Economie

Faiblesses de l’économie nationale : les raisons du mal

Entre 2000 et 2013, le Maroc a perdu près de la moitié de ses parts de marché à l’international qui sont passées de 0,10% à 0,15%. Le pays continue d’exporter des produits à faible valeur ajoutée. L’investissement est orienté dans l’immobilier et le BTP. L’industrie continue d’être le parent pauvre de la production. Les secteurs qui ont le vent en poupe comme l’automobile, l’aéronautique ou l’offshoring pourraient perdre leur avantage concurrentiel dans quelques années seulement au profit de pays à plus bas salaires. Le spectre du textile pourrait à nouveau planer. 

D

epuis toujours, le Maroc traîne un déficit important de sa balance des paiements qui a atteint ses dernières années, un niveau plus qu’alarmant. D’aucuns accusent les accords de libre-échange, quand d’autres estiment juste l’absence de compétitivité des entreprises marocaines.

Mais tout le monde est d’avis que le développement du pays sera compromis par le maintien du déficit commercial. « Aucun pays ne peut réussir son développement avec une balance commerciale déficitaire », prévient d’emblée Tarik El Malki, professeur d’économie à l’Institut supérieur de commerce et d’administration des entreprises (ISCAE) et membre du comité scientifique du Centre marocain de conjoncture. « En effet, le creusement du déficit commercial signifie une perte de compétitivité pour l’économie, ce qui se traduit souvent par des destructions d’emplois et donc de richesses », ajoute-t-il.

« Le Maroc entre dans ce cas de figure, dans la mesure où le marché intérieur ne peut à lui seul garantir la croissance économique, nous n’avons pas d’autre choix que de «booster » au maximum nos exportations », explique-t-il.

La sidérurgie marocaine souffre : le secteur doit faire face à la forte concurrence européenne et turque ainsi qu’à la faiblesse des programmes d’investissements au Maroc.

Absence de compétitivité

Mais, l’amélioration de la balance commerciale, tient avant tout à une production de biens et services compétitifs par rapport aux pays concurrents que sont la Chine et les pays asiatiques, la Turquie et les pays du pourtour méditerranéen , mais également les pays européens qui sont sur les mêmes segments de production comme l’Espagne, le Portugal et l’Europe de l’Est. Cela s’entend en termes de production agricole bien sûr, mais surtout et, de plus en plus, au sens de l’industrie. Or, quand on scrute l’industrie marocaine, on constate « qu’elle est frappée par un double mal », estime Yasmine Osman, économiste à la banque d’affaires Natixis, du groupe français BPCE. D’une part, sur le plan conjoncturel, on assiste « à la baisse de la demande émanant des pays européens, principaux partenaires commerciaux du Maroc » et d’autre part, sur le plan structurel, on ne peut que constater « une offre peu diversifiée et à faible valeur ajoutée, qui la rend particulièrement sensible à la concurrence des émergents par ailleurs plus compétitifs », souligne-t-elle, dans une publication récente de la Banque. Le constat est assez difficile, mais les chiffres sont impitoyables et font état d’une baisse des exportations, notamment en 2013 avec un recul de 6,5% en février puis une autre baisse de 4,7% en mars. Evidemment, quand l’Europe qui absorbe 60% des exportations marocaines s’enrhume, le Maroc ne peut s’empêcher d’éternuer.

C’est d’ailleurs là, une autre faiblesse de l’économie nationale, l’absence de diversité des marchés pour les industriels marocains, mais aussi pour le secteur agricole. L’Afrique qui devient de plus en plus un marché de consommation représente encore moins de 7% des exportations du Royaume. « De plus, la plupart des opérateurs marocains, estiment encore aujourd’hui que l’Asie est un marché inaccessible », souligne Abdelhamid Taoussi, directeur du cabinet Taoussi Conseils.

Dans ces conditions, le Maroc n’est pas encore sorti de l’auberge. Puisque, « la détérioration de la situation économique de l’Espagne et de la France, principaux importateurs de produits marocains, devrait plus particulièrement peser sur les performances commerciales à venir du Maroc », estime Jésus Castillo de Natixis, qui vient de publier une étude intitulée à juste titre « Maroc : des faiblesses à surmonter et des défis à relever pour une croissance plus équilibrée ».

Exportations de produits primaires à faible valeur ajoutée

Et les défis sont plus que nombreux si l’on observe la structure des exportations, mais également celles des importations. Les premières montrent une « spécialisation dans des produits à faible valeur ajoutée », souligne l’étude de Natixis. Dans le détail, on constate que c’est OCP Group qui est pratiquement le seul exportateur qui a les reins solides pour faire face à la concurrence internationale. Ainsi, entre 2007 et 2012, le Maroc a exporté pour une part significative des produits d’origine minérale bruts et semi-finis constitués de phosphates et produits dérivés du phosphate, et dans une moindre mesure, de zinc, plomb et cuivre. En témoigne le chiffre d’affaires d’OCP Group qui tourne actuellement autour de 7 milliards de dollars, soit 60 milliards de dirhams.

Evidemment, il y a également le textile-habillement constitué notamment des vêtements, bonneterie, et chaussures, mais aussi les produits agroalimentaires parmi lesquels on retrouve les produits de la mer ainsi que les agrumes autres que les tomates.

