Interview

S. E. Li Changlin : « Les relations sino-marocaines se développent dans une voie express »

Dans un contexte de crise sanitaire mondiale, récemment aggravée par l’extension des conflits armés, la République Populaire de Chine, malgré les difficultés croissantes, demeure fidèle à ses engagements internationaux, notamment envers le continent africain. La Chine partage avec l’Afrique un passé commun. Comme la Chine, l’Afrique fait face à des situations néocoloniales. Actuellement, les défis sont aussi semblables et partagés.

Parmi les principes fondamentaux, rigoureusement appliqués par la Chine, en matière de coopération avec l’Afrique, figurent le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, et l’appui au développement des capacités propres à chaque Etat, dans le strict respect de la souveraineté étatique. Pour la Chine, chaque Etat est indépendant dans la conception et la mise en œuvre de son propre modèle de développement, adapté à la réalité concrète de chaque formation sociale. Dans cette optique, la Chine considère le nouveau modèle de développement (NMD) comme étant une expression et une référence marocaine. Le rapport du NMD a d’ailleurs fait l’objet d’une traduction en chinois, pour être diffusé aux entreprises chinoises qui souhaitent investir et entreprendre au Maroc, en connaissance de cause. A travers l’interview qui suit, Challenge a invité M. l’Ambassadeur Li Changlin à faire le point sur les dernières évolutions qu’a connues le monde, en période de crise et à définir les grandes lignes des nouvelles perspectives de renforcement de la coopération entre le Royaume du Maroc et la République Populaire de Chine.

Challenge : Plus de deux ans après l’apparition de la pandémie due au Covid-19, quelles seraient les principales leçons à tirer ?

S. E. Li Changlin : La pandémie due au Covid-19 est la plus grave épidémie mondiale jamais connue depuis un siècle. Jusqu’au 1er août 2022, près de 570 millions de personnes ont été infectées, et près de 6,4 millions de personnes en sont décédées. Elle a causé d’innombrables pertes à toute l’humanité. Après plus de deux ans de lutte anti-Covid-19, les leçons à tirer peuvent se résumer autour des trois points suivants :

Premièrement, il faut poursuivre la solidarité et la coopération. Le virus ne connait pas de frontière. La pandémie due au Covid-19 est une grave crise mais aussi un défi commun pour toute l’humanité. Aucun pays ne peut se mettre à l’écart, et seules la coopération et la solidarité sont les armes les plus puissantes pour vaincre cette épidémie. Face à ce défi sanitaire, les pays du monde doivent faire preuve de solidarité et d’entraide, au lieu de pénaliser les efforts des autres et de faire cavalier seul.

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Deuxièmement, il faut adopter une attitude scientifique. La lutte sanitaire et l’identification des origines du virus sont des questions scientifiques sérieuses, face auxquelles nous devons travailler ensemble dans le respect de la science, adopter une attitude strictement scientifique et suivre les lois de la science. Mais, il est regrettable que certains pays, mus par des motifs principalement politiques, s’attaquent et dénigrent d’autres pays, se livrent sans scrupule à l’instrumentation politique de l’épidémie et de la question relative aux origines du virus. Cette attitude a gravement perturbé la coopération internationale contre la crise sanitaire et ses véritables causes, tout en faisant tort aux peuples de tous les pays du monde.

Troisièmement, il faut mettre l’être humain et la vie, au-dessus de tout. Il n’existe pas de politique anti-Covid-19 valable partout. Tous les pays ont le droit de prendre, conformément à leurs réalités nationales, des mesures anti-épidémiologiques qui leur sont adaptées. Nous gardons toujours à l’esprit que nous menons cette lutte sanitaire pour le peuple et rien n’est plus précieux que la vie. Toute politique doit avoir pour vocation de protéger la vie et la santé humaine, et le seul critère pour la juger, c’est de voir si elle a gagné l’adhésion, le soutien et la satisfaction à travers des résultats concrètement atteints.

Challenge : La crise sanitaire a eu des conséquences négatives multiples sur les économies fortement connectées et dépendantes les unes des autres. Sommes-nous aujourd’hui face à un retour des « souverainismes », à des « relocalisations » géographiques, et à un affaiblissement du « multilatéralisme » ?

