« Mots de têtes », la Chronique des lecteurs

Et si le Maroc devenait le 56ème pays du Commonwealth !

Capital influence, tribune diplomatique, faire-valoir farfelu ou réelle opportunité historique pour changer de « mindset » linguistique et économique voire de trajectoire civilisationnelle ? Que peut bien apporter au Maroc une adhésion au Commonwealth, ce « club » des ex-colonnies britanniques qui s’ouvre à des pays jusqu’alors non anglophones et n’ayant eu aucun lien institutionnel avec la couronne du Royaume Uni ? D’un « presque rien » sur le plan formel à un changement civilisationnel radical, le spectre des réponses est des plus larges entre les gardiens du statuquo linguistique au Maroc et des tropismes « gaullois » à ceux qui proclament que le décollage socio-économique passe impérativement par l’adoption de l’anglais comme deuxième langue.  

La question de l’adhésion du Maroc au Commonwealth pourrait paraitre saugrenue au vu de l’appartenance plutôt de notre pays à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et son statut d’ancien protectorat français mais rien à priori, ni de jure ni de fait, n’interdirait sur le papier une telle adhésion. Et si le Gabon, pays francophone jusqu’à l’écorce de ses tulipiers (qui peuplent sa forêt tropicale) est en passe d’intégrer l’organisation fondée il y a bientôt 80 ans et présidée par le souverain britannique, pourquoi le Maroc ne serait-il pas éligible à lui emboiter le pas.

Car tout compte fait, et à y voir de plus près, le Maroc ne respecte pas moins que la plupart des Etats membres du Commonwealth des Nations, les conditions d’adhésion à ce « club » et qui se résument en gros en des critères de démocratie, de respect de droits de l’homme et l’existence de liens constitutionnels ou administratifs avec au moins un État membre.

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Certes, cette dernière exigence a longtemps réduit, par sa lettre surtout, le profil des nouveaux membres aux anciennes colonies britanniques mais l’interprétation de plus en plus large (pour ne pas dire « lâche » que lui donnent désormais ses propres rédacteurs), laissent les mailles du filet assez larges pour y faire entrer des pays comme le Mozambique en 1995 ou le Rwanda en 2009 alors que ces derniers n’ont jamais fait partie de l’Empire britannique ni n’ont eu de lien constitutionnel avec le Royaume-Uni ou un autre État membre du Commonwealth.

Ceci étant pour les « chances » du Maroc d’être admis au sein de cette communauté qui représente le tiers de la population mondiale (grâce surtout à l’Inde et au Pakistan) si tant qu’il en fasse la demande un jour ! Mais, au-delà de la prospective et de l’analyse de ses conditions d’occurrence, ce qui est encore plus important à décortiquer et comprendre est la question du pourquoi ? Pourquoi vouloir intégrer le Commonwealth ? Qu’est-ce le Maroc aurait à y gagner ?

Au vu des « avantages » directs, concrets et objectifs, on serait tenté de répondre à cette question par : presque rien…mais qui n’est pas tout à fait rien ! Cela ressemble au concept philosophique du « Presque rien » de Vladimir Jankélévitch qui le résume ainsi « Le presque-rien est ce qui manque lorsque, au moins en apparence, il ne manque rien : c’est l’inexplicable, irritante, ironique d’une totalité complète à laquelle on ne peut rien reprocher et qui nous laisse curieusement insatisfaits et perplexes ». 

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Sans s’y confondre avec cette notion à la frontière entre ontologie et épistémologie, le « presque rien » que le Maroc pourrait en tirer d’une éventuelle adhésion au Commonwealth peut bien, de façon certes tout à fait contingente voire « émergente » au sens que lui donne Edgar Morin, se transformer en quelque chose de décisif sinon d’important dans sa trajectoire….justement d’émergence socioéconomique et civilisationnelle. Comment ?

