Economie

Des objectifs à déclarer

Notre pays s’est inscrit depuis plus d’une décennie dans une dynamique de changement. Des ruptures ont été opérées. Le protocolaire silence sur les questions qui gênent  ne relève plus du domaine du comportement citoyen. L’accès à l’information se fait un chemin sûr vers plus de transparence. Le patrimoine des hommes publics est devenu un centre d’intérêt pour les jeunes, les moins jeunes et surtout pour ceux que la mauvaise gestion a mis sur la marge de la société. Demander la déclaration du  patrimoine d’un responsable était, il y a quelques années, un signe relevant de (dssarra) l’audace outrancière. Les temps ont changé et avec eux la nature de l’hermétique et l’ampleur de la lumière. La constitution a parlé. Le peuple a voté pour le rendre compte, pour plus de franchise dans les discours  et pour que le citoyen s’affranchisse des phobies liées à la cruauté des remontrances passées. La déclaration  du patrimoine est née et bientôt elle consolidera son passage à l’âge adulte. Avant ce passage, des  tempêtes sont passées par là… 

Deux événements dans les années soixante dix et un début de rupture…     

Après les tumultueuses semaines estivales du début des années soixante dix, les esprits encore marqués par les événements de Skhirate allaient vivre un mois de ramadan spécial. Les causeries religieuses hassaniennes n’ont pas échappé à l’angoisse des marocains. Pour la première fois, l’imaginaire populaire intègre le complot militaire comme acteur d’une scène qu’ils ont toujours considérée comme sacrée et inviolable. N’oublions pas le contexte. Jamal Abd Nasser n’était plus le leader égyptien et arabe qu’il fut. Boumediene en Algérie voulait reprendre le témoin. Les partis baathistes en Irak et en Syrie se renforçaient. 

Nixon signait sa défaite au Vietnam et la fin d’une intrusion inutile au nom de la lutte anti-communiste. Au milieu de ces mutations et de cette atmosphère très lourde, le ramadan arrive et avec lui les oulémas devant prêcher la bonne parole et recréer l’espoir en un lendemain meilleur. Le fkih Hassan Zahraoui, membre du conseil provincial des oulémas de Marrakech et fin lecteur, par traducteur interposé, du journal le Monde ose introduire le problème de l’enrichissement illicite des responsables publics dans les débats ramadanesques ( Min ayna laka H’aada…Quelle est l’origine de votre richesse ). 

A la grande surprise des Marocains, si Zahraoui a été salué avec les honneurs pour sa franchise et son courage. Les journalistes bien renseignés rapportaient les réactions de l’homme puissant de l’époque que fut le général Oufkir lors d’un Conseil de gouvernement. En tenue militaire, pistolet à la main, le général armé et bien renseigné était plein de rancœur contre certains grands commis de l’Etat qui auraient baigné malencontreusement dans les coulisses des commissions financières occultes. L’affaire du Boeing maquillé en appareil flambant neuf a ouvert les portes des cellules et du tribunal devant un certain nombre de ministres. Le Maroc ouvrait pour la première et unique  fois une page de son histoire pour juger de très hauts responsables pour des raisons autres que politiques ou « subversives »

Une scène en plein mois de ramadan dans les années soixante dix

 Les  gorges assoiffées des oulémas, ministres et autres dignitaires de l’Etat par une longue journée de jeûne se voyaient malgré l’écran noir et blanc de la télévision de l’époque.  Assis et maitrisant difficilement,  la « Tarbiaa » (le fait d’être assis en position semblable à celle  du yoga), les  personnalités   scrutaient avec  un intérêt certain l’acuité et les mouvements visuels du défunt Hassan II  et  sentaient les turbulences venir. La raison d’Etat allait dicter un nouveau comportement que l’élite gouvernementale  de l’époque ne pouvait imaginer. A signaler, pour mémoire, que la scène politique de l’époque vivait sur la rupture du dialogue entre les partis issus du mouvement nationaliste et le pouvoir. La koutla regroupant les partis de l’Istiqlal et l’Union Nationale des forces populaires (UNFP) était en gestation et allait bientôt étaler ses revendications pour une refonte des règles du jeu politique.

