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Fiscalité : une transparence nécessaire à développer

Peut-on parler d’efficacité et d’équité fiscale sans transparence dans la gestion de l’impôt ? En 1984, la naissance douloureuse, à la césarienne, du système fiscal en vigueur, dit déclaratif, explique les nombreuses séquelles à l’origine de la plupart des défaillances actuelles dans la gestion de l’impôt. Aujourd’hui, le contexte n’est plus le même. La Constitution de 2011, la nouvelle loi organique des finances, les nouvelles technologies de l’information et de communication, l’environnement national et international et les nouvelles générations de fonctionnaires imposent nécessairement un nouveau mode de gestion où la transparence devient incontournable.   par M. Amine

Autrefois, l’assiette de l’impôt était basée principalement sur des opérations physiques de constatation. Le recensement était la principale opération pour collecter l’information nécessaire pour asseoir l’impôt. L’activité physique et le contact direct sont propices au développement de relations personnelles favorisant des pratiques dérogatoires non conformes à la loi et à l’éthique.
Depuis la réforme fiscale de la seconde moitié des années 1980, les principaux impôts mis en place, la TVA, l’IS et l’IGR, sont déclaratifs. Mais, en matière d’IR (revenus professionnels), c’est le régime du forfait qui prévaut. Et ce régime demeure régi par l’ancienne logique. Le revenu minimum étant déterminé unilatéralement par le fisc en combinant la valeur locative avec un coefficient qui peut aller de 1 à 10 ! Une porte ouverte à tous les marchandages occultes.

Le forfait, une porte ouverte aux marchandages occultes

La sémantique a aussi changé. L’assujetti et l’imposable est remplacé par le contribuable. Ce dernier souscrit une déclaration et l’administration fiscale exerce le droit de contrôle défini selon une procédure légale. Mais la réalité est têtue. Malgré les nouveaux textes, la pratique ancienne a continué à se reproduire. Chaque impôt continuait à être régi par un texte particulier. La multiplicité des textes provoquait même chez les contribuables les plus avertis, un vertige kafkaïen. Et puisque c’est dans les détails que se cache Satan, les diables étaient nombreux et heureux.
Mais, heureusement, en 2007, sera promulgué un Code Général des Impôts, regroupant la quasi totalité des impôts dits d’Etat : l’IS, l’IR, la TVA, les Droits d’Enregistrement et plus tard les Droits de Timbre. Un effort louable, avec néanmoins des malformations congénitales dues à une faible cohérence d’ensemble. Le regroupement en un seul texte permet certes une meilleure visibilité fiscale. Mais le Livre III, intégré plus tard, intitulé : « Autres droits et taxes » est un véritable petit bâtard, adopté difficilement par une famille fondée sur le mariage entre le nouveau (TVA, IS et IR) et l’ancien (Droits d’Enregistrement). Ce dernier Livre a finalement réduit les premiers efforts et consacré l’archaïsme fiscal. Et autour de cette « île au Trésor public » que constitue le Code Général des Impôts, continue à survivre une multitude d’impôts locaux, et d’autres gérés jalousement par la Douane, tels que la fameuse taxe intérieure sur la consommation qui fait double emploi avec la TVA, sans compter les nombreux « impôts pirates » que constitue la parafiscalité, et dont le nombre exact de taxes est méconnu même par les professionnels.
Ainsi, la première source d’opacité, et donc d’inefficacité et de non équité, réside dans les textes de lois. Elle réside dans l’absence d’un référentiel fiscal unique et cohérent. Et ces dernières années ont été caractérisées par une régression, avec la création de nouvelles taxes pour alimenter le Fonds de Cohésion Social ou pour taxer le ciment, le plastique, le fer….Il aurait pourtant suffi de réformer le système fiscal existant sur de nouvelles bases pour atteindre des objectifs meilleurs et durables.

La porte ouverte aussi aux abus !

