Centres d'appels

Démarchage téléphonique : une loi française met-elle les call centers marocains en danger ?

Adoptée depuis 2018 par l’Assemblée nationale française, la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux a été publiée au Journal Officiel du samedi 25 juillet 2020. Cette loi vient encadrer les activités des call center, et par ricochet devrait toucher des acteurs marocains. Mais dans quelles proportions ?

Le sujet semble sensible tant les organismes représentant le secteur au Maroc ont soigneusement évité de prendre la parole sur le sujet. Pourtant, et des retours du terrain, cette loi a déjà obligé les call centers, généralement les petits, à modifier leur approche du client. L’une des nouveautés qu’il fallu incorporer dans leur “speech“ est d’expliquer dès le départ quelques droits au prospect. « Après avoir décliné notre identité et le nom de l’entreprise pour laquelle nous faisons l’appel, nous devons aujourd’hui expliquer au prospect que s’il ne souhaite pas être appelé, il peut demander l’inscription de son numéro sur Bloctel. L’appel s’arrêtera à ce stade s’il demande expressément sur le champ. Ou encore, lorsque le prospect réagit mal à l’appel, nous ne tentons plus de poursuivre la discussion pour le convaincre », raconte un conseiller client qui vend des produits d’isolation. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi, l’approche du prospect se fait désormais avec tact, d’autant plus que nombre d’entre eux sont au fait de cette nouvelle législation.

L’adoption de cette loi qui trainait depuis 2 ans dans les arcanes du Parlement a-t-elle quelque chose à voir avec cette période difficile où le chômage sévit, notamment en France ? Quelles sont les implications de cette loi pour le secteur de la relation client au Maroc ? Des sociétés risquent-elles de mettre la clé sous la porte ?

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Rachida Belliard, fondatrice et directrice du développement de PERTINENCE FORMATION & CONSEIL France et Maroc et spécialiste du secteur apporte sa lecture et son éclairage sur le sujet.

Quel impact l’adoption d’une telle loi en France, pays avec lequel le secteur de l’offshoring marocain entretient des liens étroits, peut avoir sur les entreprises marocaines ?

L’impact sera brutal pour quelques centres de relation client seulement, ceux qui se sont spécialisés dans la prospection téléphonique et qui émettent des appels dans ces domaines d’activités. Néanmoins, cette loi est en préparation depuis 2018 et ils devaient le savoir.

Quant aux 20 groupes qui emploient 80% des ressources du secteur de l’offshoring marocain, ce sont des professionnels reconnus, qui bénéficient d’une excellente image de marque. À mon sens, cette loi n’aura aucun impact sur eux.

Le RGPD (règlement général sur la protection des données) en son temps a été perçu comme une menace ; nous constatons aujourd’hui, qu’il a permis au secteur de l’offshoring marocain, une évolution capitale dans la relation avec les donneurs d’ordres.

En effet, depuis mardi 1er septembre 2020, les entreprises commercialisant des offres de rénovation énergétique, chaudières ou panneaux photovoltaïques n’ont plus le droit de prospecter par téléphone. Cette loi a été promulguée pour encadrer les pratiques trompeuses et frauduleuses et les abus constatés depuis près de vingt ans dans ce secteur, en France. Un décret va devoir préciser aussi, les horaires d’appels possibles et leur fréquence de manière générale pour les centres de relations clients.

L’impact est financier avant tout : Le premier alinéa de l’article L. 242-12 du code de la consommation est ainsi modifié (*) :

1- Le montant : «3 000 euros » est remplacé par «75 000 € », pour les personnes physiques.

2- Le montant : « 15 000 euros » est remplacé par « 375 000 € », pour les entreprises.

Le texte dit viser « le démarchage excessif et les pratiques frauduleuses » et édicte un certain nombre d’informations à porter à la connaissance des clients prospectés…

Vous avez raison, les mesures de la loi, rappellent les bases du métier pour celles et ceux qui l’ont oublié, elles sont explicites :

-Le professionnel doit se présenter de façon claire, précise et compréhensible au téléphone et doit également rappeler au consommateur son droit à s’inscrire sur Bloctel, la liste d’opposition au démarchage téléphonique.

