Dossier

Ces maux qui continuent d’handicaper notre gestion économique

 

Les finances sont les armes de la guerre pour affronter les défis d’équiper le pays en infrastructures et de répondre aux besoins quotidiens des citoyens. Les arbitrages ne laissent plus la liberté au gestionnaire des deniers publics. Affecter l’argent disponible pour tel ou tel secteur prioritaire induit nécessairement une diminution des affectations pour l’autre. Rationnaliser nos dépenses est une fatalité, augmenter nos recettes est un choix politique prioritaire et affronter tous les défis, implique une lutte acharnée contre les phénomènes qui bloquent les réformes au Maroc.

Ces phénomènes négatifs sont identifiés, leurs impacts sont évalués en milliards de dhs et en points de notre PIB. Il s’agit de la corruption , de la fraude fiscale, du mauvais ciblage en matière de compensation ,de l’ampleur du secteur informel, des dangers liés au problème des systèmes de retraite et d’autres que nous ne pouvons tous citer et analyser. En ce début de l’année politique et à la veille de l’adoption de la Loi de finances 2015, il est très utile de rappeler l’existence de ces grands maux et d’inviter les responsables à entamer des démarches pratiques pour rendre au citoyen la confiance dans son administration et pour opérer une conciliation avec la chose publique.

La corruption : le mal à plusieurs facettes

Nous avons une instance de lutte de prévention contre la corruption, nous avons une volonté et un programme gouvernemental qui met la moralisation à la tête des priorités, nous avons des associations de la société civile qui effectuent des études, qui dénoncent et publient des communiqués de presse, et pourtant, le phénomène de la corruption est toujours perçu comme étant « généralisé» ou du moins existant avec la même ampleur, comme il y a « dix ou vingt ans». Une étude de transparence internationale intitulée « baromètre mondial de la corruption en 2013 » s’inquiète sur le cas de notre pays. Sur les 1004 personnes qui forment l’échantillon marocain dans cette étude, 49 % de celles interrogées déclarent avoir eu recours au «pot de vin» dans leur relation avec les secteurs qui ont été couverts par l’étude. Des notes ont été attribuées aux secteurs considérés comme étant perméables à la corruption et ont fait apparaitre la justice, la police, les administrations publiques, le système éducatif et même les partis politiques.

En tant qu’activité illicite, la corruption génère un chiffre d’affaires qui est réinjecté dans l’économie à travers plusieurs procédés de blanchiment. L’épicier du coin et la traite du crédit peuvent être des lieux et des objets de blanchiment, autant que les dépôts bancaires ou l’investissement improductif. Certains corrompus peuvent être un danger pour leurs enfants en leur offrant des moyens financiers qui finissent par détruire en eux tout effort d’apprentissage. Cette activité illicite est plus dangereuse lorsqu’elle devient un frein à l’investissement et à l’amélioration du climat des affaires. Elle génère des effets catastrophiques lorsqu’elle entre dans la normalité du quotidien citoyen. C’est la crédibilité des institutions qui est attaquée et partant, la politique et la symbolique de la représentation démocratique. Le classement international du Maroc ne peut s’améliorer sans de réels instruments de combat contre les corrompus. Le nombre d’affaires portées devant la justice est encore très faible.
Sur le plan économique, la corruption nous coûte chère. Certaines entreprises peuvent affecter jusqu’à 3% du chiffre d’affaires pour corrompre ou faire face à une pression corruptive. La conséquence la plus dangereuse est celle qui touche à notre croissance et qui est évaluée en points de PIB. 2% serait le taux de croissance que notre économie perd par le fait de la corruption. C’est presque l’équivalent de 17 milliards de dhs. Ce sont des richesses et des emplois en moins et de la pauvreté en plus. Le code pénal est à jour, les institutions et les codes d’éthique sont mis en place, les campagnes de vulgarisation et de sensibilisation ont été suivies par les marocains et nous disposons d’un groupe d’action en matière de lutte contre le blanchiment. Il nous manque d’aller vers la vraie comptabilité ou ce qu’on appelle avec un certain orgueil politicien, la réédition des comptes. Que chaque responsable politique ou public réponde de l’origine de son patrimoine et que les nouveaux outils informatiques nous aident à détecter les mouvements suspects de fonds et surtout en cash.

