Dossier

Dar As-Sikkah prend enfin sa part du gâteau mondial

Le marché de la fabrication des billets de banque est oligopolistique, les fournisseurs se comptent sur les doigts au niveau mondial. Cependant, vu le niveau des coûts pratiqués à Dar As-Sikkah, et ses capacités techniques, l’institution affiliée à Bank Al Maghrib a une vraie carte à jouer. Et aujourd’hui, la machine est enclenchée ! Dossier réalisé par Adama sylla

Le 5 mars 1987, Feu S.M Hassan II a inauguré l’installation de Dar As-Sikkah. Un acte symbolique et une décision pertinente qui fera entrer le Royaume dans le gotha des nations souveraines en matière de fabrication de monnaie. Une seule ligne de fabrication de billets était en vigueur à l’époque. Puis, peu à peu, le parc s’étoffe et ses artisans affinent leur maîtrise d’un métier si particulier. Cela amènera, l’institution affiliée à Bank Al Maghrib à soumissionner avec succès pour l’appel d’offres concernant la fabrication du billet de 500 livres syrien en 1995. Les fameux billets syriens sortiront donc des lignes de production de Dar As-Sikkah la même année. Mais, le contrat ne sera pas reconduit l’année suivante vu que les concurrents européens casseront les prix pour empêcher nos nationaux de s’affirmer sur ce marché très oligopolistique. Il faut dire que la concurrence ne croyait pas que Dar As-Sikkah allait réussir ce défi. Mais, voyant le succès avec lequel l’opération a été menée, les concurrents décidèrent de présenter une offre anticoncurrentielle pour empêcher que l’expérience ne se renouvelle. Il faut dire que le club des fabricants de monnaie est très fermé et fait tout pour empêcher de nouvelles entités de s’y affirmer. Malgré tout, Bank Al Maghrib n’a jamais baissé les bras. Résultat des courses: la Banque centrale du Maroc vient de conclure avec le groupe américain Crane Currency, un partenariat stratégique dans la fabrication des billets de banque pour le marché international. Si cette alliance sera bénéfique pour le fabricant mondial de produits fiduciaires depuis plus de 200 ans, en lui permettant «de soutenir l’expansion de son activité fiduciaire à l’échelle mondiale», elle l’est surtout pour Dar As-Sikkah qui profitera désormais des commandes de Crane Currency via les contrats que ce dernier passera pour chacun des projets de fabrication de billets au profit des clients à l’international. A noter, que le groupe américain dispose d’un réseau de plus de 50 banques centrales qui lui ont fait confiance pour la conception et la fabrication de leurs billets de banque nationaux. Du pain béni donc pour Dar As-Sikkah. « Le partenariat stratégique entre Bank Al Maghrib et le Groupe Crane vise à se positionner, ensemble, sur le marché international, pour réaliser des projets de fabrication de billets au profit de différents clients potentiels, se trouvant sur tous les continents, avec une préférence naturelle pour le marché africain », explique une source officielle à Bank Al Maghrib.
En effet, le Royaume a une réelle carte à jouer sur le continent, surtout au niveau des pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Le Maroc dispose de relais diplomatiques importants dans cette région et vu le niveau de coût pratiqué à Dar As-Sikkah, ce marché paraît accessible d’autant que les billets de francs CFA ne sont pas fabriqués par la Banque de France, mais par une PME bretonne du nom d’Oberthur. Les banques marocaines qui se sont installées aujourd’hui dans la région de l’Afrique de l’ouest représentent un atout majeur dans ce sens. C’est dire que ce marché de la fabrication des billets de banque, le lobbying y occupe une place de choix. En attendant, les imprimeurs de billets de banque africains que sont le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, l’Afrique du Sud, la République Démocratique du Congo, le Soudan, le Nigeria et le Zimbabwe se sont regroupés dans une logique de coopération sud-sud. L’Association des imprimeurs africains de billets de banque et de documents de sécurité, qui tient d’ailleurs actuellement (du 16 au 20 novembre 2014) sa 18 ème session au Cap en Afrique du Sud. Plus de 250 délégués de 42 banques d’émission africaines dont Bank Al Maghrib et de 15 banques nationales y participent, ainsi que des invités de différentes banques d’émission et institutions en dehors du continent africain. Pour rappel, la 18 ème session de l’organisation s’était tenue à Fès du 23 au 27 mai 2010.
