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Conflit d’intérêt dans la vie publique : est-ce si dangereux ?

Les situations de conflit d’intérêts dans la vie publique sont traitées avec beaucoup de rigueur dans les pays démocratiques. Le Maroc, qui ambitionne d’édifier un Etat de droit et qui se trouve en pleine réflexion sur un nouveau modèle de développement, se doit d’aborder cette problématique en toute transparence et avec beaucoup de courage.  

En pleine contestation de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, le ministre français en charge de ce dossier est sérieusement mis en difficulté suite à des révélations concernant le cumul de sa fonction politique avec celle d’administrateur bénévole d’un institut de formation d’assurances. Le fait de garder sa fonction au sein de cet institut lié au milieu des assurances qui est intimement intéressé par la réforme des retraites en cours, le mettrait selon certains dans une situation de conflit d’intérêts. 

Le ministre qui était sur le point de démissionner de son poste ministériel, a été contraint de renoncer à son poste dans l’institut et de rembourser le montant de la rémunération perçue pendant toute la période pendant laquelle il a cumulé les deux fonctions. Et l’affaire n’est pas close puisque la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, instance chargée de contrôler le patrimoine et l’activité des hauts responsables, a indiqué qu’elle poursuit ses contrôles au sujet des activités du ministre.

Vue de chez nous, cette tempête qui secoue le gouvernement français paraît exagérée, du fait que les situations de conflit d’intérêts dans notre pays ne choquent presque personne et sont devenues monnaies courantes, à tel point qu’il n’est pas rare de voir des responsables publics conclure à travers leurs entreprises ou parfois directement, des transactions d’affaires (marchés, location d’immeubles, vente d’immeubles…) avec l’Etat, les collectivités territoriales et les entreprises et établissements publics. Plus grave, certains responsables publics ne ressentent aucune gêne à l’idée de faire du business avec des entités publiques placées sous leur tutelle ou carrément sous leur autorité. 

Est-il important de mettre fin à ces pratiques ? La réponse ne peut être que par l’affirmative compte tenu des retombées nocives de la confusion entre affaires publiques et privées. C’est pourquoi, il serait judicieux que le nouveau modèle de développement n’omette pas d’apporter une réponse à cette problématique qui porte gravement atteinte à l’intérêt général, fausse le jeu de la libre concurrence et sape la confiance des citoyens et des entreprises dans les institutions publiques.

Le terrain est bien préparé par la Constitution de 2011, qui stipule que le conflit d’intérêts est une infraction qui doit être sanctionnée par la loi. Huit ans après l’entrée en vigueur de la Constitution, cette disposition tarde à être mise en œuvre. Il est donc grand temps que le gouvernement passe à l’action en proposant un projet de loi en vue d’instaurer des sanctions contre le conflit d’intérêts comme le stipule la loi fondamentale du pays.

Sous l’effet, sans doute, de la Constitution de 2011, la Loi «organique relative à « l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement » adoptée en 2015, fait expressément référence à la notion de conflit d’intérêts. Mais c’est quoi un conflit d’intérêts ? La Loi organique n’en donne aucune définition, ce qui laisse la porte grande ouverte à des interprétations diverses de nature à rendre difficile l’application de cette disposition

Aux termes de l’article 33 de la Loi organique, relative aux conflits d’intérêts, les membres du gouvernement doivent, pendant la durée d’exercice de leurs fonctions, suspendre « toute activité pouvant entraîner un conflit d’intérêts ». L’article vise en particulier l’exercice d’activités professionnelles ou commerciales dans le secteur privé, à travers notamment la participation dans les organes d’administration et de gestion d’entreprises privées. 

Une exception de taille est toutefois retenue ; les membres du gouvernement sont autorisés à exercer des activités dont l’objet «porte sur les prises de participation et la gestion des valeurs mobilières ». En d’autres termes, un ministre peut parfaitement exercer des activités au sein d’une holding et siéger dans ses organes d’administration et de gestion. Il s’agit là d’une exception qui manque de fondement, car comment justifier l’interdiction à un ministre d’exercer une activité dans une petite entreprise, alors qu’il est autorisé à diriger une holding dont les ramifications sont des sources potentielles de conflits d’intérêts.

La Loi organique ne prévoit, en outre, aucune obligation de déclaration d’intérêts comme c’est le cas dans d’autres pays. En France par exemple, les ministres sont tenus, à la prise de leurs fonctions, de souscrire une déclaration d’intérêts qui doit être actualisée en cas de changement de situation. Ladite déclaration comporte tous les intérêts susceptibles d’entrer en conflit avec l’intérêt public. Cette déclaration est soumise au contrôle de la « Haute autorité pour la transparence de la vie publique » qui a pour mission de suivre de près le patrimoine et les activités des membres du gouvernement et d’autres hauts responsables publics.

 
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