La morale de ce recours au contexte politique du début des années soixante dix réside dans la question qui allait faire vivre aux Marocains les étés les plus chauds (1971 et 1972), avec comme toile de fond, l’enrichissement illicite et son rapport avec la stabilité politique. Les années qui suivirent n’ont, malheureusement pas vu instaurer un système de transparence dans la gestion de la chose publique. La rente politique sera érigée en élément de consolidation des majorités tant au niveau des communes que de la représentation nationale. La valse de création des partis majoritaires reproduisit l’esprit ayant gouverné la naissance, par la force du triceps  brachial, du FDIC. La même expérience a été mise en avant pour recadrer le jeu politique par la suite. Les mutations ayant accompagné l’arrivée massive des jeunes sur la scène sociale et le manque de réponses adéquates au problème de la formation et de l’emploi vont mettre en avant le problème de la gestion publique au centre des intérêts tant de la société civile que politique. 

La chose publique peut être victime du venin de la corruption et de la mauvaise gestion

Le venin introduit dans le corps de la chose publique marocaine est devenu très nocif. L’investisseur, le commerçant, l’entrepreneur et même le plus démuni des citoyens n’arrêtaient plus de dénoncer le pouvoir de la corruption. Des richesses se sont constituées à la vitesse de la lumière et ont essayé de passer dans le monde de la normalité à travers des opérations de blanchiment dans les secteurs du bâtiment, de l’agriculture et surtout dans le monde  de la politique. Les  premiers grands chantiers de reforme du 21ème siècle ont osé commencer par l’indispensable réconciliation avec le passé. Les années de plomb ont été décriées publiquement. Des opérations de dédommagements individuelles et collectives ont été mises en place. La réconciliation avec le passé ne pouvait suffire pour remédier à la fracture entre le citoyen et l’administration. L’argent sale a érigé des fortunes et a fait de certains responsables publics une « bourgeoisie insolente ».

L’atmosphère est devenue lourde. La constitution des patrimoines des hommes ayant le pouvoir de la décision publique est devenue préoccupante. Elle a une relation très directe avec la chute du degré de confiance des citoyens dans la participation politique. On lui attribue autant les désolants taux de participation aux élections, qu’une certaine anarchie urbanistique entachant la plupart de nos villes.

Et s’il était temps de commencer….

Enfin, et après des années, la question des patrimoines s’inscrit dans l’ordre du jour politique et trouve une place dans le dispositif juridique national. La déclaration obligatoire du patrimoine verra le jour une deuxième fois  le 3 novembre 2008 après la tentative infructueuse de 1992. Le dispositif juridique la régissant sera prêt en 2010. Les principes mis en avant pour justifier ce pas de géant  sont la moralisation de la vie publique, la consécration de la responsabilité, de la transparence et de la protection des deniers publics. Les tempêtes ayant secoué le paisible climat printanier arabe, ont renforcé le corpus juridique de lutte contre tous les patrimoines cumulés dans l’ombre. La nouvelle constitution a consacré deux articles à la question : 

>> Article 154 «Les services publics sont organisés sur la base de l’égal accès des citoyennes et des citoyens, de la couverture équitable du territoire national et de la continuité des prestations rendues. Ils sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitution».

>> Article 158 «Toute personne, élue ou désignée, assumant une charge publique doit faire, conformément aux modalités fixées par la loi, une déclaration écrite des biens et actifs détenus par elle, directement ou indirectement, dès la prise de fonction, en cours d’activité et à la cessation de celle-ci».

Les réserves exprimées en 1992 par les associations spécialisées dans la lutte pour la transparence n’ont pas totalement disparu. Les principes de lutte contre l’enrichissement illicite des responsables publics sont constitutionalisés, les outils d’extériorisation de la volonté politique sont étalés tant par des campagnes publicitaires de sensibilisation que par l’appel à la déclaration. Celui-ci  fait apparaitre  le risque qu’encourent ceux qui boudent la transcription de l’étendue de leurs biens sur les formulaires de la Cour des comptes ou sur ceux du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. 

Les délais de dépôt des déclarations ont été généralement  respectés. Et après….. ?

Une déclaration dans une enveloppe est une déclaration d’enregistrement. Que va-t-on faire de la masse d’informations sur les patrimoines des responsables publics ? Seront-elles examinées à la fin du mandat public ? Constitueront-elles des éléments d’évaluation constante de la probité des comptes des décideurs ? 