S. E. Li Changlin : À cause de la COVID-19 et d’autres facteurs, l’économie mondiale fait face à des risques baissiers accrus. Les instabilités et les incertitudes se multiplient et la sécurité des chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales est gravement perturbée. Dans ce contexte, la mondialisation économique se voit confrontée à des contre-courants. Certains pays tendent à s’enfermer, et l’unilatéralisme et le protectionnisme gagnent du terrain.

Cependant, nous devons rester lucides sur le fait que la mondialisation est une tendance irréversible de notre époque. Dans un monde globalisé où les économies sont interdépendantes avec des intérêts plus que jamais imbriqués, les différents pays forment en effet une communauté d’avenir partagé. Comme l’a dit le Président Xi Jinping, vouloir couper artificiellement les flux de fonds, de technologies, de produits industriels et de personnes pour que l’immense océan qu’est l’économie mondiale retourne à l’état de lacs isolés, est non seulement impossible mais aussi à contre-courant de l’histoire.

La Chine, promotrice de la mondialisation et du multilatéralisme, continuera d’élargir l’ouverture de haut niveau et de partager avec le monde entier les opportunités de développement humain, afin de faire évoluer la mondialisation économique dans un sens plus ouvert, plus inclusif, plus équilibré et bénéfique pour tous.

Challenge : Avant la crise sanitaire, les rapports de coopération entre la Chine et le Maroc ont connu de grands progrès, perturbés un peu par cette crise. Comment consolider ces progrès et donner un nouveau souffle aux rapports bilatéraux des deux pays ?

S. E. Li Changlin : Ces dernières années, sous l’engagement personnel et la direction de nos deux Chefs d’État, les relations sino-marocaines se développent dans une voie express, avec des fruits abondants grâce à la la coopération pragmatique bilatérale dans divers domaines. Certes, la COVID-19, survenue soudainement, a eu des impacts sur nos échanges humains et sur la coopération bilatérale. Mais face aux risques et aux défis, les deux parties ont fait preuve de solidarité et mené une coordination étroite. Nous avons eu le courage de braver le vent de sorte que le navire de la coopération a pu avancer et de nombreux nouveaux acquis et percées ont été réalisés. Notre coopération anti-COVID-19 a été fructueuse. La Chine est l’un des premiers pays à avoir fourni des vaccins au Maroc et c’est aussi le premier en termes de nombre de doses fournies. Elle a aussi activement développé avec le Maroc la coopération en matière de production de vaccins, apportant ainsi une contribution importante à la protection de la vie et de la santé du peuple marocain.

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En même temps, les deux parties ont signé, pour la première fois, en Afrique du Nord, le Plan de la mise en œuvre conjointe de l’Initiative « la Ceinture et la Route ». En 2021, le volume de nos échanges commerciaux a dépassé 6 milliards de dollars américains. Le Groupe Citic Dicastal a investi, en plus des 350 millions d’euros déjà engagés, 1,8 milliard de dirhams supplémentaires pour la mise en place d’une usine de moulage et d’usinage. Récemment, la Convention-Cadre pour la réalisation du projet de la Cité Mohammed VI Tanger Tech, qui attire la haute attention des deux parties, a été signée à Rabat, marquant une avancée importante dans la coopération en matière de développement des capacités de production. Ces faits montrent pleinement la forte résilience et la vitalité de la coopération sino-marocaine.

Dans l’avenir, la Chine entend renforcer la communication avec le Maroc pour faire valoir les atouts de part et d’autre, concrétiser effectivement le Plan de la mise en œuvre conjointe de l’Initiative « la Ceinture et la Route » ainsi que les acquis concernant le Royaume dans le cadre du Forum sur la Coopération Chine-pays arabes et du Forum sur la Coopération sino-africaine, approfondir sans cesse la coopération bilatérale en matière de commerce, d’investissement, d’infrastructures, de  développement des capacités de production, de santé et de nouvelles énergies, afin de contribuer davantage au développement des deux pays et au bien-être des deux peuples.

