Interview

Enseignement à distance, report des vacances scolaires, formation des enseignants en NTIC… Saaïd Amzazi dit tout

Son département a suspendu depuis le vendredi 16 mars, jusqu’à nouvel ordre, les cours au Maroc. Depuis, l’enseignement qui devait se faire dans les établissements scolaires et universitaires est remplacé par l’enseignement à distance et le e-learning. Ce qui n’est pas sans poser beaucoup de questions de la part des élèves, étudiants, enseignants et parents, sur l’efficacité d’un tel dispositif, ou encore sur le maintien ou pas des examens.

Challenge : Comment votre Ministère s’est-il organisé pour mettre en place un enseignement à distance pour le primaire et le secondaire, suite à la suspension des enseignements imposée par les mesures de prévention prises afin de limiter la propagation de la pandémie du Coronavirus?

Saaïd Amzazi : On ne peut que se féliciter que notre pays, le Maroc, a en effet décidé de façon très précoce la suspension de tous les enseignements dès le vendredi 13 Mars, tous niveaux confondus : au primaire, au secondaire, dans l’enseignement supérieur et dans la formation professionnelle. Fort heureusement, à cette date, au niveau du primaire et du secondaire, près de 75% des enseignements de l’année avaient déjà été effectués, par conséquent nos efforts de mise en place d’un enseignement à distance devaient finalement se concentrer sur les 25% restants des programmes, soit environ une dizaine de semaines de cours, ce qui nous permettait déjà d’éliminer de manière catégorique le spectre d’une année blanche.

Je peux vous dire que le soir même de l’annonce de la suspension des enseignements, et tout le long du week-end qui a suivi, le ministère s’est mobilisé de façon massive pour répondre à un objectif de première nécessité : assurer coûte que coûte la continuité pédagogique des enseignements, qui devaient donc être disponibles à distance dès le lundi 16 mars, dans un premier temps aux niveaux certificatifs et diplômants auxquels nous avons accordé la priorité, puisqu’ils sont sanctionnés par des examens provinciaux, régionaux et nationaux.

C’est ainsi que les enregistrements des cours débutaient à une cadence très soutenue, afin de mettre en place un enseignement à distance généralisé pour se substituer à l’enseignement en présentiel. Dans une situation aussi inédite, je dois dire que les enseignants, inspecteurs, responsables pédagogiques et administratifs qui ont contribué à cette opération, ainsi que les cadres du Ministère, ont fait preuve d’un volontarisme particulier et d’un engagement inconditionnel afin de nous permettre de répondre à ce défi dans la plus grande urgence.

De cette façon, nous avons donc réussi, dès le lundi 16 mars, à lancer la plate-forme « Telmidtice », avec déjà plus de 600 contenus disponibles. La chaine Athaqafia, qui nous soutient dans notre action, débutait le même jour la retransmission des cours filmés.

Ensuite, dans une deuxième phase, nous avons ciblé la production de contenus pour les autres niveaux scolaires, en répartissant la responsabilité de chaque niveau scolaire entre les différentes Académies régionales d’éducation et de formation et les directions provinciales, afin que très vite, la plateforme « Telmidtice », couvre au final tous les niveaux du primaire et du secondaire. Aujourd’hui, elle continue d’être quotidiennement enrichie au rythme de la production de nouveaux supports par les enseignants, et accueille plus de 600 .000 utilisateurs par jour. En outre, grâce au Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Economie Verte et du Numérique, qui possède la tutelle des opérateurs télécoms, nous avons pu bénéficier de la gratuité d’accès à tous nos sites d’enseignement à distance.

Mais ce n’est pas tout. Notre stratégie d’enseignement à distance devait bien entendu prendre également en compte les élèves qui ne disposent pas d’un accès à internet, en particulier ceux du monde rural. Nous avons donc fait appel à la SNRT, qui a fait preuve d’un engagement inconditionnel dans cette action et nous a permis de bénéficier de créneaux de retransmission sur deux autres chaînes nationales : Laayoune de 8h30 à 19h et Amazighia de 8h30 à 12h, afin d’être en capacité de retransmettre les contenus de tous les niveaux du primaire et du secondaire. Parallèlement, des initiatives vraiment louables ont été adoptées par certains conseils provinciaux et régionaux, qui ont consisté à doter les élèves du rural de tablettes numériques afin qu’ils puissent pleinement profiter des plateformes d’enseignement à distance mises en place. C’est le cas notamment des conseils provinciaux de Tan Tan, d’Assa-Zag et de Sidi Ifni, mais aussi du conseil régional de Dakhla Oued Eddahab, qui ont investi respectivement dans ces actions 1,7 million, 920 000 dh, 1 million et 6,5 millions de dirhams.