Si notre pays a osé avec une volonté politique certaine d’emprunter la voie de la responsabilité et de la transparence, il lui faut franchir un autre pas encore plus audacieux. Déclarer un patrimoine n’est plus un acte suffisant . Le responsable 

public doit exposer son patrimoine au public et avoir le courage de le justifier en public. Le spectacle politicien auquel nous avons assisté lors des premiers mois après l’installation du gouvernement n’était pas rassurant.   Les ministres du PJD  se sont prêtés au jeu de la déclaration en public. Les alliés au sein du gouvernement ont lu autrement le lancement du jeu. La conformité à la constitution n’a pas besoin d’une scène pour être respectée. Elle a surtout besoin d’un travail de clarification de la forme et du fond de la déclaration. Que faire de l’étalage hermétiquement conservé du patrimoine ? 

Les déclarations des responsables publics du Royaume d’Espagne atterrissent directement dans le site internet du gouvernement et sont consultables sur un simple clic. Les turbulences du ciel socialiste français suite à l’affaire Cahuzac ont précipité la rédaction du cadre juridique des transactions financières des responsables publics. Il ne suffit plus de déclarer, il faut justifier. 

La culture des responsables publics trempant dans les valeurs sacralisant  « le mauvais  œil » et chantant les vertus du hadith incitant les croyants à accomplir leurs affaires d’ici-bas dans le secret, est utilisée à outrance pour légitimer le recours au silence devant le regard malveillant de l’autre. L’autre,  messieurs les responsables ayant la charge de gérer la chose publique, c’est le citoyen. Au-delà des conquêtes juridiques que notre pays a pu réaliser, la poursuite de notre marche vers la démocratie nous oblige à ne plus chanter sur la transparence, mais de l’ériger en comportement au quotidien. 

L’histoire de la «oumma» islamique nous offre certains exemples de lutte contre les patrimoines acquis dans le doute 

Pour ceux qui valorisent le passé à outrance, offrons une lecture commune de certaines pages de notre histoire. Celle-ci nous offre des scènes  de discordes autour de l’accumulation injustifiée des richesses par certains responsables et ce, dès l’époque des premiers khalifs. La remontrance affligée par Omar Ibn Alkhattab à un de ses Walis venant lui présenter les comptes de Beit al mal (trésorerie publique) est très éloquente. S’adjugeant une partie des richesses collectées, le Wali s’est permis de qualifier sa part comme étant  des cadeaux reçus.  Tu n’aurais jamais pu les recevoir si tu n’étais pas Wali, lui rétoqua le Khalif. Ce dernier est  connu pour son combat pour la transparence et pour  l’obligation pour ses responsables de justifier leurs richesses ‘(min ayan Laka ha’da). Une série de correspondances rapportées par Attabari dans son ouvrage « Histoire des nations et des rois » entre le quatrième Khalif  Ali et son Wali Ibn Abbass et par ailleurs, grande référence en matière d’authentification des hadiths (dires du prophète), montre la profondeur des discordes autour de la tenue d’une comptabilité auditable  par les responsables de l’Etat musulman naissant. Conjuguée aux conflits entre les Hachémites et les Omeyades pour  la consolidation de leurs  pouvoirs pour une maitrise de l’espace politique, la question  de la gestion des richesses devenues grandes avec l’élargissement des frontières de l’Etat musulman, a engendré des conflits et a été à l’origine d’une passation de pouvoirs au prix de sang et de blessures encore ouvertes de nos jours.  

Pour un suivi de l’évolution des patrimoines

Une autre question mérite toute l’attention dans ce domaine. Que peut faire une institution comme la Cour des comptes dans le suivi des patrimoines des hommes publics ? Apprécier les volumes, les valeurs, les moyens d’acquisitions et pouvoir les vérifier est un travail de titan. Une institution aussi prestigieuse  peut être le dépositaire des déclarations, mais elle ne peut logiquement et au regard des moyens dont elle dispose et des attributions qui sont les siennes, apporter une valeur ajoutée à la transparence liée à ce grand dossier.  Un effort d’institutionnalisation des opérations de suivi des patrimoines des responsables publics doit être fait avec équité, rigueur et professionnalisme. Les signes extérieurs de richesse de certains dépositaires de mandats publics nuisent à la crédibilité de l’Etat. Demander des comptes aux responsables est aussi important que  demander leurs voix aux  citoyens ou courir derrière les honneurs liés à l’exercice d’une haute fonction publique. 

 
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