Challenge : Au cours des deux dernières décennies, la Chine est devenue un partenaire stratégique des Etats Africains, en matière de développement. Aujourd’hui, on assiste à un retour en force de certaines puissances dans le continent, notamment les Etats-Unis d’Amérique. L’Afrique risque-t-elle de redevenir un espace d’affrontement indirect entre les grandes puissances opposées non plus uniquement sur le plan idéologique, mais aussi et surtout économiquement ?

S. E. Li Changlin : L’Afrique est un « continent d’espoir » et une « terre de développement ». Au fur et à mesure de l’approfondissement de son intégration, l’Afrique ne cesse de libérer son potentiel de développement et son poids augmente chaque jour davantage sur la scène internationale. En tant qu’ami et partenaire sincère de l’Afrique, la Chine se félicite du fond du cœur de son développement.

Soutenir le développement humain de l’Afrique est une responsabilité de l’ensemble de la communauté internationale. La Chine est toujours d’avis que l’Afrique doit être une scène pour la coopération internationale et non une arène de lutte entre les grandes puissances. Les pays devraient rivaliser en Afrique à travers leur contribution effective au développement humain de l’Afrique. Ce sont les actes concrets et leurs impacts positifs sur le mode de vie des gens, qui peuvent réellement impressionner les peuples africains, et non pas les discours et les manœuvres conduisant au renforcement des positions d’influence et d’hégémonie.

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La coopération sino-africaine n’a jamais été une coopération fermée ni exclusive. La Chine sera heureuse de voir différents acteurs de la communauté internationale développer la coopération avec l’Afrique, en respectant sa souveraineté et en écoutant sa voix. Ils ont à valoriser leurs atouts respectifs, afin de former une synergie positive et effective au bénéfice des peuples africains. La Chine restera attachée au principe de « sincérité, pragmatisme, amitié et franchise » et à la juste conception de la justice et des intérêts réciproques. Elle renforcera la coopération avec ses partenaires africains, et sera constamment disposée à ouvrir le dialogue et à développer les échanges avec les différentes parties.

Challenge : Quels sont les domaines de coopération perçus actuellement par la Chine comme étant prioritaires et stratégiques dans le continent africain ?

S. E. Li Changlin : En novembre 2021, la 8e Conférence ministérielle du Forum sur la Coopération sino-africaine (FCSA), à Dakar, s’est tenue avec succès. Dans son discours à la cérémonie d’ouverture, le Président chinois Xi Jinping a avancé quatre propositions sur la construction d’une communauté d’avenir partagé entre la Chine et l’Afrique, dans la nouvelle ère : insister sur la solidarité contre l’épidémie ; approfondir la coopération pragmatique ; promouvoir le développement vert ; et défendre l’équité et la justice. Il a également annoncé neuf programmes de coopération pour les trois prochaines années couvrant la santé, la réduction de la pauvreté et le soutien à l’agriculture, la promotion du commerce, la promotion de l’investissement, l’innovation numérique, le développement vert, le renforcement des capacités, les échanges humains et culturels ainsi que la paix et la sécurité, traçant une ligne directrice et une orientation à suivre pour le développement des relations et de la coopération entre la Chine et l’Afrique. Dans le cadre des « neuf programmes », la Chine exécutera 80 projets d’aide, mettra en place une plateforme Chine-Afrique pour la promotion des investissements privés, encouragera ses entreprises à investir au moins 10 milliards de dollars américains en Afrique dans les trois ans à venir, et accordera à l’Afrique une ligne de financement du commerce extérieur et une ligne de crédit, chacune de 10 milliards de dollars américains.

À l’heure actuelle, les acquis du développement mondial, depuis des années, sont compromis par la COVID-19. Les crises alimentaire et énergétique s’entremêlent, et les pays africains en sont les premières victimes. En tant que partenaire, ami et frère de l’Afrique, la Chine accorde l’importance et la priorité à la mise en œuvre des acquis de la 8e Conférence ministérielle du FCSA, notamment aux « neufs programmes », et travaillera de concert avec l’Afrique afin d’apporter des bénéfices tangibles et palpables aux peuples africains, de promouvoir la reprise économique et l’amélioration du bien-être de la population en Afrique, et d’accompagner les efforts africains dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies.

 
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