Société

Casablanca: le tintamarre permanent

Le bruit fait partie de notre quotidien. Entre conséquences pour la santé, et habitudes dont on a du mal à se défaire, la pollution sonore envahit nos vie, sans recours possible. 

L

e printemps est de retour et bientôt l’été. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde, puisque de nouveau, le cauchemar des riverains de la corniche de Casablanca reprendra. “Chaque année c’est la même chose, les cafés sur la plage deviennent des boîtes à chikhates et à chicha”, explique Mounir, qui ne manque pas de réagir. Chaque année, dès que le beau temps est de retour, il enchaîne les courriers à la préfecture, aux médias et autres responsables. Mais rien n’y fait, son voisinage se transforme en lupanar pour noctambules, et dès lors le prive d’un sommeil nocturne, réparateur, tellement nécessaire. Dans les quartiers plus épargnés, la nuisance sonore prend tout simplement d’autres formes, ce n’est un secret pour personne, Casablanca est un perpétuel chantier où  les quartiers paisibles de villas deviennent progressivement des immeubles, avec leurs lots de nuisances “naturelles”. “Je vis dans un immeuble où les habitants, sont majoritairement des retraités. Chaque année, mon voisin fait des travaux dans son appartement. Il y a deux années, il a refait sa salle de bain, et la réfection  s’est accompagnée d’ un boucan d’enfer. L’année dernière c’était le tour du parquet. Cette année, il nous a fait part de “quelques menus travaux”. Mais je ne sais pas à quoi m’attendre,” explique Taoufik, habitant du Bd d’Anfa. Mais pour les habitants de cette région, ce sont moins les travaux du voisinage qui dérangent que la circulation. “Le tintamarre est permanent. Entre klaxon de voitures, accidents et sorties de noctambules tapageurs, on n’est jamais tranquille. Même avec le double vitrage, en été, on ne peut se risquer  d’ouvrir les fenêtres pour laisser entrer un peu d’air. C’est comme si on était prisonniers, pris entre la chaleur étouffante et les bruits de l’extérieur,” explique Abdellatif. Pour d’autres, dans des quartiers populaires, le tapage permanent des voisins n’a d’égal que celui des fêtes de mariage qui se déroulent dans la salle des fêtes à proximité. Certes, ces habitants savaient à quoi s’en tenir lorsqu’ils se sont installés, et finissent par se faire au tintamarre permanent de Casablanca. A se demander, si, lorsqu’on vit dans les grandes villes, on est éternellement assujettis au bruit permanent.  

Des conséquences sur la santé

C’est que le bruit a des répercussions sur la santé. Pour Dr Tounsi, être exposé à un bruit permanent peut avoir des répercussions sur la santé, notamment pour la tension artérielle, l’âge étant un facteur défavorable. Au point de déclencher une accoutumance? Personne ne se prononce! Pourtant, certains jeunes se sentent déphasés en campagne, loin des bruits de la ville. Comme si grandir dans une grande ville, être constamment soumis à des stimuli sonores créait une dépendance au bruit. Comme si la génération qui ne connait que le bruit ne pourrait jamais s’en extraire. Mais qui pense au bruit, pense également au milieu professionnel. Dans une usine de textile, par exemple, qu’en est-il des conséquences sur la santé? Ainsi, pour ces travailleurs de textile, comme certains  du BTP,  il faut s’attendre à des pertes auditives importantes. Pire, être soumis à un bruit permanent peut affecter les nerfs, voire dépression et autres malaises physiques bénins allant jusqu’à des tics nerveux. Selon des médecins interrogés, le bruit n’est pas seulement une perturbation, mais également une source de mal-être général dont il faut tenir compte… Pour ceux qui y sont constamment soumis en tout cas. La pression elle, s’accentue avec les nuisances sonores permanentes et ne sert que de facteur aggravant dans un contexte social difficile. Elle est loin l’image d’Epinal de joyeux enfants rieurs qui enchantent le quartier et la maison, pour se transformer en cauchemar pour les locataires, qui sont moins tolérants vis-à-vis de la progéniture de leurs voisins. D’autant plus que certaines constructions, mal isolées, laissent deviner chacun des faits et gestes des voisins proches. De quoi en rendre plus d’un fou. En Europe, il arrive même que régulièrement, une personne âgée, perturbée par le tintamarre assourdissant en arrive à tirer au fusil et des fois à tuer un enfant qui aura trop crié pendant sa sieste… trop longtemps. C’est ce à quoi on doit le célèbre: “lorsqu’on associe le bruit et l’odeur, il y a de quoi rendre fou” de Jacques Chirac au sujet des immigrés maghrébins, et de leurs nombreuses progénitures.  

Le salut dans la banlieue? 

Les nuisances sonores prennent plusieurs visages, mais les conséquences
pour la santé sont réelles.

Curieusement, les locataires sont mieux lotis que les copropriétaires, sur le plan juridique. Lorsque la nuisance sonore est prouvée, ils peuvent se retourner contre le propriétaire de leur logement et exiger un double vitrage, et même des travaux pour mieux isoler le logement. Abdelahad, propriétaire d’une villa qui donne sur la route d’El Jadida est de ceux là: “lorsque j’ai voulu louer l’étage de ma maison, on a exigé un double vitrage, avant même que les locataires ne prennent possession du logement”, explique-t-il. Là encore, la loi se prononce en faveur des locataires. Pour ce qui est des nuisances sonores, on préfère une habitation au milieu d’un quartier, plutôt que sur les grandes artères, nous révèle un bref tour d’horizon. Bien entendu, un commerce est plus prisé quant il est situé sur une rue passante. Et pourtant, tout logement s’arrache à prix d’or. Cela étant, on apprend que le métier même d’acousticien n’existe pas dans les métiers du BTP. Comme si le fait même d’avoir des nuisances sonores, et quelles puissent être évitées lors du processus de construction était occulté. Comme si le bruit n’avait aucune incidence sur le prix des logements. Cette anomalie se retrouve dans les professions médicales, puisqu’on ne recense que deux audiomètres dans tout le Maroc. Le sens de l’ouïe est décidément le parent pauvre du paramédical. 

“Je vivais dans le quartier de Laya dans les années 90, et depuis, je me suis déplacé à Bouskoura,” avoue Rachid, père de famille. Depuis longtemps, il a fait le choix de l’exil pour s’éloigner du bruit de la grande ville. Plus qu’un choix, c’est un mode de vie et une nécessité: “s’il y avait une politique de la ville, les aménagements seraient adaptés. Mais les différents élus en charge de la gestion de la ville n’ont eu que des ambitions personnelles, et aucune vision à long terme. Comme rien ne va changer, je vais toujours plus loin. Si ça se trouve, je finirais à Berrechid ou à Ben Ahmed, lorsque ces dernières auront été reliées à la métropôle Casablanca. C’est peut-être l’avenir des grandes villes. On a eu cette vision avec les villes satellites telles Marrakech, pourquoi ne pas intégrer à Casablanca les villes environnantes?” Banlieue riche, banlieue pauvre, il est évident que les nuisances sonores ne laissent guère le choix. Quitte à s’installer à Tamaris… 

 
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