Société

Cannabis : Tout à gagner dans la légalisation

Pour les politiques, parler de cannabis en politique est un exercice périlleux. Personne n’ose mettre les pieds dans le plat et risquer, aussi bien les foudres de la population, que celles de l’establishment conservateur. Il n’empêche que des filières légales existent pour le cannabis, comme matière première à l’export, et en tant que drogue médicale.

21h30, dans une villa cossue de la colline d’Anfa, le maître de maison se met à rouler un “joint”, une fois le dîner desservi. Parmi les convives, certains déclinent, d’autres tirent une bouffée sur la cigarette roulée. Spectacle choquant? Non, plutôt anodin au Maroc. Ce n’est pas seulement l’apanage de la grande bourgeoisie, mais un phénomène qui touche toutes les franges de la société marocaine: on consomme du hachich à des fins récréatives. Le sujet est revenu sur le devant de la scène médiatique, suite à des propos attribués au député-maire d’Agadir, Tariq Kabbage. Il aurait plaidé pour une légalisation du cannabis au Maroc. “On a déformé mes propos. Lors d’une séance parlementaire de la “Commission de l’Intérieur”, le problème avait été évoqué. Ma position sur ce sujet est claire. Il s’agit d’une culture qui existe dans le Nord et qui intéresse des groupes pharmaceutiques internationaux. S’il existe un marché légal, il faut sortir les petits agriculteurs de l’illégalité et les orienter vers une production licite. Pourquoi ne pas l’intégrer dans le Plan Maroc Vert? Je suis citoyen, et en tant que tel, demande juste à ce qu’on réfléchisse à la question,” explique le député USFP.

Un marché plein d’opportunités
C’est que, depuis une dizaine d’années, le marché est en pleine expansion. Tout naturellement, les groupes pharmaceutiques se sont rapprochés des Marocains pour s’approvisionner. Requêtes qui sont demeurées sans suites. Pourtant, le cannabis  a un potentiel énorme dans différentes applications, comme le révèle une étude commanditée par le gouvernement israélien. Dans ledit rapport, on énumère les champs d’applications qui vont du textile, au papier, à l’alimentation, aux cosmétiques, aux constructions, aux peintures, et autres vernis, plastiques et médicaments. L’étude a permis de déterminer le vaste champ d’application médicale du cannabis. Etonnamment, Israël avait financé l’étude à hauteur de 1,7 million de dollars lorsque le Royaume refuse de débloquer le moindre centime.
“Les potentialités, pour l’industrie, sont multiples. Des chercheurs avaient certes, présenté une demande d’étude sur le cannabis, mais n’ont pas trouvé de financement. Mais même en l’absence de recherches sur le sujet, il est évident que la plante recèle énormément de potentiels en termes d’applications industrielles et pharmaceutiques”, assène le Pr Abdessalam El Khanchoufi, directeur de l’Institut National des Plantes Médicinales et Aromatiques de Taounate.

La médecine et le cannabis
Si les avis divergent quand à l’utilisation du cannabis comme drogue récréative, les occidentaux ont adopté une démarche plus progressiste quand il s’agit de soins palliatifs. A telle enseigne, que la détention de cannabis n’est plus punie par la loi en Californie (Etats-Unis). La plante est même prescrite pour les cancéreux. Mais ce n’est pas là le seul usage médical du cannabis, il est également utilisé dans la composition de médicaments contre la sclérose en plaques et la douleur. Par exemple, le dexanabinol, produit à base de cannabis, est utilisé dans le traitement des inflammations, pathologies neuro-dégénératives et auto-immunes d’ischémies du cerveau et de douleurs. Déjà le groupe allemand Bayer AG, s’est lancé dans la production de médicaments à base de cannabis.
Les israéliens, les canadiens et les anglais ont suivi. Des scientifiques pensent qu’à terme, et avec des études plus poussées, l’usage du cannabis médical se développera davantage.

Un potentiel de rentrées fiscales indéniable
Malgré cet avis tranché, personne ne se leurre: le cannabis, à l’image du tabac et de l’alcool est nocif pour la santé. Mais il serait par ailleurs une source non négligeable de revenus pour le Trésor. La Californie est un cas d’école: elle a évité la banqueroute des finances. Elle impose la drogue à usage médical à hauteur de 50 dollars par once et recueille ainsi 1,3 milliard de dollars par an. De quoi intéresser les politiques. D’ailleurs, certains se sont prononcés en faveur d’une dépénalisation, et même d’une légalisation: “si, comme on l’affirme, le chiffre d’affaires du trafic de drogue se monte à 114 milliards de DH, l’Etat aurait tort de négliger cette manne.” En 2006, selon la régie des tabacs, 30 millions de feuilles à rouler ont été vendues. Proportionnellement, la consommation intérieure de hachich se monterait annuellement à quelques 10 tonnes. Toujours en gardant en tête l’exemple de la Californie, cela pourrait rapporter 35 milliards de dirhams de recettes à l’Etat en prélèvement fiscal pour la seule consommation intérieure…