Le secteur informel

Le vocable informel induit nécessairement la notion de désorganisation, de non structuration et d’imprévision et l’économie informelle désigne, en conséquence, l’ensemble des activités productives de biens et de services qui échappent au regard ou à la régulation de l’Etat. Celles-ci partagent un certain nombre de caractéristiques en commun: faible capital, peu de main-d’œuvre qualifiée, accès limité aux marchés organisés et à la technologie; revenus faibles et irréguliers, conditions de travail généralement médiocres; échappent aux réglementations publiques et sont, presque toujours, en marge des systèmes officiels de protection sociale et de protection des travailleurs (BIT, 1991) (voir rapport du HCP 2007). Le travail au noir est considéré comme relevant de l’informel bien qu’il donne lieu à une rémunération. Le secteur informel au Maroc crée des dysfonctionnements non seulement pour l’Etat, mais aussi et surtout pour l’entreprise organisée. L’ampleur de l’informel rejaillit sur les droits les plus élémentaires des travailleurs et notamment, le taux de couverture par la sécurité sociale et par les systèmes de  retraite. L’informel décourage et finit par faire tomber l’investisseur ambitieux dans les décombres des faillites. Pire encore, certaines entreprises réagissent à l’informel par l’informel en faisant immigrer certaines de leurs activités vers des zones de non contrôle. La question est tellement grave, qu’un membre du gouvernement (deuxième version Benkirane) est chargé d’intégrer le secteur informel. Il s’agit de Mamoun Bouhdoud, ministre des Petites entreprises et de l’Intégration du secteur de l’informel. Cette tâche est compliquée et requiert plus qu’une mobilisation générale. Elle a surtout besoin de ne point pratiquer autour d’elle la surenchère politicienne. Ce jeune responsable et fin connaisseur du monde de la finance ne veut surtout pas attaquer le secteur informel. Il ne s’agit pas pour lui d’une guerre, mais d’une action soutenue pour cibler l’informel qui fait vraiment mal à notre économie. La coordination avec le ministère de l’Intérieur est sollicitée pour structurer des secteurs et éviter que les entreprises ne tombent dans les filets dangereux de l’informel. La corruption et la  négation des droits des travailleurs sont les prix à payer pour vivre dans ce milieu de la crainte et du gain facile et dangereux. Bien que les données statistiques disponibles(HCP) les plus récentes remontent à 2007 ,nous avons jugé utile de se référer aux résultats de l’enquête nationale sur le secteur informel de cette année, le nombre d’unités de production informelles s’est élevé à 1.550.274, soit une création nette de 320.000 unités en l’espace de 8 ans ou l’équivalent de 40.000 unités par an.
« Par milieu de résidence et comme cela a été relevé par l’enquête précédente, la majorité des unités de production informelles sont localisées en milieu urbain avec une proportion de 69,8%. La part des unités informelles exerçant en milieu rural a légèrement augmenté depuis 1999, passant de 28,4% à 30.2%. » Le taux d’accroissement de l’informel par rapport à la situation d’avant 1999, fait ressortir la région du grand Casablanca et la région de Marrakech –Tensift –El Haouz comme étant les plus « performantes » en matière de production du phénomène de l’informel (+ 27,8 %). L’informel reste un phénomène complexe et son intégration doit se faire sur la base d’une différenciation de ses composantes et à l’intérieur de celles-ci entre celles qui ne sont pas des sources de dysfonctionnement économiques et financiers graves et celles qui constituent un facteur de solidarité et de stabilité sociale. La cible de toute politique d’attaque doit être celle qui constitue une réelle évasion devant l’impôt et devant les devoirs envers les caisses de sécurité sociale. L’informel a d’autres facettes qui peuvent nuire à la sécurité nationale. Certaines activités peuvent donner lieu à des réseaux de financement de réseaux mafieux ou terroristes. Certaines activités artisanales de fabrications de couteaux et d’épées ont servi à des délinquants qui se sont convertis d’une façon « incompréhensible » à une niche de recrutement de terroristes. Là où il y a l’ombre, se développent les phénomènes nuisibles à la communauté nationale. Intégrer le secteur informel n’est pas qu’une question de fiscalisation d’une catégorie d’acteurs économiques, c’est une réelle question de sécurité économique, sociale et politique du pays.
Le jeu politicien peut enfanter les petits diables. La responsabilité de tous les acteurs de notre scène est primordiale. Faire semblant de pleurer sur le sort des pauvres et les autoriser à occuper le domaine public et fermer les espaces à la circulation urbaine, peut conduire à des seuils de permissivité nuisible à nos forces institutionnelles. L’ordre public n’est pas un vain mot. L’investisseur, le fabricant, le commerçant, le consommateur, le touriste et le fonctionnaire agissent et réagissent en fonction du degré de force du comportement de l’institution publique.
L’informel peut nous coûter un nombre de points important de notre PIB, mais il nous coûte plus cher en points de crédibilité auprès de nos partenaires. Les campagnes électorales vont bientôt commencer et nul n’est à l’abri des discours populistes qui défigurent la politique.

