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Ce que le commerce international doit à la diplomatie

Nouveau pays indépendant depuis peu, le Maroc devenait, au début des années 1960 – à la faveur de la guerre froide et d’un jeu de bascule plus ou moins heureux entre non-alignement officiel sur l’un des  deux grands systèmes (capitaliste et socialiste) qui dominaient alors le monde et une sorte de proximité politique et « affective » avec « l’Occident » – une espèce de puissance commerciale régionale échangeant, souvent sous forme de troc, aussi bien avec l’URSS (1) et ses satellites d’alors, dont Cuba, qu’avec l’Europe et d’autres régions du monde, de l’Arabie au Japon.

Convaincus que les avantages comparatifs  naturels – sol, sous-sol, soleil, eau, mer et ressources humaines à faible coût, etc…- dont disposait le pays étaient aussi indélébiles que déterminants pour assurer le progrès économique dont sa population avait besoin, les dirigeants marocains allaient enfermer l’économie nationale dans une triptyque qui sera « gravée dans le marbre »  perdurant jusqu’à aujourd’hui – celle de la priorité accordée au Tourisme, aux activités primaires (agriculture et mines) à l’export et à l’émigration  de main- d’œuvre.

Mais, en trois décennies, du milieu des années 1960 au milieu des années 1990, le monde va connaître plus de changements politiques, économiques et technologiques qu’il n’en a connus en un siècle.

L’empire soviétique s’est disloqué, les frontières économiques et financières entre Etats ont disparu à la faveur de la mondialisation, aucun marché n’est plus captif, la clause de nation « la plus favorisée » n’a plus cours dans le vocabulaire international et, à l’exception des carburants et d’un petit nombre d’autres produits miniers, le commerce international de matières premières voit sa part se réduire inexorablement dans les échanges mondiaux de biens et de services. Et des pays, dont beaucoup pensaient qu’ils resteraient à la traîne des nations, vont progressivement faire sauter en éclats l’ordre économique mondial antérieur, en concurrençant l’Europe et l’Amérique sur ce qui faisait leur puissance industrielle : les productions à haute valeur ajoutée en technologie et en intelligence humaine. Or, notre pays maintiendra dans les faits son économie rivée aux secteurs primaires et aux activités à fort quotient en main-d’oeuvre.

De même, il restera drapé dans ses certitudes d’une autre ère, figé dans un double sentiment diffus et contradictoire,  d’infériorité par rapport à l’Ouest et de supériorité vis-à-vis du reste du monde. Il continuera aussi à balancer entre son rêve-éveillé de pays « le plus beau du monde » et ses fantasmes qu’on l’aimerait, qu’on le soutiendrait,  qu’on le visiterait ou qu’on achèterait ses produits, juste parce qu’il est Le Maroc. 

Il persiste aussi à se croire très proche de l’Europe – le centre du monde, pour trop de monde de ce côté-ci du Détroit de Gibraltar – puisque situé à seulement 14 km de ses côtes sud, lorsque les compagnies aériennes européennes, pour ne retenir que cet exemple,  envoient plus d’avions par jour à Johannesburg ou à Rio de Janeiro qu’elles n’en font voler en un mois vers Casablanca (sans tenir compte de Rabat, encore quasi-exclusivement reliée à Paris).

De même, le Maroc ne dispose toujours que de moins d’une centaine de représentations diplomatiques à travers le monde, dont les plus importantes sont concentrées dans la capitale française, à Madrid et Washington, dont la plupart disposent d’un personnel si réduit qu’il ne peut se consacrer qu’à des tâches consulaires et dont certaines couvrent plusieurs pays à la fois. 

Une telle posture venant du fait que la diplomatie ne semble être considérée par les responsables marocains  que comme un instrument marginal sur la scène politique internationale et n’est supposée jouer aucun rôle de promotion économique et de développement des relations commerciales extérieures.