Dans tout cela, il y a peut-être une bonne nouvelle. C’est que le secteur de la sous-traitance automobile et aéronautique est en train de gagner en importance, permettant ainsi aux « biens d’équipement essentiellement composés de fils et câbles de progresser pour représenter 15% des exportations marocaines en 2012 contre 3% en 2000. C’est peut-être là, un succès qui a dépassé l’espérance des auteurs du plan Emergence, à savoir le premier ministre Driss Jettou et son Ministre des Finances de l’époque Salaheddine Mezouar.

En effet, actuellement un véritable secteur de la sous-traitance automobile se construit autour de l’axe Casablanca-Tanger. L’arrivée de grands noms comme Renault, mais également Bombardier ne fera qu’améliorer la renommée du Royaume pour attirer de nouveaux investissements orientés vers l’exportation.

Hausse des salaires et absence de productivité du travail

Néanmoins, certains soulèvent des remarques qui pourraient être des facteurs de blocages. En effet, « bien qu’il n’y ait pas eu de véritable montée en gamme de la production marocaine, les prix à l’exportation, eux, ne cessent d’augmenter, et ce beaucoup plus rapidement que ceux des principaux concurrents émergents », souligne Yasmine Osman. A offre équivalente, les prix des produits marocains sont plus élevés. En conséquence, le Maroc voit diminuer sa part de marché dans les exportations mondiales. De 0,15% en 1999, la part de marché du Maroc est aujourd’hui à environ 0,10%. Cela veut simplement dire que si le Maroc avait pu maintenir la même compétitivité et donc la même part de marché et compte tenu de la croissance du commerce international sur la période, les exportations totales seraient au moins deux fois plus importantes qu’elles ne le sont actuellement. D’ailleurs, des pays comme la Chine et l’Inde ont triplé leurs parts de marché, là où la Turquie, mais également l’Egypte ont vu doubler la leur. Il faut dire qu’en comparaison avec ces pays, l’indice des prix à l’exportation a augmenté beaucoup plus vite pour le Maroc. Il a gagné 60% entre 2005 et 2013 pour le Maroc, contre 22% pour l’Egypte, 27% pour la Turquie et la Chine, 40% pour la Tunisie, 50% pour l’Inde.

De toute évidence, la compétitivité extérieure du Maroc en a pâti. Les augmentations successives du salaire minimum sur la période ainsi que la rigidité de la baisse des rémunérations ont handicapé l’économie Marocaine. De plus, dans cette même période, il ne s’est pas produit une amélioration significative du facteur travail.

Le problème, c’est qu’à défaut d’un ajustement des salaires, c’est le marché du travail, notamment l’emploi industriel qui a souffert de cette situation. De sorte que la croissance du PIB dont a profité le pays ces dernières années, ainsi que la très significative augmentation de la formation brute du capital fixe (FBCF) n’ont pas bénéficié à la productivité du travail. 

L’investissement aux secteurs peu productifs

On peut faire l’amer constat que l’investissement continue de profiter à des secteurs comme le bâtiment et les travaux publics qui restent peu productifs.

« Un autre élément explicatif de cet échec relatif, et qui à mon sens peut jouer un rôle déterminant, souligne Tarik El Malki, est la relative absence de prise de risque de la part des opérateurs économiques ». En effet, « nous avons une classe d’entrepreneurs frileux qui sont allergiques à toute prise de risque et qui préfèrent investir dans des secteurs garantissant des marges commerciales importantes et à faible valeur ajoutée tels que l’immobilier notamment », ajoute-t-il. Alors que « nous avons besoin de chefs d’entreprises qui investissent dans l’industrie. C’est un peu ce qu’on appelait à l’époque en Amérique Latine la bourgeoisie comprador », conclut-il.

C’est en bonne partie cette absence de prise de risque qui explique le faible investissement dans la recherche et le développement, mais également le développement de véritable filière. En effet, quand le textile était à son apogée, le Maroc a raté le coche en investissant dans l’amont par la production de tissu et de fournitures. De sorte qu’à l’échelle de l’économie nationale, seul le secteur de la confection a bénéficié du boom du textile. Les machines utilisées ont d’abord été de marque allemande, puis japonaise, avant de passer entre les mains des chinois. Les tissus non plus n’ont jamais porté l’indication « made in Morocco ».

Le syndrome du textile plane

Aujourd’hui, qu’il y a un engouement concernant le secteur de l’automobile, on constate d’une part l’absence de capitaux purement marocains dans la sous-traitance, mais également que cette sous-traitance exclut les segments à très forte valeur ajoutée comme la mécanique et l’électronique automobile, mais également la plupart des pièces de carrosserie à forte valeur ajoutée. La question qui se pose est de savoir si l’on ne risque pas d’être encore une fois une usine dont la seule compétitivité est basée sur les coûts de la main-d’œuvre. Dans ce cas, le succès sera encore de courte durée, car dans quelques années, on risque encore de faire le même constat, surtout que pour l’automobile ou l’aéronautique, les entreprises à capitaux étrangers n’auront aucun état d’âme à plier bagage. 

 
Article précédent

Vers un nouveau cadre d’activité pour les écoles américaines

Article suivant

Economie : "Nous ne prenons pas suffisamment de risque"