Il s’agit d’un secteur qui pourrait se situer à environ 15% du PIB, soit plus de 170 milliards de dhs. Encourager l’informel se fait à coups de discours, de dysfonctionnements des politiques publiques, de manque d’équité fiscale et d’absence de contrôles. Le contrer et l’intégrer se feraient par des discours vrais, des politiques publiques bien préparées et surtout bien pilotées, des mesures fiscales équitables et un contrôle régulier des activités productives de biens et des services.
Lors des Assises fiscales de 2013, la première recommandation du deuxième panel sur le thème de la lutte contre la fraude et l’appréhension de l’informel a proposé d’organiser des « Assises Nationales dédiées à ce sujet »
Il est temps que ces Assises nationales aient lieu. Les études sont prêtes, les diagnostics aussi et il ne manque que le plan d’action…

La fraude fiscale

Phénomène universel et cible de beaucoup de gouvernements, la fraude fiscale au Maroc demeure une préoccupation politique et une bataille administrative qui n’est pas encore gagnée. Des efforts sont déployés pour la réduire à travers le contrôle, le suivi et la vérification, mais les fraudeurs s’ingénient pour trouver les meilleurs moyens pour échapper à l’impôt. Le recours au conseil fiscal est souvent synonyme, dans beaucoup de cas, à la recherche des voies qui peuvent amener le contribuable à payer moins. La cote de certains conseillers s’apprécie à l’efficacité de leurs astuces devant les dossiers dont ils sont chargés. Ces conseils s’opèrent dans la légalité mais permettent une évasion fiscale. Le Chef du gouvernement a presque crié devant les Assises de Skhirat en 2013 lorsqu’il a cité que 60% des entreprises déclarent des déficits successifs et que seulement 2% des sociétés contribuent pour 80% dans les recettes de l’IS. Le manque à gagner est grand pour les recettes publiques. Le civisme fiscal tant recherché est rangé, par certains, dans les placards de l’oubli. Le discours à caractère moral ne peut rien changer à la qualité des déclarations. Seul un contrôle dynamique et intelligent peut permettre au moyen de recoupements et de traitement synthétique des données, de lever le voile sur les contradictions de certaines comptabilités. La littérature sur la fiscalité et sur le civisme fiscal a souvent souligné la nécessité de tenir compte des signes extérieurs de richesse. Les « pauvres et permanents » déficitaires sont généralement des hommes et femmes aisés qui n’endurent que rarement les effets des déficits de leurs entreprises. Le train de vie des « victimes des déficits successifs » n’est point ralenti et l’étendue de leurs richesses est toujours dopée par un souffle venu d’ailleurs. « Soubhana Allah !!!» . La responsabilisation de tous les intervenants, y compris de ceux qui aident à la tricherie devrait recevoir un traitement sévère et bien au-delà de ce que prévoit le code général des impôts.
Le coût de la fraude peut difficilement être avalé sur des bases objectives et précises . Le Conseil économique social et environnemental n’a pas donné d’indication dans son rapport de 2012 sur cet aspect. Néanmoins, on peut estimer que les recettes issues des contrôles fiscaux renseignent partiellement sur le volume de la fraude. 2,66% des montants recouvrés sont le fait du contrôle fiscal. Les montants correspondants se sont élevés en 2010 à environ 4,8 milliards de dhs. Les données concernant 2013 se sont élevées à plus de 7 milliards de DH
Il y a certes, des efforts à déployer pour réduire les effets pervers d’une pression fiscale considérée comme lourde sur les revenus et sur les sociétés organisées, mais il y a surtout un grand besoin pour une normalisation de la relation fiscale pour qu’elle soit moins conflictuelle, comme l’ a souligné, le CESE dans son rapport. La recommandation des Assises fiscales est claire à ce sujet : Il faut « mettre en place un dispositif de lutte contre la fraude fiscale visant le renforcement des moyens d’action de l’administration fiscale ,afin de lui permettre d’exercer ses missions dans les meilleures conditions» Cette recommandation cible sept domaines qui vont des ressources humaines, jusqu’à l’adoption des dispositions législatives relatives à la pénalisation de la fraude fiscale.