Par ailleurs, l’effort d’interprétation administrative des textes de lois est assez minime. Il s’effectue principalement à travers une note circulaire annuelle qui ne fait que reprendre textuellement les dispositions des Lois de finances, ou encore rarement, à travers quelques notes de services pour répondre à des cas particuliers. Les décisions prises par le contentieux administratif ou par le contentieux judiciaire sont faiblement capitalisées pour contribuer à l’harmonisation de la pratique administrative ou, éventuellement, à la modification des dispositions légales. Cette situation ne peut être que source de pratiques incohérentes et donc de nouveaux contentieux. La même disposition fiscale peut être appliquée différemment d’une région à une autre, voire d’un contribuable à un autre. La porte est donc ouverte aux abus. L’inexistence du rescrit et des conventions fiscales préalables renforce encore plus l’instabilité fiscale et donc la précarité juridique et fiscale. La décision d’investir prend souvent en compte cette instabilité ou incertitude plus que les taux d’imposition bien affichés pour mieux allécher.
La gestion de l’impôt n’est donc pas suffisamment assise sur des textes et des interprétations administratives cohérentes. L’inexistence de procédures administratives internes de gestion de l’impôt fragilise inévitablement le contrôle interne. Chacun pourra faire danser le texte et le contribuable à sa manière.
Les impôts étant surtout déclaratifs, la fonction primordiale du fisc est donc le contrôle au sens large. Or, pendant longtemps, le contrôle a été compris au sens restreint : le contrôle de comptabilité ou contrôle sur place. Pour celui-ci, à peine 350 vérificateurs y sont mobilisés, sur un effectif total de 5000 agents et cadres. Avec les fréquents départs en retraite et l’opération de départ volontaire, c’est surtout l’autre camp qui s’est renforcé, celui de l’entreprise. Le fisc dispose d’une toute petite armée de contrôleurs face à la grande armée des comptables et des experts comptables dotés souvent des armes les plus sophistiquées. Comment s’étonner que plus de 60% des entreprises se contentent de souscrire constamment et sans crainte des déclaration déficitaires ? Pour combler cette faiblesse quantitative, l’administration fiscale a essayé de se doter d’un système pouvant lui permettre de collecter et de traiter l’information et donc de renforcer qualitativement le contrôle dans sa dimension dissuasive. L’échec de cette tentative qui a duré presque 15 ans, demeure énigmatique. Mais l’obstacle n’est pas seulement technique. La programmation au contrôle fiscal a toujours été perçue comme relevant du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale. Une boîte noire. C’est là où le degré d’opacité est le plus élevé et où le risque d’instrumentation est évident. C’est aussi là que le risque de perte de crédibilité est le plus important pour un système fiscal basé théoriquement sur le principe d’adhésion volontaire. Les efforts entrepris ces dernières années pour pallier cette faiblesse capitale ressemblent beaucoup plus aux escalades et aux descentes infinies de Sisyphe.

Le recouvrement, un indicateur d’adhésion à l’impôt

Dans le domaine du recouvrement, l’information statistique n’est guère actuellement disponible pour pouvoir faire la distinction entre le recouvrement spontané et le recouvrement forcé. Le premier ressemble à la pluie et constitue un indicateur d’adhésion volontaire au système fiscal. Le second permet d’apprécier l’effort de l’administration fiscale et en même temps, la résistance sociologique à l’impôt. Les textes régissant le recouvrement sont dispersés et pas toujours cohérents. Le recouvrement forcé demeure régi par des textes répressifs dont l’esprit date de la période coloniale. La faiblesse des ressources affectées au recouvrement forcé, explique l’accumulation continue des restes à recouvrer et l’effet boule de neige qui impose, de manière cyclique, le recours à l’amnistie, avec une moyenne d’une fois tous les dix ans, au détriment du contribuable honnête et de la crédibilité de tout le système fiscal.
Enfin, au-delà de cette opacité nauséabonde caractérisant le back office, le front office offre une image où le contribuable, au fond de lui-même, souhaite ne jamais mettre ses pieds dans un bureau du fisc. A ce niveau, les agents du fisc devraient commencer par lire et s’approprier la lettre et l’esprit du titre XII de la nouvelle Constitution qui s’intitule : «De la bonne gouvernance». Car très souvent, les services d’accueil mis en place sont perçus d’abord comme des obstacles ou des barrages à l’accès direct aux gestionnaires des dossiers, plutôt que des facilitateurs et des fournisseurs de services de qualité. En réalité, l’inefficacité du front office n’est que le reflet de l’inefficacité du back office. Et le grand rêve du contribuable honnête est d’éviter de se déplacer physiquement, plusieurs fois, d’attendre, d’être patient, de réclamer, d’être obligé de donner un accord… Son grand rêve est d’être servi chez lui, en ligne, à distance. Et de payer ses impôts en ligne. Avec des informations clefs à sa disposition et un sourire sur l’écran. Un rêve possible et actuellement partagé par de nombreux cadres de ce même back office.

 
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