Aujourd’hui, Dar As-Sikkah ne manque pas d’arguments pour décrocher des marchés sur l’international. L’institution où est produite la monnaie fiduciaire marocaine, a cumulé vingt sept ans d’expérience et n’a jamais cessé d’investir pour la modernisation de son outil de production. Ainsi, elle réussit à atteindre des coûts de production inférieurs à ceux de la zone euro et proches de ceux des Etats-Unis. Cela a certainement beaucoup pesé dans le choix du groupe américain Crane Currency. La comparaison des coûts unitaires de production de l’unité de production de Bank Al Maghrib avec ceux à l’international pourrait, en fait, éclairer davantage. Et là, le Maroc est certes plus cher que certains géants européens, ou américains, mais les billets en dirhams restent à des niveaux de coûts qui semblent convenables. Le billet de banque marocain coûte entre 0,30 et 0,40 dirham. Or, d’après une étude réalisée en 2008 par la Federal Reserve Bank of St. Louis, le coût de production des billets de la zone euro peut s’élever jusqu’à 0,88 dirham. Au Canada ce coût était de l’ordre de 0,66 dirham, à la même époque. Et aux Etats-Unis, grâce aux économies d’échelles tirées d’une planche qui tourne à plein régime, un billet de banque ne coûte à la production que 40 centimes. Il n’y a rien d’étonnant à voir les billets en euros coûter plus cher à la production. Car au moment du lancement de l’euro, chaque pays a tenu à garder les éléments de sécurité qui lui paraissaient les plus intéressants pour des raisons qui peuvent être d’ordre économique. C’est ce qui fait que l’euro a fini par être cher à produire. De con côté, la Banque nationale de Suisse (BNS) explique dans son site internet que le coût de fabrication s’élève environ à 30 centimes suisses par coupure (pour une durée de vie moyenne de trois ans, que le billet soit de dix ou de mille francs), ce qui correspond à près de 2,1 dirhams. On est donc très loin de l’idée selon laquelle les billets de banque marocains seraient plus chers à la production. C’est d’ailleurs tout à fait le contraire par rapport à l’ensemble de ces pays de référence. « Les coûts de production de Dar As-Sikkah sont certes compétitifs par rapport à ceux d’autres intervenants sur le marché international. Mais la compétitivité ne se limite pas au coût. Il y a aussi les capacités techniques, en termes de procédés mis en œuvre dans la fabrication des billets de banque, mais aussi dans le contrôle de la qualité et dans la traçabilité des valeurs, en plus de la confiance dans le système de sécurité des valeurs mis en place par Bank Al-Maghrib », indique la source officielle à Bank Al Maghrib.
Au-delà, l’unité de production de billets de banque de Bank Al Maghrib a d’autres atouts à faire valoir. Si son niveau des coûts de production confère à Bank Al-Maghrib un avantage compétitif certain, avantage complété par la maîtrise de certaines technologies exigées par des clients à l’international, « cette compétitivité se manifeste aussi par la capacité de Dar As-Sikkah à répondre à des délais de fabrication très courts », à en croire cette même source. De quoi tenir tête aux concurrents. « La concurrence en matière de fabrication de billets de banque est bien développée, surtout à travers des imprimeries privées. Mais il y a quelques groupes qui dominent le marché, dont principalement des groupes anglais, allemand et français. Le Groupe Crane figure en bonne place à cet égard », fait remarquer la source officielle à Bank Al Maghrib.
Quoi qu’il en soit, le groupe américain peut compter sur l’unité de fabrication de billets de banque de Bank Al Maghrib qui, outre ses atouts cités plus haut, dispose de la capacité pour satisfaire les commandes à venir. « La production de billets de banque de Dar As-Sikkah dépassera cette année les 800 millions de billets. Sa capacité pourra être sans difficulté portée à 1,5 milliard de billets », souligne la même source.

 
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