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Capital immatériel, un nouveau territoire à découvrir par la fiscalité ?

Toutes les catégories socioprofessionnelles s’intéressent au capital immatériel (CI). Simple effet de mode, ou véritable défi dans la «nouvelle économie», de plus en plus dominée par le capital financier et les nouvelles technologies de l’information (NTIC)? «Nouvelle économie», caractérisée aussi, au niveau international, par une tendance à la délocalisation des activités industrielles du Nord vers le Sud, et à l’accroissement des investissements Recherche et Développement dans les pays du Nord (taux moyen de 10% au niveau de l’OCDE). Quelle est la place de l’immatériel au sein de l’entreprise ? Quel traitement comptable et fiscal des actifs immatériels qui jouent un rôle de plus en plus déterminant dans la création de la valeur ? par  mohamed amine

Tout d’abord, un bref retour historique aux anciennes civilisations, permet de constater que l’ère de l’immatériel est loin d’être nouvelle. Dans l’antiquité grecque, Platon, dans « le mythe de la caverne », consacrait déjà la primauté de l’idée comme étant antérieure à la réalité matérielle, cette dernière ne serait que le reflet de la première. Mais, bien avant, la philosophie orientale, à travers le confucianisme, prônait les vertus fondatrices que sont l’humanité, la droiture, la décence, la sagesse et la loyauté. Plus tard, les trois religions monothéismes prendront le relais. Et Hegel définira à son tour, l’histoire comme un processus continu de réalisation de l’idée suprême. La société de consommation du 20ème siècle détruira cet héritage pour consacrer l’individualisme, le « Dieu Argent » et le confort matériel.
L’un des aspects fondamentaux du CI, est ce rapport de confiance (ou de méfiance) entre l’Etat et le citoyen à travers l’impôt.
En fait, pour l’entreprise, déjà, et depuis longtemps, existait la notion de « goodwill » ou « survaleur », désignant un écart durable et positif entre la capacité bénéficiaire de l’entreprise et le revenu qu’obtiendrait l’investisseur en plaçant, sans risque sur le marché financier, la valeur des fonds propres nécessaires pour reconstituer l’outil de production. On parle aussi d’ « écart d’acquisition » ou encore de « coût d’opportunité ». Mais le « goodwill » ne pouvait être évalué financièrement et de manière exacte qu’à posteriori, après une cession ou une fusion-absorption. En réalité, toute la difficulté réside dans le fait que les normes comptables traditionnelles IFRS sont réticentes à l’appréciation comptable de certains actifs immatériels, tels que le « capital clientèle ». De même, si le droit commercial reconnait l’existence des éléments incorporels constitutifs du fonds de commerce, tel n’est pas le cas de la comptabilité qui se voudrait être l’« algèbre du droit », écartant tout ce qui n’a pas un coût historique, tout ce qui n’est pas appuyé par une traçabilité, conformément au principe sacro saint de la prudence. En comptabilité, l’ « image fidèle » de l’entreprise ne peut être que la traduction financière des valeurs bien enregistrées, constatées empiriquement et justifiées. Couramment, la notion de capital immatériel permet d’opposer les biens de production physique aux éléments incorporels, notamment les services. Du point de vue de la théorie financière, le capital immatériel (CI) est l’écart entre la valeur boursière (VB) de l’entreprise et sa valeur comptable (CM) :

