Interview

Ahmed Akhchichine : « Dans cette crise, les régions ont pris l’option d’aller là où l’Etat ne peut pas aller en termes d’intervention »

En dehors de sa contribution de 1,5 milliard de DH mobilisé pour le Fonds spécial Covid-19, les Régions entrevoient d’appuyer les entreprises dans leur relance. Des annonces sont attendues dans ce sens, après l’adoption du projet la loi de finances rectificative 2020. Les éclairages d’Ahmed Akhchichine, président de la région Marrakech-Safi.

Challenge : Face aux incertitudes liées à la crise actuelle et la baisse inéluctable des recettes fiscales anticipées pour 2020, les Régions préparent-elles des budgets révisés à l’instar de l’Etat qui s’apprête à soumettre au Parlement une Loi de finances 2020 rectificative? Quels seront à priori les dépenses et les investissements qui risquent de subir en premier un coup de rabot ? Et y auraient-ils des réallocations du budget vers de nouveaux secteurs/affectations à cause de la crise qui aurait rebattu les priorités ? 

Ahmed Akhchichine : au niveau de l’Association des Régions du Maroc, nous avons un peu anticipé le mouvement. Nous nous sommes rapprochés de l’ensemble des départements qui sont concernés, avec nous, par les questions de développement régional, et l’approche qui a été retenue est la suivante : le premier point porte sur une orientation que la loi de finances rectificative doit nous apporter pour éclairer les ré-allocations possibles. Je donne un exemple très simple. L’orientation que le gouvernement semble avoir retenue jusqu’à présent, c’est qu’il y aura un maintien des investissements publics, et aussi très probablement une action importante à faire en direction des secteurs sociaux comme la santé, l’éducation et l’emploi, et également un appui qui va aller aux opérateurs directs de l’économie réelle et aux entreprises. Sur la base de cela, les réajustements que nous allons introduire tiendront compte d’abord de ce que vont être les revenus réels des régions, compte tenu de la baisse des revenus fiscaux, notamment de l’IS et des recettes que nous percevons au niveau régional sur plusieurs activités, telles que les activités minières… 

Le deuxième point porte sur l’effort important de contribution consenti par les régions au Fonds Spécial dédié à la gestion du Covid-19 de l’ordre de 1,5 milliard de DH. Et en troisième lieu, nous tiendrons compte des postes incompressibles, notamment les dépenses liées au fonctionnement, aux salaires, etc. C’est donc cette orientation que nous avons prise. L’idée est de s’aligner sur ces options macro. Nous sommes aussi en train de suivre le travail des comités de veille régionaux pour voir comment nous pouvons soutenir l’économie au niveau de chaque région sur les semaines et les mois qui viennent. Nous avons retenu fondamentalement, au niveau des régions, d’abord de maintenir tous les projets d’investissement qui vont revenir très probablement au tissu des PME et TPE travaillant au niveau de la région. C’est le cas par exemple pour les pistes rurales, pour les travaux d’accès à l’eau potable et l’ensemble des chantiers que nous avons lancés dans le cadre du programme de lutte contre les disparités dans le monde rural. Il s’agit là d’une priorité qui doit être maintenue. 

La deuxième priorité, est que nous allons procéder à une réallocation d’une partie de nos ressources pour aller appuyer directement les entreprises, notamment dans les secteurs où la relance économique va être un peu difficile, et où l’Etat ne prévoit pas d’outils d’intervention directe. Il y a par exemple le secteur de l’innovation, les startups ayant démarré leurs activités il y a seulement quelques mois et qui se retrouvent aujourd’hui en difficulté. Il y a aussi un certain nombre de secteurs dont les carnets de commandes sont aujourd’hui insignifiants parce que la relance, c’est dans 6 ou 7 mois. C’est un travail que nous allons faire de concert avec les comités de veille régionaux. Il va sans dire, que tout ceci prendra forme dans le cadre, aussi, des budgets modificatifs que nous allons adopter pour le restant de l’année et je suis pour ma part presque certain que cela aura également une incidence sur les budgets de l’année à venir. Donc, il y a aura très probablement une orientation. Ce qui va en sortir, c’est qu’il y aura une sorte de ralentissement dans la mise en œuvre des projets qui sont prévus dans les programmes régionaux de développement, c’est-à-dire notamment les grands projets d’infrastructures, les grandes plateformes logistiques. Il y aura un différé et nous le gèrerons en fonction de la visibilité que nous aurons sur les ressources qui seront disponibles. Si les ressources sont, globalement, équivalentes aux ressources médianes que nous avons eues sur ces dernières années, il n’y aura pas de très grosses incidences. Mais, dans le cas contraire, il faudra en tenir compte en termes de répercussion sur l’allocation des ressources. 

Challenge: Que peuvent faire concrètement les Régions en matière aussi bien d’aide de  la demande, que de soutien de l’offre dans leurs territoires ? Ce pouvoir a-t-il été déployé jusqu’à présent par quelques unes ? Si pas encore, est-ce par manque de volonté politique ou par inertie administrative ? 