-Le démarchage téléphonique est interdit pour la vente d’équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d’économies d’énergie ou de la production d’énergies renouvelables. Il reste autorisé pour des sollicitations intervenant dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours.

-Les entreprises qui ont recours au démarchage téléphonique doivent respecter un code de bonnes pratiques et saisir régulièrement l’organisme chargé de gérer la liste d’opposition Bloctel sous peine de sanctions :

-Au moins une fois par mois si elles exercent à titre habituel une activité de prospection téléphonique.

-Avant toute campagne de prospection téléphonique dans les autres cas.

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Tout contrat conclu avec un consommateur à la suite d’une prospection téléphonique réalisée en violation de ces nouvelles dispositions est nul et la sanction s’applique.

Quel pourrait être l’impact de ces dispositions sur l’activité et la productivité des agents ?

Si l’activité et la productivité des salariés est basée sur le gain immédiat et non comme il se doit de l’être, sur la qualité de la relation client, la satisfaction durable et l’expérience client, ces centres de relation client seront bien évidemment très pénalisés. Ils doivent développer de nouvelles compétences et surtout intégrer la culture client, dans l’organisation, le management, les attitudes, les décisions, les process, etc. Une culture qui doit être impulsée par la direction générale, puis expliquée et transmise à tous les collaborateurs.

Les 30 secondes de la prise de contact (présentation, explication de l’objet de l’appel) sont nécessaires. Elles instaurent la confiance avec le prospect. Et la confiance est la base de toute relation humaine. Celles et ceux qui ne respectent pas cette démarche doivent être bannis du métier.

En tant que spécialiste du domaine de la relation client, je suis outrée par le manque de respect pour le client, le harcèlement et l’anarchie qui ont été instaurés par quelques brebis galeuses. La prospection téléphonique est par essence, intrusive. Elle peut, si elle est réalisée par des salariés, non formés ou commissionnés au rendez-vous pris, et qui ne respectent pas les codes de bonnes pratiques de la relation client qualitative, être perçue comme agressive. Les abus et les dérives initiés par les donneurs d’ordres qui organisent des (campagnes de prospection téléphonique et ceux qui réalisent des appels frauduleux aux numéros surtaxés, et ou ceux qui utilisent les automates d’appels générant des milliers d’appels dans le seul objectif de vérifier que les numéros sont bien attribués (afin de revendre des fichiers actualisés) ou d’établir si le consommateur est bien chez lui sur certaines tranches horaires), dévalorisent les métiers de la relation client et par là même, le secteur.

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C’est donc un métier qui a mauvaise presse auprès des prospects français ?

C’est le cas. La preuve en est que, toutes les études réalisées par les associations de consommateurs depuis 2018, nous précisent que, 9 Français sur 10 se disent excédés par le démarchage téléphonique, qu’ils estiment en recrudescence avec des appels à répétition, y compris le soir et le week-end. Avec une hausse de 20% des plaintes pour fraude ou abus en 2020.

Cette loi qui a créé un cadre légal en matière de protection du consommateur, est à mon sens plutôt bénéfique pour les centres de relation client, quel que soit leur lieu géographique. Elle remet enfin, le client au centre des intérêts de l’entreprise ; ce qui est un atout vital pour le métier, et nous appelons de toutes nos forces depuis des années. Elle obligera les donneurs d’ordre à se mettre en conformité, incitera leurs partenaires à respecter la déontologie du métier et à investir dans la formation des collaborateurs.

Elle permettra aussi aux membres de la fédération marocaine de l’outsourcing, qui œuvrent depuis des années pour promouvoir une image de marque qualitative du secteur, et qui ont par ailleurs bien réussi, de maintenir la mobilisation sur la professionnalisation et la qualité.