CI = VB – CM

Le capital immatériel comprend le capital humain dont l’évaluation intègre l’éducation et la santé et le capital structurel qui concerne le climat social, l’image et la notoriété de l’entreprise. D’un point de vue comptable, les investissements immatériels ne comprennent pas les dépenses de recherche, de formation, de publicité, bien qu’ayant un impact certain sur la valorisation de la formation brute du capital fixe (FBCF). Mais,  avec l’intégration des règles de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), l’orthodoxie comptable va connaître un assouplissement. Transparence, respect des droits humains économiques et sociaux, respect de l’environnement, dimension humaine du capital, importance accrue de l’organisation, basée sur la concertation et la participation, rôle de plus en plus déterminant du système d’information (…), autant d’actifs immatériels, créateurs de richesses, dont la négligence peut être actuellement fatale pour l’entreprise. A titre d’exemple, il suffit d’une condamnation d’une entreprise pour corruption ou tentative de corruption dans un marché public, pour que cette entreprise connaisse une véritable descente aux enfers. Là, l’image de l’entreprise et sa réputation, sont au centre de son capital immatériel. Et ce n’est pas un hasard si H. FORD, dans l’une de ses phrases célèbres, disait que les deux éléments décisifs dans la réussite de toute entreprise, mais qui ne figurent pas dans son actif, sont les êtres humains qui y travaillent et sa réputation. C’est surtout aux Etats Unis d’Amérique qu’apparaissent les premières tentatives d’innovation comptable dans l’appréciation financière des actifs immatériels. Les pays d’Europe suivront plus tard, et cette tendance s’étendra au monde entier à travers la Banque Mondiale, aussi bien aux niveaux macro que micro-économique.
Mais les résistances sont encore nombreuses à cette tendance, surtout dans les pays où les entreprises font face à une concurrence déloyale, dans les économies où la logique de rente continue à prévaloir.
L’Etat, à travers la fiscalité, scrute cette tendance, certes avec prudence, et se prépare. Une première adaptation, en matière de TVA, s’est déjà imposée à travers le commerce électronique, en reconnaissant l’équivalence de la facture électronique à la facture ordinaire sur papier. Mais, la signature électronique n’est pas encore légalement reconnue au Maroc.
De plus en plus d’opérations commerciales, donc de contrats, optent pour le mode électronique, compte tenu du gain en temps et du degré de plus en plus élevé de fiabilité. Là, et surtout dans les transactions portant sur le foncier, les droits d’enregistrement et surtout les droits de timbre sont sérieusement menacés, car ces impôts relevant de la « préhistoire fiscale », supposent nécessairement l’existence d’un support papier.
En matière de taxe professionnelle et de taxe de services communaux, pourvoyeurs des budgets locaux, le risque est aussi important, car l’assiette de ces impôts est la valeur locative des entreprises, déterminée à partir des actifs exclusivement matériels (loyers bruts et 3% du coût de revient des immobilisations matérielles à caractère fixe). De ce fait, les entreprises qui investissent surtout dans les NTIC, et dont la production contient une haute valeur ajoutée, seront sous imposées par rapport à leurs capacités contributives réelles et comparativement aux autres entreprises, notamment les entreprises industrielles, qui investissent surtout en matériels et en équipements physiques.
Par ailleurs, si certains actifs immatériels sont comptablement dépréciables et donc amortissables, d’autres ne le sont pas. Certains des actifs immatériels peuvent même, au contraire, s’apprécier, c’est-à-dire voir leur valeur augmenter. La ventilation de ces éléments en trois catégories d’actifs immatériels est donc nécessaire au préalable, pour pouvoir leur appliquer un traitement fiscal approprié. Ainsi, à titre d’exemple, suite à des investissements Recherche et Développement (RD), une entreprise a pu mettre en place une nouvelle technique de fabrication. Le coût de revient de cette nouvelle technique est égal au montant dépensé en investissements RD. C’est ce montant qui devra figurer à l’actif. Cette technique de fabrication, tôt ou tard, est appelée à devenir obsolète. Elle est donc dépréciable et amortissable. Par contre, la qualité des relations avec les fournisseurs et les clients est un élément immatériel fondamental et déterminant quant à la stabilité financière de l’entreprise et à sa sécurité juridique dans l’avenir. Or, bien que fondamental, cet élément immatériel ou « capital partenaires » n’est pas dépréciable et n’est pas mesurable selon les normes comptables en vigueur. Comment donc apprécier ces éléments à leur juste valeur, surtout dans les cas de cessions ou de fusions-absorptions ? Comment prévenir les conflits possibles, sur ce terrain, entre l’entreprise et le fisc ? Car entre l’entreprise et le fisc, c’est ce « capital confiance » qui est en jeu, à défaut de clarification et de dialogue. Et ce « capital confiance » est au centre du capital immatériel dans les Etats de Droit.
En cas de déphasage croissant entre le droit fiscal et l’évolution rapide de la réalité économique, le système fiscal risque de devenir de moins en moins équitable, s’il n’amorce pas un processus d’innovation et d’adaptation. Mais n’oublions pas que l’un des principes fondamentaux de l’impôt, est le principe de légalité. Tout impôt ne peut être créé, supprimé ou modifié que par la loi (Article 39 de la Constitution). Le processus d’élaboration de la loi fiscale est toujours lent et complexe. Mais cette lenteur et cette complexité sont nécessaires, car, en démocratie, consentement et légalité de l’impôt sont inséparables. En fait, c’est tout le système fiscal qui est à revisiter à la lumière de ce nouveau défi que représente l’immatériel dans la création des richesses. La complémentarité entre le technique, l’académique et le politique pourrait constituer dans ce domaine un exemple où l’intérêt général serait la boussole. Un système fiscal efficace et équitable est aussi un système fiscal réactif, capable d’évoluer et de s’adapter à la nouvelle réalité économique et sociale. Le « capital civisme fiscal » est au cœur du CI propre à tout système fiscal moderne.

 
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