Tout d’abord c’est un « presque rien » car un tel membership ne procure ni avantage commercial, ni baisse des droits de douanes entre Etats membres, ni encore un quelconque accord de coopération civil et militaire. Et même pour ce qui est de la libre circulation en matière touristique et d’immigration, un tel avantage est limité pour l’instant aux seuls ressortissants australiens, néo-zélandais ou canadiens âgés de 18 à 30 ans (et qui sont donc des sujets de la couronne britannique) qui peuvent demander un « working holiday visa » au Royaume-Uni.

Par contre, cette organisation qui a pour but « la poursuite du bonheur, de la liberté et du progrès, par le biais de la coopération inter-étatique entre chacun des membres » offre une tribune intéressante aux gouvernements des membres les moins riches pour négocier des accords bilatéraux avec des pays plus développés. Tous les deux ans, l’ensemble des chefs de gouvernement du Commonwealth se retrouvent lors du «Commonwealth Heads of Government Meeting» (CHOGM), une réunion qui n’a aucun enjeu, si ce n’est les entretiens privés qui se tiennent en marge du sommet. Le petit pays du Guyana qui a obtenu grâce à son adhésion au Commonwealth un accord historique d’une aide économique considérable en contrepartie de la promesse d’une protection renforcée de sa propre forêt équatoriale, est d’ailleurs souvent cité en « sucess story ».

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Au-delà du renforcement de son capital d’influence géo-stratégique et de la tribune diplomatique qu’incarnerait l’entrée au club du Commonwealth, ce qui déjà loin de compter pour des prunes en ces temps-ci pour nous (surtout si l’on sait que l’Algérie se morfond, elle, depuis dix ans dans le couloir de l’attente, sans que le Commonwealth n’ait daigné accéder à sa requête audacieuse !), le Maroc pourrait énormément y gagner en renonçant à son tropisme linguistique hérité de son histoire coloniale et qui fait que la langue usuelle du business et de l’élite économique et politique y soit encore la langue de Molière alors que celle qui domine incontestablement de nos jours le monde sur le plan économique, de la recherche scientifique et académique, des nouvelles technologies et tout simplement celui la mondialisation, n’est autre que l’anglais, la langue officielle du Commonwealth.

Et aujourd’hui de plus en plus de voix s’élèvent au Maroc pour réclamer l’adoption de l’anglais comme deuxième langue officielle en se débarrassant du carcan linguistique gaulois. Certains comme Said Bellari (rédacteur au site anglophone Moroccoboard.com) font même du maintien du français comme langue officielle, une sorte d’autodestruction et d’hypothèque de l’avenir de notre pays.

Sans s’appesantir sur les nouvelles recherches en sociolinguistique ou en économie du développement qui cherchent à établir les liens organiques existants entre la langue pratiquée et le développement socio-économique, force est de constater, tout de même, que l’exemple du Rwanda, seul pays de de l’histoire récente à avoir décrété du jour au lendemain un changement de langue officielle, en l’occurrence en substituant au français la langue de Shakespeare aussi bien dans l’administration que dans l’enseignement public, apporte de l’eau au moulin de ceux qui appellent de tous leurs vœux que le Maroc en fasse de même.

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Le pays présidé depuis 2000 par Paul Kagamé est devenu en l’espace de 10 ans seulement un modèle de croissance économique forte et inclusive (un taux de croissance de 7,2 % en moyenne au cours de la dernière décennie et une très forte réduction de la pauvreté). Même si cela reste un cas isolé pour l’instant, l’exemple rwandais vaut bien que nos décideurs ultimes planchent sur un tel projet et notamment son calcul coût bénéfice et pourquoi pas dans l’optique d’une adhésion au Commonwealth dans la foulée et ce, en dehors de tout tropisme déformant et de toute idéologie de légitimation du statuquo.

Il y va de l’avenir des jeunes et des moins jeunes de ce pays pour l’épanouissement desquels il serait criminel de pas explorer sérieusement toutes les voies et tous les projets permettant de sortir enfin de la « trappe des pays à revenus intermédiaires selon la définition de la Banque Mondiale de ceux qui ne sont plus pauvres (seulement en moyenne détrompons-nous !) sans être réellement déjà riches et développés.

Par Rachid Amine , Casablanca

 
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