Dossier

Fini la contrebande ?

Les autorités marocaines avaient beau déployer leurs efforts pour lutter contre sa prolifération, la contrebande persistait jusqu’à prendre racine dans l’économie nationale. Depuis quelques mois, le rapport de force à la frontière Sebta/Melilia a basculé pour le grand bonheur des industriels et importateurs marocains qui ont commencé à ressentir les premiers effets positifs de la lutte contre ce fléau. Peut-on pour autant dire basta la contrebande? Quid des deux autres portes d’entrée, notamment l’Oriental et Guergarate ? 

Qui l’eût cru ? Les affaires vont mal pour la contrebande dans le Nord du pays. Si les pouvoirs publics n’ont jamais vraiment eu les moyens d’affronter le phénomène, tel ne semble plus être le cas : le rapport de force à la frontière Sebta/Melilia a basculé. A la tête de la Douane depuis novembre 2017, Nabyl Lakhdar qui disait pourtant qu’il n’est pas venu pour révolutionner mais plutôt accélérer les projets déjà en place, a en tout cas réussi à stopper le fléau qui a pris racine dans l’économie marocaine, du moins du côté Nord du pays. Il faut dire que le patron de la Douane connait bien la maison. Il a passé 17 ans de sa carrière à la Douane avant de partir à la Direction générale des impôts (DGI) où il a été en poste durant trois ans. Et même pendant cette période, le contact n’a jamais été rompu puisque le fisc travaillait de concert, notamment sur la Loi de finances. Autrement dit, il n’a jamais quitté la maison; du coup, il connaissait exactement où en étaient les dossiers à son arrivée. C’est ainsi qu’au cours de ces trois dernières années, lui et ses équipes se sont planchés sur deux grands chantiers prioritaires : la dématérialisation des documents et la lutte contre la contrebande. En juillet 2018 déjà, la Douane marocaine a marqué les esprits en réussissant à interdire les opérations commerciales au niveau de Bab Melilia, mettant fin à une aberration.

En effet, tout le trafic destiné au Maroc passait par ce port et une bonne partie en contrebande, avant de rentrer dans le pays, alors que celui de Bni Nsar se trouve à peine 100 mètres plus loin. Depuis, tout le flux de Melillia a été aiguillé vers Nador, ce qui a permis de créer de l’activité. Ainsi, sur le terrain, le résultat est visible : lorsqu’un bateau ramène 200 conteneurs, 150 sont débarqués à Nador et le reste à Melillia, expliquait Nabyl Lakhdar qui était invité par la fédération Tijara 2020 des métiers de la distribution des produits de grande consommation. Mais, cette lutte contre la contrebande enclenchée par les pouvoirs publics sous la houlette de la Douane, a surtout marqué des points, lorsque le passage par Bab Sebta a été fermé par le Maroc en octobre dernier. 

Il faut dire que la contrebande avec ses deux présides occupés porte un coup dur à l’économie marocaine et porte préjudice à sa politique sociale, tout en souillant son image. Rien qu’à partir de Sebta et Melillia,  les produits de contrebande en provenance de ces deux villes sont estimés pour une valeur de plus de 15 milliards de DH par an, soit plus que l’équivalent des exportations espagnoles en Australie. « Sebta et Melillia n’ont pas de production ou d’industrie locale et tout leur vient de l’extérieur  mais en outre, 80 % de ce qui arrive dans ces villes a pour destination finale le Maroc, ce qui représente un chiffre d’affaires annuel de 15 à 20 milliards de DH », a souligné le directeur de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII), dans une interview accordée récemment à l’agence espagnole EFE. Une situation qui n’était pas sans constituer une concurrence déloyale envers les producteurs et les importateurs marocains. Si, officiellement, peu de données sont disponibles pour en mesurer le manque à gagner pour l’industrie pour toutes ces années passées, les témoignages rapportés par certains opérateurs laissent croire que les mesures mises en place pour contrer la contrebande commencent à produire des effets positifs. Textiliens, industriels de l’agroalimentaire, pétroliers, distributeurs de produits de grande consommation, céramistes, pharmaciens…, tous s’accordent à dire qu’ils ressentent les retombées dans leur business. «L’ampleur de cette contrebande rendait improductive toute activité commerciale ou industrielle non seulement au Nord, mais aussi dans d’autres régions du Royaume. Dans notre secteur, par exemple, les produits de contrebande qui entraient par le Nord et l’Oriental envahissaient le marché. Ainsi, plus de 60% des épices vendues au Maroc provenaient de la contrebande à partir de Sebta et Melillia. Avec une telle ampleur, il est évident qu’on ressente rapidement les effets », explique ce membre de l’Association marocaine des importateurs d’épices, de céréales et de légumineuses (AMIECL) qui précise que la contrebande avait causé la faillite de plusieurs opérateurs légaux dont les prix étaient de 15 à 30 % plus chers. A noter que si aucune estimation des importations illégales n’est établie par les opérateurs, chaque année, le marché marocain absorbe plus de 35 000 tonnes d’épices d’une valeur de plus de 2 milliards de DH.