Ni l’un, ni l’autre. Je pense que la boîte à outils est maintenant en train de se constituer. Pour dire les choses très clairement, je donne un exemple très simple. Aujourd’hui, on parle de la relance de l’activité touristique  à travers l’encouragement de la demande intérieure, parce qu’on sait que la demande extérieure n’arrivera que dans plusieurs mois et en attendant, il y a une période creuse qui doit être comblée par le tourisme interne. Sur ce dernier segment, notamment, on sait qu’on va buter sur la question de l’accès, en termes de coûts inhérents aux différentes activités qui sont souvent des coûts destinés aux revenus moyens, plutôt européens. Les familles marocaines, qui ne peuvent pas se payer des vacances à des coûts raisonnables, ne vont certainement pas le faire dans le cadre des coûts actuellement pratiqués. Donc, la seule solution est d’arriver à trouver un moyen pour faire baisser les prix des prestations, afin de les rendre accessibles aux familles. Plusieurs formules sont à l’étude. Et, il y a notamment celle que nous soutenons plus et qui consiste à allouer des ressources directes aux unités qui vont s’inscrire dans le cadre de ce programme. Par exemple, un hôtelier qui offre une chambre à 1500 DH, s’il bénéficie d’une subvention directe, pourra, peut-être, proposer la même chambre à 1000 DH, ce qui sera plus accessible à une famille marocaine. Il ne s’agit pas d’une subvention, mais une aide à la demande. Mais, comme je l’ai dit, ce sont des mécanismes qui font encore l’objet de réflexion. 

Maintenant, le deuxième type de mécanisme qui est à mon avis plus important, c’est de voir ce qui a été fait à travers les différents mécanismes de financement, que cela soit avec le GPBM (Groupement professionnel des banques du Maroc) ou dans le cadre du Fonds Covid, et d’estimer le pack exhaustif d’intervention dont l’entreprise peut avoir besoin pour traverser cette période de crise. Nous sommes en train de voir si l’approche la plus simple est sectorielle ou pas, parce que ce qui peut être fait pour l’industrie n’est probablement pas valable pour les services, et même dans les services on relève des catégories de services. Donc, il y a des logiques sectorielles à prendre en compte. De notre côté, nous privilégions le couplage en termes d’approche sectorielle, mais pas en termes de secteur d’activité. Par exemple, un couplage entre une action directe qui ira aux opérateurs, qu’ils soient entreprises ou coopératives de l’économie solidaire et sociale, avec une logique territoriale. Il existe probablement dans les territoires des interventions qui doivent être plus volontaristes que d’autres. Ce sont des actions prêtes à être déployées déjà. La seule chose qui freine les annonces aujourd’hui, c’est la préparation de la loi de finances rectificative. Nous ne voulons pas que ces annonces très importantes des régions soient en porte-à-faux avec les orientations du gouvernement. Mais, de toutes les façons, nous misons sur la complémentarité, c’est pour cela que nous avons pris l’option d’aller là où l’Etat ne peut pas aller en termes d’intervention. C’est pour cela d’ailleurs que nos actions sont focalisées dans les territoires, sachant qu’à ce niveau il y a des parties du monde rural qui vont être plus canalisées que d’autres, avec certaines activités qui vont être plus pénalisées que d’autres. 

Le troisième volet est plus complexe et rejoint une idée que nous avons mise sur la table  en tant que régions. Il s’agit d’aller voir la faisabilité de la mise en place de fonds régionaux de soutien à l’emploi pour pallier les difficultés liées à la mise en place des aides directes à l’emploi. Ces fonds peuvent être alimentés par différentes sources et qui vont aider l’amorçage de dynamique d’emploi ou de maintien de l’emploi. Aujourd’hui, il est évident que nous en avons besoin. 

Challenge : Au-delà de sa contribution au Fonds Spécial du Covid-19, le fonds de solidarité interrégionale peut-il être mobilisé pour atténuer la disparité des impacts de la crise inédite actuelle sur les différentes régions ? 

Il le pourrait, pour peu qu’on ait une idée plus claire sur ses modes opératoires. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous savons que le fonds existe, nous savons comment il doit être alimenté, mais jusqu’à présent, il n’y a jamais eu un débat clair sur comment il doit fonctionner, sur comment il faut le faire, soit par appel à projets ou pas. Par exemple, il y a ceux ( et j’en fais partie) qui pensent qu’il ne devrait pas se transformer en une sorte de seconde couche de subvention et qu’il faudrait qu’il puisse véritablement soit être alloué à des actions de développement très ciblées, identifiées grâce à des objectifs liés aux régions, et ce fonds agira donc à les débloquer et à les mettre en place, soit à faire face à des situations de risques de catastrophes naturelles ou d’aléas. Ainsi, une région qui, par exemple, subit des inondations ou des cataclysmes naturels n’est pas en mesure de faire face à la situation avec ses ressources propres, pourra bénéficier de son soutien. Pour le moment, il n’y a absolument rien qui a été défini sur le mode opératoire, sur le fonctionnement, sur la sélection des projets… 

Challenge : Qu’est-ce que la région Marrakech-Safi prévoit-elle particulièrement pour la destination touristique Marrakech, durement touchée par la crise du coronavirus ?

Oui, nous avons développé avec les opérateurs du tourisme, une réflexion continue depuis plusieurs semaines maintenant. Celle-ci a abouti à l’élaboration d’un document-cadre très clair, décliné à la fois en termes d’approche, d’ambitions pour la région, et de projets très concrets. L’idée est de dire que l’offre se doit d’être diversifiée et va concerner les territoires et impliquer, de manière très claire et très directe, l’ensemble des intervenants au niveau des territoires pour promouvoir une offre touristique véritablement adaptée, une demande qui sera radicalement différente de ce qu’elle était avant.

 
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