Interview

Zakaria Fahim: « Cette pandémie va confirmer une nouvelle ère en matière de transmission d’entreprises au Maroc »

Spécialiste de l’accompagnement des entreprises familiales, Zakaria Fahim estime que le Coronavirus a ouvert grande la porte à la transmission d’entreprises.

Challenge : Le Coronavirus ne va-t-il pas donner un coup d’accélérateur au marché de la transmission-cession des entreprises ?

Zakaria Fahim : Je pense que cette pandémie va confirmer une nouvelle ère en matière de transmission d’entreprises au Maroc. L’état de nos entreprises va être totalement différent, puisque nous aurons une cartographie d’entreprises qu’on n’aurait jamais pu imaginer il y a deux ou trois mois. L’accélération dépendra effectivement du type d’entreprises et du secteur. Si nous prenons aujourd’hui la carte avec tous les secteurs, il y a deux extrêmes. Il y a les fleurons dans le tourisme et dans la restauration qui peuvent être repris pour pouvoir repartir. Il s’agira notamment, de certaines entreprises qui pourraient être reprises au franc symbolique car certaines d’entre elles ont des dettes qu’elles ne peuvent plus honorer et alors pour ne pas être poursuivies, seront obligées de céder leur patrimoine. Il y a aussi celles qui ne pourront pas garder la valeur qu’elles avaient il y a trois mois. Il est donc clair qu’il y aura des entreprises qui seront perdantes dans les secteurs sinistrés dans lesquels il y a des valorisations très faibles. Forcément, il y aura des opportunités pour les gens qui auront du cash pour ramasser à la petite cuillère des fleurons qui seront asphyxiés financièrement.

Challenge : sera-t-il facile de trouver des acquéreurs qui ont du cash et capables d’acheter ?

Je pense que tous ceux qui auront consommé les amnisties fiscales notamment à l’international ou au Maroc parce qu’ils avaient du cash seront, à mon avis, les principaux acquéreurs potentiels. Il faut juste qu’ils aient derrière une petite fibre d’entrepreneur. Toutes ces personnes qui ont du cash sont de potentiels  acquéreurs. Il peut y avoir aussi les sociétés de capital investissement qui pourront effectivement, dans le cadre de leur stratégie, acquérir des entreprises qui rentrent dans leur pôle stratégique. Ces sociétés ont du cash et ont une obligation d’investir. Dans les entreprises où il va falloir beaucoup plus d’effort, il reviendra aux industriels ou aux sociétés de capital-investissement d’aller les chercher. Maintenant, il faut juste qu’ils aient une assurance que le marché va redémarrer bientôt et qu’ils aient aussi de l’optimisme.

Challenge : Quels sont les secteurs qui seront concernés par ce marché de la transmission-cession ?

La  restructuration touchera toutes les entreprises qui étaient dans les secteurs sinistrés comme le tourisme, la restauration ou encore l’hôtellerie. A ce niveau, il y aura du capital-retournement parce que ces entreprises seront dans le rouge. D’ailleurs, si elles ne redémarrent que dans 6 mois ou 9 mois, certaines ne pourront pas tenir, surtout si elles avaient l’habitude d’investir par endettement. Dans ce cas, elles auront du mal à avoir l’autorisation de la banque de rééchelonner. Ensuite, il y a toutes ces sociétés qui se portent bien et qui auront besoin de plus d’investissement, notamment dans le secteur de la santé, de l’éducation, de tout ce qui concerne l’infrastructure. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de relocalisation industrielle. Je pense que le comité de veille économique (CVE) a défini des secteurs dits stratégiques et dans ces secteurs, il y a forcément des besoins. A mon avis, le premier investisseur dans l’après-Covid sera le fonds public d’investissement qui sera mis en place et qui va donner la tonalité en investissant dans les entreprises où il y a des enjeux sociaux, mais aussi économiques. Ainsi, ce fonds pourra attendre un retour sur investissement parce que sa préoccupation est plutôt une stabilité du tissu économique dans les régions. Il ne faut pas oublier que nous avons beaucoup plus d’entreprises régionales. Le fait de sécuriser ces régions en maintenant l’outil de production de ces entreprises permet de freiner l’exode, et d’éviter une déstructuration des villes.