La retraite et le danger de la disparition des réserves

Les retraités actuels et futurs ont peur, vraiment peur. La catastrophe est proche et les pensions des retraités sont en grand danger. Le spectacle auquel on assiste depuis 2004 est à la limite de la frivolité et de l’irresponsabilité. Tous les acteurs sont devenus de réels experts en diagnostic des déséquilibres financiers et de l’incohérence de nos régimes de retraite et aucune solution même « partielle, approximative, d’équilibre, consensuelle… » n’emporte l’adhésion des équipes qui se sont succédées pour étudier ce dossier. La Commission technique a tellement tenu de réunions que ses membres ont presque noué entre eux des liens d’amitié profonde et respectueuse. La commission nationale se réunit pour constater et reporter la solution à une autre réunion dans le futur. Et pendant ce temps-là , «on dort» alors que les déficits sont en pleine progression. C’est la faute à qui….à la gestion des réserves? À la gouvernance? À la démographie? À l’ajustement structurel des années quatre-vingt ? Au versement tardif des cotisations de l’Etat dans le régime des pensions civiles ? Aux techniciens qui ne voient que les paramètres pour réformer ? À Benkirane qui s’est engagé à augmenter l’âge de départ à la retraite ? À ce mouvement mondial qui retarde l’abandon de la vie active à 60 ans ?
En attendant, le gouvernement a demandé l’avis du CESE ou plutôt un arbitrage. Ce conseil a l’habitude de rendre des avis qui emportent l’adhésion de presque tout le monde. Cette fois, la besogne semble un peu dure à faire. Les représentants des syndicats ne veulent surtout pas se retrouver piégés dans un avis qui aura un impact sur la position des «camarades» parlementaires. Le gouvernement semble déterminé et le fait savoir. Se rétracter pourrait être interprété comme une faiblesse et induire d’autres retraits sur d’autres dossiers et notamment, celui relatif à la compensation. Le porte-parole du gouvernement a déclaré sur nos colonnes que la politique de l’autruche n’est pas celle qui pourrait être pratiquée par le gouvernement actuel. Quel que soit le prix politique à payer, le gouvernement et son chef sont déterminés. Les syndicats ont exprimé leur union sacrée autour de ce dossier . Seraient-ils capables d’infléchir le gouvernement ? Le premier semestre 2015 sera décisif dans la maitrise des champs sociaux. Les menaces ont été proférées par les acteurs sociaux et la détermination a été affirmée par le gouvernement…Le printemps prochain sera aussi politique.

La compensation :un vrai lieu de détournement de l’aide sociale

Chantier éternel et continuellement au stade de l’inachèvement, la compensation n’a jamais été discutée en dehors des combats autour des questions politiques du moment. L’essentiel pour l’acteur politique est sa position par rapport au pouvoir. Parler des déficits est toujours un exercice facile ,les dénoncer et faire paraitre leur gravité sur le pays est un moteur pour la «popularité» des leaders ,mais proposer des solutions concrètes et faisables fait rentrer les « audacieux » dans leurs coquilles. La compensation et ses milliards font partie d’un passif qu’il faut alléger. Orienter les deniers publics vers les plus démunis se fait à travers un vrai ciblage et non à travers la généralisation des bienfaits financiers publics. Ceux-ci finissent par gonfler les avantages des nantis et diminuer les disponibilités budgétaires qui doivent être allouées aux infrastructures qui doivent constituer un levier pour l’égalité des citoyens. Les premières actions en matière d’indexation des produits énergétiques sont porteuses d’espoirs. Le gaz butane, le sucre et la farine nationale continuent de bénéficier ,en grande partie , à ceux qui n’ont pas besoin de l’aide de l’Etat. Les bonbonnes de gaz font le bonheur des grands exploitants agricoles et cela coûte 15 milliards de dhs. Le sucre fait gonfler la marge bénéficiaire de certains industriels dans le domaine de la confiserie, du chocolat et des conserves de fruits. Si les industriels des boissons sucrées remboursent 1 DH sur 2,9 DH de compensation, les autres industriels précités ne remboursent plus un centime depuis 2006. La majorité des Marocains consommateurs du sucre n’ont que rarement accès aux produits qui utilisent le sucre subventionné. Le ciblage est encore difficile à atteindre.
La seule bonne nouvelle à citer est celle de l’allègement, selon BAM, des dépenses de la compensation de 17,9 % jusqu’en août 2014 et l’affectation de ces allègements à l’augmentation des paiements au niveau des paiements sur les investissements.

 

 
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