Fiscalité

Contrôle fiscal : moins d’opacité ?

Est-il possible d’attraper un requin avec une canne à pêche artisanale ? Telle est l’image pouvant résumer la réalité du système de contrôle fiscal au Maroc, qui, malgré les quelques récentes améliorations, évolue difficilement vers la réalisation des objectifs de lutte contre la fraude fiscale, d’efficience et d’équité fiscale. par M. Amine

Le système fiscal mis en place depuis les années 1980 est essentiellement déclaratif. Cela veut dire que le contribuable, selon le type d’impôt, procède lui-même, volontairement, à l’assiette, à la liquidation et au paiement spontané de l’impôt.
L’Administration fiscale, pareille à un agent de police de la circulation, est donc là pour observer le comportement fiscal du contribuable et agir en cas de défaillance.

L’action de l’administration fiscale est encadrée par la loi
En effet, si le contribuable est totalement défaillant, s’il exerce une ou des activités imposables et effectue des opérations taxables non déclarées et non identifiées fiscalement, l’Administration fiscale intervient pour rappeler ledit contribuable défaillant à l’ordre fiscal, c’est-à-dire l’invite à s’identifier fiscalement et à souscrire ses déclarations au titre de la période non prescrite. En cas de résistance, ce sera la taxation d’office. Et pour recouvrer l’impôt émis, le fisc dispose de prérogatives pouvant aller jusqu’à la contrainte par corps, c’est-à-dire l’emprisonnement pour refus de payer l’impôt mis en recouvrement.
Pour les contribuables qui, bien qu’identifiés fiscalement, présentent des signes fiscalement anormaux dans leur comportement fiscal, signes pouvant être détectés à travers le «contrôle sur pièces», le fisc sera appelé à les programmer au contrôle fiscal, c’est-à-dire à l’examen de la comptabilité ou contrôle sur place. Cette programmation au contrôle fiscal est actuellement de plus en plus automatisée, sur la base d’une approche risques. L’intervention humaine a été réduite, sans être cependant totalement écartée.

Le processus de programmation au contrôle fiscal est certes moins opaque qu’autrefois
Néanmoins, cette évolution n’est pas irréversible. L’encadrement par des procédures administratives internes est nécessaire pour sécuriser le processus et renforcer la neutralité de l’Administration fiscale. Si le contrôle sur place ou vérification de comptabilité est rigoureusement régi par des procédures fiscales prévues par la loi, il n’en est pas de même quant à la phase antérieure relative à la programmation au contrôle fiscal qui est un processus administratif interne.
En effet, l’opération de contrôle sur place est régie par des procédures fiscales dont l’inobservation par l’Administration fiscale annule toute l’opération. Cette opération est déclenchée par l’envoi d’un avis de vérification, auquel est obligatoirement jointe une copie de la charte du contribuable. Un délai de quinze jours doit être observé avant intervention du fisc. Le début des travaux commence par l’établissement d’un PV d’ouverture. Le délai des travaux de vérification est limité à trois mois pour les PME et six mois pour les grandes entreprises. Un PV de clôture doit être établi pour prouver que le délai a été respecté. Ensuite une première notification est adressée au contribuable. Celui-ci a trente jours pour répondre (…). Viennent ensuite les voies de recours permettant au contribuable de contester les résultats du contrôle fiscal devant des commissions présidées par des magistrats.
Par ailleurs, le fisc peut aussi, de manière inopinée, intervenir sur place, en exerçant le droit de constatation qui peut déclencher un contrôle sur place. Le fisc peut aussi exercer le droit de communication en exigeant des informations/renseignements fiscaux auprès des clients, fournisseurs ou tout autre tiers détenteur d’informations et ce, aussi bien au niveau national qu’au niveau international, sur la base des conventions fiscales internationales bilatérales en vigueur.
Avec tout cet arsenal juridique, le fisc, en principe, devrait être craint comme la peste ou le choléra. Or, tel n’est pas le cas. Il ressemble plutôt à ce bel épouvantail sur lequel viennent se poser ces oiseaux rapaces, bien repus, dans cette plaine riche mais mal gardée.