En complément de toutes les actions précitées, nous travaillons à présent sur une autre priorité : la mise à disposition des enseignants d’outils permettant de créer des classes virtuelles. Grâce au système MASSAR qui intègre l’outil Microsoft TEAMS, nous pouvons donner la possibilité aux enseignants de dispenser leurs cours en temps réel, dans le respect de l’emploi du temps initial de leur établissement, et de façon interactive avec tous les élèves d’une classe et de manière simultanée. A l’heure actuelle, nous avons pu créer plus de 350.000 classes virtuelles couvrant et impliquant 66.000 utilisateurs actifs, un chiffre qui est appelé à augmenter jour après jour.

Challenge : Avez-vous abordé la même stratégie pour l’enseignement supérieur ?

S.A : Les universités, qui sont toutes dotées de plateformes de e-learning, sont déjà rompues au e-learning. Elles ont donc très vite réagi à l’annonce de l’arrêt des cours en présentiel. Leurs établissements ont invité les enseignants à publier en ligne leurs cours, soit directement sur leur site Web ou via des plateformes e-learning qui permettent des échanges entre enseignants et étudiants. Nous sommes aujourd’hui entre 80% et 100% des cours mis en ligne. Les supports polycopiés ont été également récupérés par les étudiants avant la suspension des cours. Sans compter que les universités mettent gratuitement à disposition des étudiants de nombreux MOOCs (Massive Open Online Courses) sur le portail national MUN (Maroc université numérique).

Pour certains étudiants qui sont retournés chez eux loin de la ville où ils étudient et qui ne disposent pas de connexion internet, nous avons, comme pour les niveaux du primaire et du secondaire, fait appel à la chaîne de télévision nationale Arryadia, qui assure désormais la transmission télévisée des cours programmés en Licences fondamentales. Pour ce qui est des travaux pratiques, très importants pour certaines filières telles que la médecine ou la médecine dentaire, ces derniers sont filmés et mis en ligne également. Là encore, nous avons assisté à une remarquable mobilisation des enseignants chercheurs, qui ont contribué de façon massive à cette initiative louable, sous la supervision des doyens et des présidents d’universités.

Challenge : Pensez-vous que les enseignants sont suffisamment formés en NTIC pour pouvoir faire face jusqu’au bout à cette situation d’exception ?

S.A : Pour l’enseignement supérieur, comme je vous le disais, le problème ne se pose pas vraiment, la majorité des enseignants étant déjà bien familiarisée avec les NTIC.

Pour le primaire et le secondaire, nous ne sommes pas partis de rien, heureusement ! Le e-learning existait déjà au sein de notre système depuis une dizaine d’années et nous avions cumulé une expertise inédite en la matière. Nous disposions de la plateforme « Taalimtice », qui constitue depuis plusieurs années déjà une véritable base de données pour permettre aux enseignants d’élaborer leurs cours, riche de plus de 10000 contenus pédagogiques qui ont servi à alimenter « Telmidtice ». Et avec la mise en place par le ministère de l’Education nationale, du programme GENIE de généralisation des technologies d’information et de communication dans l’enseignement, nous avons pu former quelque 150.000 enseignants aux outils numériques de bureautique et à l’élaboration de contenu pédagogique numérique, créant ainsi une véritable émulation, comme en ont témoigné les nombreuses initiatives louables qui sont venues enrichir la base de données nationale de contenus numériques pédagogiques. Ce programme a permis à plus de 85% des établissements d’être équipés et connectés à internet ; notamment dans le milieu rural.

En outre, la loi cadre 51.17, relative au système d’éducation, de formation et de recherche scientifique, dans son article 33, va désormais permettre d’institutionnaliser et de généraliser l’usage du numérique pour tous. Les enseignants seront formés en ce sens dès leur recrutement et de cette façon, ils pourront de manière plus professionnelle et motivée, recourir aux NTICs.

La suite à lire sur Challenge format PDF : https://emag.challenge.ma/737/mobile/index.html

 
Article précédent

Confinement : n’ayez pas peur

Article suivant

Décès de Fadel Sekkat, président de Maghreb Steel