Portrait

Entrepreneur, banquière d’affaires, accélérateur de startups

Elle a tout de la «cadre dynamique» des grandes places financières internationales. De Paris à Rabat, cette femme «positive» lance un accélérateur de startups, «Secteur 21», pour stimuler l’émergence des jeunes entrepreneurs marocains. Par  Noréddine El Abbassi

Hind Chakouk, est une femme d’entre deux mondes. A elle seule, elle représente le maroc sous toutes ses facettes. Cette multiculturalité, «adaptabilité» qui la rend à l’aise, aussi bien dans un quartier populaire à négocier un tissu de brocard, que dans un salon rbati, elle l’a cultivée depuis l’enfance. Elancée et féminine, elle arbore un poncho de grand couturier et un jean. Le look de la «working woman», qu’elle se trouve à Agdal, à Paris ou à New York.
Elle est née en 1986, à Béni Mellal, au hasard d’une affectation de son fonctionnaire de père. Sa mère est banquière et Hind, est l’ainée des trois filles du couple: «Ce qui est amusant, c’est que lorsque l’on m’arrête, les agents de police me demandent toujours si je suis de «là bas». On dirait qu’ils viennent «tous de là». Dévoile-t-elle, à cette évocation,  le rire spontané.
Dans son discours, on sent un pragmatisme, une «lucidité» bien ancrée depuis l’enfance. Ce «mindset rationnel», elle le tient de son père: «il était très carré. N’ayant eu que des filles, il nous a élevés comme si nous étions des garçons. Nous devions être fortes, bonnes en sciences, faire du sport, et être prêtes à faire face aux hommes, sans complexe», analyse-t-elle. Quant à sa mère, c’est une autre histoire. Elle est la douceur, qui se dévoue sans compter pour sa famille. «Pour elle, mes deux soeurs, des jumelles, et moi, même, sommes ses amies, ses confidentes et ses soutiens.»
Comme c’est souvent le cas, Hind, en tant qu’ainée, est de fait la «deuxième maman» de ses jeunes soeurs, qu’elle couve. Par ailleurs, à cette époque, les enfants de fonctionnaires évoluent en cercle fermé. Une «communauté», comme elle aime à l’expliquer. Mais elle fait un choix courageux pour une fille de son milieu, quand il s’agira de la poursuite de ses études secondaires: «Alors que tout le monde «passe» à la Mission au lycée Descartes, dès l’accès au collège, moi, après un cycle primaire dans le privé, j’ai choisi d’intégrer le public», justifie-t-elle. Elle sort alors réellement de son milieu social privilégié de Rabat, pour se frotter au monde «réel», dans sa diversité. «On avait des camarades qui avaient redoublé leurs classes plusieurs fois, sans que cela ne choque personne. On développait des relations amicales et solidaires entre nous tous. Même les «mauvais garçons» vous défendaient, en cas d’agression. C’est très formateur de grandir dans cette mixité. Je comprends la mentalité de ceux qui m’entourent, et je les connais, puisque j’ai grandi parmi eux», explique-t-elle, comme avec un regret pour le naufrage de l’enseignement marocain et la ségrégation sociale en cours dans le pays.

D’Ifrane à Lyon

Lorsque Hind décroche le bac en 2004, elle doit faire le choix des études à poursuivre: «mes parents estimaient que j’étais trop jeune pour partir à l’étranger. Nous avons donc coupé la poire en deux et je me suis inscrite à Al Akhawayn, pour des études d’ingénieur. C’est plus tard, que je me suis orientée vers la finance. Si j’avais opté pour le marketing et la communication, mon père aurait eu une attaque d’apoplexie», se remémore-t-elle, dans un autre rire cristallin. Elle se retrouve dès lors dans un autre milieu protégé, et tisse des liens avec de profils «studieux». Ce seront quatre années de travail assidu, où la fréquentation de la magnifique bibliothèque de l’établissement, est un plaisir et un encouragement. Lorsqu’elle décroche son diplôme, Hind sait qu’elle doit compléter ses études, par un passage par la France.
«Le fait est que les diplômes marocains, aussi bons soient-ils, ne sont pas appréciés à leur juste valeur», regrette-t-elle. Hind s’envole alors pour la France, où elle est admise à l’EM Lyon. Le séjour dans cette métropole régionale est plutôt agréable et la transition ne pose pas problème. On l’imagine circuler en vélo, habillée en jean et chemisier. Encore une fois, c’est une «femme de deux mondes», entre son école dans l’enclave bourgeoise de son hinterland, et les relations étudiantes. Elle fréquente alors les élèves de l’école du «Chef» Paul Beaucuse, venus de tous horizons, qui débattent, jusque tard dans la nuit. Lorsqu’elle passe son stage dans la finance en 2011, chez ODDO & Cie, elle bluffe tout le monde. «Ils ne savaient pas à quoi s’attendre d’une marocaine dans la finance. Lors de mon pot de départ, je leur ai servi un couscous de mon propre cru. La première fois que le «kesksou» et le champagne «font bon ménage», relate-t-elle. Dans son récit, on sent une «entièreté» et une franchise rafraichissantes. Classe, elle semble faire face à la vie, avec un optimisme naturel.

Paris puis Rabat pour entreprendre

L’année suivante, elle doit se frotter au monde de la finance parisien. Blackfin capital partners est un milieu dur de requins de la finance. «Work hard, pay hard, spend hard» est le maître mot, comme dans un film de Michael Douglas. Mais la nouvelle politique restrictive du gouvernement français de l’époque, met un coup de frein à sa carrière de «banquière d’affaires». La circulaire Claude Guéant, force nombre d’étudiants marocains à faire leurs bagages et à quitter la République. Dès lors, Hind prendra rapidement le chemin du retour au Maroc. Nous sommes en 2013, quand elle débute dans un Fonds d’investissement familial, PGS Invest. «Ce qui est intéressant, c’est qu’en France les investissements sont très spécialisés, sur les Energies, par exemple. Au Maroc, on passe de l’Immobilier à la Restauration en passant par une Usine de Chips», expose-t-elle. L’expérience ne dure qu’une année, avant que Hind ne rejoigne la CDG. Mais déjà, ses envies d’investir et de se mettre à son compte, la «travaillent»: «pour nos parents, on doit rester salarié toute sa vie. Moi, je voulais entreprendre et soutenir les jeunes qui veulent se lancer dans les affaires. On sait qu’en règle générale, c’est au bout de cinq années après sa création, qu’une startup peut échouer, faute d’accompagnement et de «mentoring», de la part de personnes, plus expérimentées», martèle-t-elle. Hind saute donc le pas en novembre 2015, une année après avoir quitté la CDG. Une ambition? Dupliquer le modèle de la Silicone Valley: «C-Base, We Work… les initiatives pour développer la culture de la réussite au Maroc ne manquent pas. Le problème est culturel. Les hommes d’affaires doivent apprendre à partager leurs échecs, ce qui est une expérience profitable pour les jeunes, au même titre que leur recette de réussite. C’est une culture du «give back» qu’il faut populariser», conclut Hind.
Lorsque Hind Chakouk reprend la route, pour l’un de ses rendez-vous, après le lancement de son projet, elle laisse derrière elle une impression de «détermination positive», que rien ne peut arrêter.

BIO EXPRESS

1986 : naissance à Béni Mellal
2004 : Bac Scientifique au Lycée My Abdallah
2009 : Diplôme Finance Al Akhawayn
2012 : Programme grande école de l’EM Lyon
2013 : débuts au Fonds d’investissement PGS Invest
2014 : entrée à la CDG
2015 : lance Secteur 21

 
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