Plus de 60% des entreprises déclarent constamment des déficits
Moins de 5% des entreprises paient plus de 80% de l’IS et de la TVA. 75% des recettes IR proviennent des salaires. Une chanson bien connue qui se répète comme dans un ancien disque musical détérioré…
Face à l’ampleur de la fraude fiscale, le fisc dispose de moins de 400 vérificateurs pour plus de 500.000 entreprises personnes morales ou personnes physiques, soit un ratio vertigineux de 0,08%.
Pour pallier cette insuffisance structurelle du fisc, des mesures ont été prises. Ainsi, la Loi de finances de 2012 a introduit l’obligation de joindre à toute déclaration de résultat fiscal nul ou déficitaire, un état explicatif de l’origine du déficit ou du résultat nul déclaré, sous peine de sanction (amende de 2000 dirhams). En fait, plus que la sanction, d’ailleurs insignifiante, surtout pour les grandes entreprises, c’est plutôt le clignotant rouge qui risque de s’allumer. Certes, il est tout à fait normal qu’une entreprise qui procède à des investissements importants soit déficitaire, compte tenu des charges en dotations aux amortissements. C’est aussi le cas des entreprises réellement en difficulté. La maturité fonctionnelle du système d’information du fisc doit lui permettre d’écarter ces entreprises pour mieux isoler celles qui présentent des risques. Au cœur de cette démarche qui vise à segmenter les contribuables selon le risque, l’enjeu principal est l’amélioration qualitative du contrôle fiscal pour le rendre efficient et équitable.
La Loi de finances de l’année 2011 a introduit un dispositif consacrant le « contrôle ponctuel ». Cette nouvelle démarche, couplée à l’automatisation de la programmation au contrôle fiscal, doit permettre de mieux cibler les opérations de contrôle et de remédier à l’insuffisance des effectifs en contrôleurs fiscaux. «Créer chez les contribuables de mauvaise foi le sentiment permanent que le fisc est derrière eux ? ». C’est ce qu’on appelle l’effet dissuasif du contrôle fiscal, objectif principal que l’on a souvent tendance à oublier. « Surveiller et punir » mais aussi éduquer. En effet, l’objectif principal du contrôle fiscal n’est pas l’augmentation directe des recettes fiscales par le biais des opérations de contrôle sur place. La croissance des recettes fiscales, dans un système fiscal en bonne santé, doit résulter du changement du comportement du contribuable postérieurement à l’opération de contrôle. C’est donc la variation positive des paiements spontanés qui constitue l’indicateur le plus important dans l’amélioration structurelle de la gestion de l’impôt.
Lorsque 95% du contrôle fiscal mène à des redressements, cela est d’abord révélateur de l’ampleur et de la gravité de la fraude fiscale, d’un système fiscal chroniquement malade.

L’efficacité du fisc est dans le taux de fréquence des contrôles fiscaux
Sinon le contribuable adoptera l’astuce du «voyageur clandestin», en calculant mathématiquement le taux de probabilité ou de rotation du contrôle fiscal (sur 20 voyages sans tickets, si le voyageur clandestin risque de se faire prendre une seule fois, il sera toujours gagnant en voyageant toujours clandestinement).
Pour optimiser le contrôle fiscal, le fisc a récemment mis en place un «système radar», système de contrôle sur pièces, permettant de soumettre toutes les déclarations souscrites à un contrôle systématique pouvant révéler des anomalies ou discordances dans lesdites déclarations déposées. Et la Loi de finances de l’année 2016 a introduit des dispositions permettant d’assouplir les procédures de rectification des déclarations. En cas de détection d’erreurs matérielles ou d’omissions, le contribuable pourra être invité à souscrire une déclaration rectificative, sans crainte d’un contrôle sur place ni d’application de sanction. Lesdites insuffisances, erreurs ou omissions ne sont pas toujours de mauvaise foi. De cette manière, le fisc et le contribuable pourront sortir de ce cercle/jeu vicieux du chat et de la souris. Une chance est donnée au contribuable pour se rattraper. Au lieu de passer directement du vert au rouge, le fisc allume d’abord l’orange. Si le contribuable change positivement son comportement fiscal, le fisc rallume le vert. Sinon, ce sera le rouge, c’est-à-dire le contrôle fiscal, en bonne et due forme.
Le fisc peut aussi demander des explications suite à l’analyse des déclarations souscrites par les contribuables. C’est ce «dialogue» fisc-contribuable, renforcé par les nouvelles mesures introduites par la Loi de finances de l’année 2016, qui devrait permettre aux contribuables de prendre conscience que le fisc dispose effectivement d’une capacité technique réelle pour traquer la fraude fiscale et exercer un contrôle au sens large et donc influencer positivement le comportement du contribuable dans le sens du respect spontané de ses obligations fiscales.
Mais, à l’autre bout de la chaîne, au niveau des commissions (CLT et CNRF), de nombreuses insuffisances et faiblesses perdurent. A ce niveau, les droits des contribuables demeurent faiblement protégés et insuffisamment garantis. C’est ce qui explique pourquoi 95% des contrôles fiscaux sur place se soldent par des accords avec le fisc plutôt que par des décisions des commissions ou des juridictions administratives compétentes. L’application effective des nouvelles dispositions relatives à l’organisation et au fonctionnement des commissions, en particulier la Commission Nationale du Recours fiscal, tarde à voir le jour.

 
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