Le tourisme vert,
une opportunité à creuser
Ceci dit, le Maroc étant à la cherche de touristes à tout prix, une possibilité serait d’opter pour un tourisme de haschich, un peu comme les coffee-shops hollandais! Pour Salim, professionnel du secteur du tourisme, les choses sont évidentes : “dire que la drogue attire les étrangers est une lapalissade. Il est évident qu’une certaine frange de touristes dans le Nord recherchent un cannabis de qualité et bon marché. Des villages entiers vivent de cette manne, et le tourisme rural pourrait être organisé,” affirme-t-il. Mais cette vision est pour le moment illusoire. La principale barrière, mais pas la seule, concerne les relations avec l’Union Européenne, qui pourraient être compromises. Même si le Ministre Français de l’Education Nationale a lancé un pavé dans la mare et milité pour la dépénalisation de la possession de drogue, le scénario de la légalisation de la production de cette plante est loin d’être d’actualité. En outre, et dans cette hypothèse, le Maroc devrait dire adieu aux subventions européennes.

Un drame social aisément prédictible
Il ne faut cependant pas y voir uniquement une source de recettes fiscales, au moment où le Maroc a du mal à boucler son budget. Car de l’autre côté, l’Etat se doit d’être très vigilant. “La drogue est une catastrophe sociale. Un jeune qui commence à fumer aura toutes les “chances” d’être en situation d’échec scolaire. Pire, il risque de tomber dans la criminalité, au fur et à mesure que sa consommation augmentera. Les conséquences seront des tensions familiales. Ce qui, à la limite, pourrait mener au divorce des parents, qui se rejetteraient la faute mutuellement. A long terme, cela peut même ricocher sur les frères et sœurs”, martèle Dr Mamou, neuropsychiatre. Malgré les usages thérapeutiques avérés, le cannabis n’est donc pas en odeur de sainteté pour tout le monde: “C’est aussi une catastrophe médicale. Le cannabis est consommé, dans toutes les franges de la société, principalement chez les jeunes. Pourtant, c’est une drogue qui rend fou! Elle provoque des bouffées délirantes et fragilise mentalement. Il est temps qu’on cesse de parler de drogues dures et douces, mais de drogues tout court”, explose Dr Abdelilah Mamou.
Reste que dans la société marocaine, le désespoir est très répandu et jette les jeunes dans les bras de l’extrémisme religieux, mais aussi incite à la boisson et à la drogue. Signe des temps, ils continueront de s’abreuver de poison pour mourir, puisqu’on ne leur donne pas de rêves pour vivre. Et aussi longtemps que les conditions de vie resteront aussi dures, cela ne risque pas de changer.

 

 

114 Mrds DH
Ce serait le chiffre d’affaires de la drogue exporté vers l’Europe. A tort ou à raison, le Maroc est considéré comme le premier pays producteur de cannabis au Monde. Sans aucune preuve.

 

Aux origines d’une culture

Pour parler de kif, rien ne vaut que d’en discuter avec un consommateur. Challenge a rencontré Elhadj au Derb Ghallef. Avant de commencer son récit, il allume un calumet bourré de kif et de tabac et tire de longues inhalations: “le kif a toujours existé au Maroc. Depuis les hauts plateaux du Tibet, il a suivi la route de la soie pour arriver au Maroc. Mais ce n’est que pendant le Protectorat que les choses ont changé. Les français voulaient supprimer cette production et lui substituer le tabac. Il s’en est suivi une véritable guerre du kif. La culture du cannabis a financé la résistance et le mouvement pour l’indépendance. Ce dernier a interdit aux marocains de consommer du tabac dès les années 50. Les contrevenants étaient menacés de mort. Au départ, les autorités du Protectorat français avaient commencé à produire leur propre kif, commercialisé par la “Régie des tabacs et du kif”. Mais ce n’était pas la même qualité. Les choses ont évolué dans les années 70. Avec le mouvement hippie, de nombreux européens venaient au Maroc. C’est à ce moment que le hachich est apparu. Depuis, je ne connais pas une seule personne qui n’ait jamais fumé un joint. Mais le kif reste la drogue traditionnelle.”

 
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