Le même état d’esprit explique qu’à chaque fois que le Maroc  se sent « titillé » par un pays (du Sud, surtout) (2) il en retire son ambassadeur, faisant ainsi très peu de cas de ses intérêts véritables, à quelque niveau qu’ils se situent. Même les États-Unis d’Amérique, avec encore plus d’ennemis déclarés de par le monde font moins de zèle à ce niveau que notre pays. De leur côté les entreprises marocaines, encore le plus souvent gérées sous le « mode familial », ne font rien qui puisse surmonter les défaillances de la puissance publique énumérées ci-dessus.

Elles restent ainsi enclavées dans une approche naïve, frileuse et « gagne-petit », préférant toujours investir dans « la pierre » et dans les activités de main-d’œuvre plutôt que dans les secteurs où il y a un risque de perdre ou ceux qui demandent des ressources humaines moyennement ou hautement qualifiées.

Souffrant des failles de l’Etat dans le système éducatif et de recherche (dont l’échec n’est plus matière à doute, y compris au niveau de la plus haute autorité politique du pays) ainsi que dans la lutte contre la corruption et l’économie de rente, elles croient prendre leur « revanche » en continuant – trop souvent – de flirter avec l’économie informelle, l’irrespect des règles sociales ainsi qu’avec la fraude et l’évasion fiscale.

Pour le reste, elles se hasardent très peu, sauf exceptions bien trop rares, dans la recherche de nouveaux marchés. Soit parce que ceux-ci sont « trop » éloignés, trop risqués, trop grands pour leur calibre (le marché américain, notamment) ou trop petits pour leur égo (ceux  de la plupart des pays d’Afrique Subsaharienne) ou, tout simplement, parce qu’on n’y parle pas…français.  

C’est comme cela que notre commerce extérieur est encore concentré à près de 75 % sur l’Union européenne, et en premier sur la France. De la sorte, lorsque la Zone Euro se fait mal, nous prenons le lit, alors que d’autres sont dans une santé insolente ( la Turquie, par exemple, a reçu près de 40 millions de touristes en 2012, lorsqu’elle n’en accueillait que moins de 5 millions, 30 années plus tôt ). 

C’est pour cela également que tous les accords de libre-échange signés depuis 1996 par le Maroc ont conduit, d’une façon ou d’une autre, à un déficit commercial qui se creuse année après année, avec désormais un montant d’importations qui dépasse allègrement le double de celui des exportations. La preuve est donc donnée que nos « avantages comparatifs » étaient un leurre, une véritable chimère.  

Jusqu’à quelle limite cette situation est-elle tenable ? Il n’y a aucun doute qu’il y a impossibilité que la tendance relevée au cours des dernières années puisse durer encore longtemps. Quelles solutions apporter à un tel fiasco, qui signe la faiblesse structurelle de l’économie marocaine dans la plus grande part de ses composantes ? Celles-ci se trouvent dans chacun des constats, chacune des défaillances énumérés  ci-dessus. Il s’agit pour l’Etat comme pour les entreprises et le Maroc dans son ensemble d’en prendre exactement le contre-pied.

Des pays comme l’Afrique du Sud, le Brésil, le Chili ou encore le Mexique, pour ne pas citer la Corée  du Sud, la Malaisie ou encore la Turquie sont parfois partis de situations pires que la nôtre au cours des années 1970 ou 1980. 

Ils sont parvenus, avec de la volonté et des politiques cohérentes et de long terme, à inverser les tendances antérieures et à émerger comme des économies de plus en plus fortes, de plus en plus dynamiques.

Pourquoi ne pouvons-nous pas y parvenir ? Manquons-nous à ce point d’intelligence, d’envie de progrès ? Ne le méritons-nous pas, ce progrès, autant que les autres ? 

(1) Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Effondrée en 1992.

(2) Sans que l’opinion publique ait pu en savoir d’avantage, le Maroc a rompu ces dernières années ses relations diplomatiques, coup sur coup, avec l’Iran et le Vénézuéla. Quelques années plus tôt, il avait toutes les raisons d’en faire de mēme avec la Norvège, dont l’ambassade avait « sorti », contre les  conventions internationales, un enfant marocain du pays, mais rien ne s’était alors passé.

 

 
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