Quels sont, concrètement, les réajustements auxquels les entreprises du secteur devront-ils faire face ?

Ceux qui pratiquaient ces abus, doivent redéfinir leur business plan ou disparaître. Ils dévalorisent les métiers de la relation client et ils nuisent à l’image de marque des professionnels du secteur. Même s’ils ne sont pas nombreux, ils ont réussi à instaurer l’anarchie totale.

Les abus et les dérives interdits par la loi sous peine de sanction :

-Des campagnes de prospection téléphonique anarchiques, sans respect des horaires, ni du refus du client d’être rappelé.

-Des appels frauduleux aux numéros surtaxés.

-Des automates d’appels générant des milliers d’appels dans le seul objectif de vérifier que les numéros sont bien attribués (afin de revendre des fichiers actualisés) ou d’établir si le consommateur est bien chez lui sur certaines tranches horaires.

Peut-on estimer aujourd’hui et globalement le coût supplémentaire de ces changements pour les centres de relation client au Maroc ?

À mon sens les coûts sont très minimes voire inexistants pour ceux qui se sont déjà inscrits dans la déontologie du métier. Quant aux autres, ils doivent se positionner sur de nouveaux marchés et négocier de nouveaux contrats. Ils doivent mettre en place des actions de formation pour développer de nouvelles compétences, éléments-clés de la réussite.

Peut-on ou doit-on s’attendre à des pertes d’emploi au Maroc dues à ces changements dans la législation française ?

Non. Le monde est en mutation, les comportements et les attitudes aussi. Les entreprises doivent s’adapter aux besoins de leurs clients… ou disparaître. Leurs salariés retrouveront du travail, auprès de ceux qui ont investi et développé la culture client et qui ont instauré une démarche qualité et ils sont nombreux dans notre pays.

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Le texte de la loi a été proposé il y a deux ans. Peut-on voir dans son vote et sa publication en juillet dernier, un lien avec la pandémie du coronavirus et le chômage qu’il a provoqué un peu partout, notamment en France ?

À mon sens, le confinement a amplifié les abus et l’exaspération. Si auparavant, le répondeur enregistrait les appels, en étant présents chez eux tous les jours, les consommateurs, ont pris conscience des dérives et des abus. 4 à 5 appels par jour, pour la prospection dans le domaine de l’énergie, en plus des automates … Sans oublier les arnaques pures et dures des escrocs en tous genres. Pour exemple, certains d’entre eux appellent en se faisant passer pour l’Assurance Maladie. Ils expliquent qu’ils doivent obtenir l’adresse postale et le numéro de carte bleue pour envoyer à domicile un kit de dépistage payant… La hausse de 20% des plaintes pour fraude ou abus en 2020, a accéléré le travail (des législateurs).

Le secteur de la relation client emploie en France plus de 250.000 salariés. Les initiateurs de cette loi et à leur tête le député des Vosges Christophe NAEGELEN (groupe UDI, Agir et Indépendants), ont fait preuve d’ingéniosité pour rejeter l’option (opt-in) réclamée par les associations et par les signataires des pétitions, excédés par les appels intempestifs. Ils ont déployé toute leur énergie pour protéger les emplois.

Parcours de la Loi sur le démarchage téléphonique

La loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux a été publiée au Journal Officiel du samedi 25 juillet 2020. Ce texte de 12 articles apporte des modifications importantes au code de la consommation. Cette loi provient d’une proposition de loi n° 1284 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, déposée par le député Christophe Naegelen au bureau de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018. Elle a été adoptée le 6 décembre 2018 par l’Assemblée nationale avec des amendements ainsi que par le Sénat avec des modifications le 21 février 2019. Elle sera adoptée et modifiée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2020 et également par le Sénat le 4 juin 2020, publié le 29 juillet 2020 – Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre)

* Tout manquement aux obligations prévues à l’article L. 221-16 en matière de démarchage téléphonique et de prospection commerciale est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V.

 
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