Il reste que les produits alimentaires figurent parmi les principaux produits importés de Sebta. « Les produits alimentaires constituent près de 40 % des produits de contrebande en provenance de Sebta. Il s’agit souvent de pâtes alimentaires, thon, riz, maïs, fromages, biscuits, chocolat, café, produits de confiserie… et même du lait pour bébés. « Logique que nous nous frottons les mains avec cette lutte engagée par la douane. Allez faire un tour à Derb Ghallef ! Vous verrez que les commerçants de produits de contrebande ont quasiment fini de liquider leurs stocks. Certains se sont reconvertis dans d’autres activités commerciales ou ont fermé boutique, pendant que d’autres n’ont plus d’autres choix que de vendre des marchandises légales », souligne un membre de la Fédération nationale de l’agroalimentaire (Fenagri), qui tient à préciser que de tous les produits de contrebande, ceux de l’agroalimentaire présentent le plus grand danger pour le consommateur.  

Outre Sebta et Melillia, l’autre porte d’entrée de la contrebande était l’Oriental où aujourd’hui, les produits en provenance de l’Algérie et commercialisés à Bni Drar et dans les autres marchés à Oujda, ne représentent plus que moins de 10% depuis le blocage des circuits de contrebande avec le voisin de l’Est, il y a de cela six ans, indique-t-on auprès de la Chambre de commerce, d’industrie et de services d’Oujda. Dans cette région, des dizaines de stations service ont été créées au cours de ces trois dernières années pour combler le vide provoqué par la mise à mort de la contrebande de carburant. Il faut dire que la chute des cours de pétrole a poussé les pouvoirs publics algériens qui subventionnaient le carburant, à lutter eux aussi contre la contrebande de l’or noir. Et pour ne rien arranger pour les contrebandiers, les prix du carburant à la pompe, côté marocain, ont baissé, faisant perdre par ricochet au carburant algérien sa compétitivité. Résultat des courses :
si la contrebande au niveau des deux portes d’entrée (Sebta-Melillia et Oriental) est mise à mal, il reste beaucoup de chemin à faire pour arriver aux mêmes résultats dans le Sud, principalement à Guergarate. Ce ne sont pas les constructeurs de téléphones mobiles qui diront le contraire. Selon eux, plus de 30 % des téléphones mobiles vendus au Maroc sont issus de la contrebande et introduits via Guergarate. Ils sont acheminés par des camions en provenance de la Mauritanie et écoulés principalement dans le circuit traditionnel, notamment à Derb Ghallef, Garage Allal, Akhmassi… Du coup, ces produits coûtent environ 30 % moins chers que ceux proposés par les constructeurs qui, outre la TVA de 20 %, payent deux autres taxes, notamment la taxe douanière (entre 3 et 3,5 %) et le droit d’auteur au BMDA (20 ou 30 DH par téléphone selon la catégorie). Pour les opérateurs, ce n’est pas à eux seuls que ces arrivées massives de téléphones en contrebande portent préjudice, l’Etat y perd énormément également.

Les téléphones portables ne sont pas les seuls produits à passer par cette porte. « On nous a rapporté beaucoup de cas de  produits qui entrent à partir de Guergarate», renseigne un opérateur de tabac qui ne veut pas s’épancher sur le sujet, préférant plutôt mettre en avant le travail de collaboration entre la douane et les cigarettiers pour lutter contre la contrebande. Pour rappel, l’année dernière, le taux de pénétration des cigarettes de contrebande s’est établi à 5,23%, selon la 6e étude de prévalence des cigarettes de contrebande, élaborée par la Commission nationale de lutte contre la contrebande de cigarettes. Ainsi, rapporter cette prévalence au chiffre d’affaires global du secteur sur le plan national, lequel est de 15 milliards de DH, c’est un manque à gagner de plus de 780 millions de DH pour ce secteur. Mais lors de son intervention devant les membres de  la fédération Tijara 2020 des métiers de la distribution des produits de grande consommation, Nabyl Lakhdar a indiqué que tout un chantier  est en cours avec les autorités pour faire en sorte que les importations à travers le poste frontière Guergarate se normalisent progressivement. C’est dire que la dynamique de lutte contre la contrebande enclenchée sera maintenue.

 
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