Challenge : Ce fonds va-t-il pouvoir investir dans la transmission d’entreprise ?

C’est un fonds d’investissement qui peut investir dans la transmission pour les entreprises qui se portent bien et dans le retournement pour celles qui se portent mal. On peut avoir des entreprises en difficulté pour redémarrer mais dès que l’on va réinjecter de l’argent, elles peuvent retrouver leur forme. Il y aura ces deux fonds qu’il faudra mettre en place, car même les sociétés de capital-investissement ou même les particuliers ne sont pas toujours les mieux placés pour aller sur le retournement, surtout maintenant que la visibilité est très faible. Seul l’Etat est capable d’avoir une vision qui ne soit pas mercantile à court terme et d’accepter d’attendre afin surtout de sécuriser le volet social. Les entreprises ne doivent pas rester les bras croisés aujourd’hui. Elles doivent se faire accompagner par un expert-comptable, quelle que soit la situation de transmission ou de restructuration, pour remettre à plat les choses, revoir le business model et avoir un coaching. Il faut dire que très souvent, l’entrepreneur n’est pas forcément la bonne personne pour prendre la bonne décision lorsqu’il s’agit de céder son entreprise.

Challenge : est-ce à dire que ce fonds est une aubaine pour les cédants de passer facilement la main ?

La mise en place d’un fonds peut être mieux acceptée parce que de l’autre côté, les enfants des dirigeants de ces sociétés ne veulent pas reprendre ces entreprises qui ne sont pas dans le digital ou dans les services, mais plutôt dans l’industrie. Et là, il va falloir mettre de l’énergie que n’ont pas toujours les fondateurs, qui sont souvent à un âge très avancé. Il va vraiment falloir les aider à passer la main. Alors, le fait que leurs enfants ne cherchent pas à reprendre, constitue un point qui peut encourager certains à passer le relais. Beaucoup de ces dirigeants seront preneurs pour une transmission si quelqu’un venait frapper à la porte, après cette pandémie.  En effet, ils ne tiendraient pas le coup en cas d’une deuxième crise du genre. Je milite pour que l’Etat accélère la mise en place de la loi sur le crowdfunding et les business angels. Elle permettra d’aller chercher les fonds au niveau de la diaspora pour sauver quelques entreprises qui n’auraient pas été sauvées par le fonds ou par les sociétés de capital-investissement et autres investisseurs.

Challenge : Quels sont actuellement les types d’entreprises qui doivent accélérer la transmission ?

Dans notre baromètre, nous avons constaté qu’il y avait 40% d’entreprises de la population sondée qui avait une problématique de transmission non négligeable. Le Covid-19 a démontré que le risque impossible peut devenir possible et je crois que ceux qui vont s’en sortir, seront convalescents, et vont réfléchir à deux fois désormais. Il est clair que les secteurs porteurs pourront trouver plus facilement un investisseur industriel ou un capital- investisseur, parce que la rentabilité est là. Pour le reste, ça sera du sauve qui peut.

Challenge : Avec la crise actuelle, peut-on dire finalement, que les patrons courtisés mais qui tergiversaient quant à transmettre leur entreprise, risquent de le payer cher ?

Je pense que oui. Certains n’auront que leurs yeux pour pleurer, parce que la valeur que leur entreprise avait avant le Covid ne sera plus la même après. Effectivement, la mise sur le marché va être une bouée de sauvetage pour certaines de ces entreprises qui rencontreraient des difficultés. Sauf que ces dirigeants n’auront plus la main pour discuter des conditions. Certaines entreprises risquent d’être vendues à des prix très bas, voire même au dirham symbolique.

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