rarement présenté comme un champion de l’anticipation. Je dirais que la facette la moins connue est l’émergence de cette capacité d’anticipation, particulièrement visible sur des sujets comme la réorientation industrielle pour fabriquer outils-barrières, l’insertion dans la cohorte de tests vaccinaux, ainsi que la mise en place des filets de sécurité sociaux et pour les entreprises.

Challenge : Quels ont été les moments de doute et de dépassement, mais aussi les échecs pendant cette pandémie ?

A.A : Comme dans toute crise hors norme, doutes et dépassements font partie intégrante de ces moments où il faut prendre des décisions rapides avec un minimum d’information. Les moments compliqués sont connus : décisions de fermeture de certaines villes sans préavis, augmentation des cas à l’hiver 2020, ou encore craintes sur les stocks de vaccin. Mais à y regarder de plus près, le Maroc n’a pas fait exception lorsqu’on le compare à la plupart des pays du monde qui étaient en mode « reset ».

Quant aux dépassements, les plus impressionnants sont passés presque inaperçus : pas de rupture dans la chaîne des médicaments essentiels, pas de pénuries de matières premières, continuité des réseaux physiques et numériques malgré les très fortes pressions, poursuite des cours en distanciel, etc.  

Challenge : Selon vous, quelles sont les leçons que le Maroc devrait retenir de cette pandémie ?

A.A : Je pense qu’il est encore bien trop tôt pour tirer des leçons définitives et globales. Toutefois, je dirais que la nécessité absolue de construire un système de santé cohérent et performant n’a jamais été aussi centrale. Idem pour la protection sociale ou l’éducation.

Challenge : Au final, quelles ont été les mesures les plus décisives prises par le Maroc dans sa gestion de cette crise sanitaire et économique ?

A.A : Au-delà des mesures « classiques » sur le plan économique, social et monétaire, je dirais que le Maroc a surtout réussi son examen de passage vers le groupe des émergents stables et en capacité de surmonter des crises d’une ampleur inimaginable. C’est donc un tout et non des mesures isolées. Bien entendu, il y a eu des accidents de parcours. Mais si l’on « dézoome », l’on se rend compte que le cheminement est cohérent et solide.

Challenge : L’économie nationale a été lourdement impactée, mais vous faites état de la résilience du Royaume. En quoi le Maroc a été résilient durant cette pandémie ?

A.A : Encore une fois, la résilience n’est pas une qualité nouvelle du Maroc. Je constate juste qu’en dehors des secteurs directement exposés à la pandémie, dont le tourisme, le reste de l’économie a réussi à redémarrer, incluant les industries exportatrices. Ce n’est pas anodin. Cela signifie que l’insertion du Maroc dans un monde globalisé est plus forte que ce que nous aurions pu penser.

Challenge : Vous abordez dans votre livre, ce que vous avez appelé en substance une nouvelle partition diplomatique qui va bouleverser les alliances régionales ainsi que l’épineuse question du Sahara. Quel lien avec la pandémie ? Et comment le Maroc qui affrontait la crise sanitaire est parvenu à tirer son épingle du jeu ?

A.A : Je ne fais pas le lien entre la pandémie et l’évolution très importante du dossier du Sahara lors du dernier trimestre de 2020. Je ne pense pas qu’il y ait un quelconque rapport de cause à effet. En revanche, opérer ce virage stratégique qui a en quelque sorte « sidéré » les adversaires de la cause nationale, à ce moment particulier, a véritablement constitué ce que les anglo-saxons appellent un « game changer ». Rien ne sera plus comme avant dans ce dossier.

Challenge : Au moment où l’on commence à parler partout dans le monde de post-Covid après avoir payé cher un lourd tribut à cause de la Covid-19, d’après vous quel Maroc après la pandémie ?

A.A : Je ne suis pas très bon en « prédictologie ». Mais je peux formuler une espérance. Je forme le vœu que le Maroc post-covid soit plus solidaire et plus équitable, car les distorsions économiques et les inégalités issues d’une croissance portée par l’investissement public dans les infrastructures a clairement montré ses limites.

Le constat n’est pas nouveau et il n’est pas de moi. Dès 2018, Sa Majesté appelait à réinventer le modèle de développement marocain, d’où la création de la commission spéciale. Celle-ci a désormais délivré sa vision. Reste à la faire vivre.

Challenge : Cette crise a-t-elle finalement accéléré le processus menant le Maroc vers l’émergence ?

A.A : Indubitablement. Le Maroc n’est jamais aussi fort que dans la tempête.

Bio-express
Abdelmalek Alaoui est Economiste, CEO de Guépard Group (www.guepardgroup.com), société de conseil en stratégie, et éditorialiste du journal économique français « La Tribune ». Diplômé de Science Po Paris, Titulaire d’un MBA de HEC Paris et d’un troisième cycle de l’école de Guerre Economique, M. Alaoui est un spécialiste reconnu du développement économique en Afrique. Il a conseillé à ce titre, quelques-unes des plus importantes capitalisations boursières d’Afrique, ainsi que de nombreux gouvernements lors d’une carrière de plus de seize ans dans le conseil en stratégie. Depuis 2015, il fait partie des Young Global Leaders du Forum de Davos. Son dernier ouvrage « Le Temps du Continent » a obtenu en 2018 le prix Turgot du livre d’économie francophone de l’année. Au niveau de ses engagements associatifs, M. Alaoui est Président du Think-Tank Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (www.imis.ma ). Depuis fin 2020, il est membre de la task force sur le digital au sein de la Fondation Afrique-Europe (https://www.africaeuropefoundation.org/).

 
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