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Formation professionnelle : Ce qui va changer

Voilà vingt ans que le Maroc met les gros moyens sur la formation professionnelle, dans le but avoué d’améliorer l’employabilité des jeunes pour faciliter leur insertion dans la vie active, en veillant à la satisfaction de la demande économique et sociale d’une part, et au perfectionnement des salariés pour maintenir leur employabilité et améliorer leur situation économique et sociale d’autre part. Seulement, après deux décennies, les diplômés de la formation professionnelle chôment plus que les autres. La nouvelle feuille de route, recalée à plusieurs reprises par le Souverain, avant d’être jugée recevable par le Roi, devrait connecter la formation professionnelle aux besoins du marché du travail. Que propose la nouvelle architecture aussi bien dans la forme que le fond ?

C’est parti pour la mise en œuvre de la feuille de route relative à la formation professionnelle. Lundi 13 mai dernier, le Comité de pilotage en charge de la concrétisation de ce nouveau schéma directeur a tenu sa première réunion au ministère de l’Intérieur. Du beau monde   pour mettre en phase la formation professionnelle avec la réalité des besoins économiques et sociaux du pays, à la fois sur les plans quantitatif et qualitatif, avec des taux d’insertion et d’emploi élevés.

Outre le ministre délégué à l’Intérieur, Noureddine Boutayeb, cette première rencontre du Comité de pilotage a vu la participation de pas moins de sept autres ministres, notamment ceux de l’Éducation nationale, Saaïd Amzazi, de l’Industrie, de l’Investissement et du Commerce Moulay Hafid Elalamy, de l’Economie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, de la Formation professionnelle, Mohammed Rherras, de l’Agriculture, de la Pêche maritime et du Développement rural Aziz Akhannouch, de la Santé, Anas Doukkali, et du Tourisme et de l’artisanat, Mohamed Sajid.

La directrice générale de l’Office de la Formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), Loubna Tricha, et le président de la CGEM, Salaheddine Mezouar, ainsi que son adjoint, Abdelilah Hifdi, président du groupe du patronat à la Chambre des conseillers, y ont également pris part. Si lors de cette réunion, le Comité s’est penché sur le plan de mise en œuvre de la nouvelle feuille de route, il devra se réunir à nouveau dès juin prochain.

Proximité avec le monde du travail

En attendant, le chantier, il faut le reconnaître, pour le moins complexe, donne une idée sur la forme que prendra le nouveau dispositif de formation professionnelle au Maroc. En effet, ce dernier s’articulera autour de la création d’une nouvelle génération de centres de formation professionnelle. Ainsi, chaque région sera dotée d’une « cité des métiers et des compétences », soit douze campus dédiés à la formation professionnelle, qui seront implantés au niveau d’écosystèmes judicieusement choisis. Objectif : favoriser la proximité avec le monde du travail. Les cités des métiers sont appelées à offrir des formations modulées sur les spécificités et les potentialités de chaque région. « Il est impératif que la formation soit alignée sur la demande et non sur l’offre. Cela permettrait de se rapprocher du taux de 100 % au niveau de l’insertion des lauréats. C’est qui explique d’ailleurs la mise en place des 12 cités des métiers et des compétences pour les douze régions du Royaume, avec 34.000 à 40.000 étudiants, dans des conditions très confortables, avec des campus et résidences. De toutes les façons, la loi organique concernant les régions, confie, entre autres, l’élaboration, l’organisation de la formation professionnelle et initiale au Conseil régional et à la région », souligne Abdelilah Hifdi.

Sur le terrain, l’approche consiste à tenir compte à la fois des métiers liés aux domaines d’activités porteurs de l’écosystème dans lequel ces cités s’implanteront, mais aussi dans les métiers du futur tels que le Digital-Offshoring, une filière jugée très créatrice d’emplois. C’est pourquoi, les formations liées à cette dernière seront déployées dans les 12 régions du Royaume. Par contre, les formations liées à l’intelligence artificielle ne seront développées, dans une première étape, qu’au niveau des régions Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra.

Pour l’agriculture-agroindustrie et l’industrie, secteurs majeurs et à très large spectre, leurs filières de formation seront proposées dans la majorité des régions, avec, en outre, des filières relatives à l’Industrie navale à Agadir et Casablanca.

Huit régions devront, de leur côté, accueillir des formations en Hôtellerie-Tourisme, l’autre secteur clé de l’économie nationale. Les métiers de la Santé ne sont pas en reste sauf qu’ils seront développés dans huit régions dotées d’un CHU fonctionnel ou en cours de construction. La proximité de centres de formation spécialisés permettra aux CHU de recruter des diplômés adéquats. Les régions réputées pour l’artisanat, principalement Fès-Meknès, Marrakech-Safi et Drâa-Tafilalet, seront dotées de cités dédiées.

Ces futurs espaces devront comporter des structures spécifiques à l’instar des chaînes de production pédagogiques, des centres de simulation et les halls technologiques. L’objectif est de recréer l’environnement professionnel nécessaire à l’acquisition des compétences s’inscrivant dans la pratique réelle d’un métier. Les « Cités des Métiers et des Compétences » fonctionneront sur la base du principe de la mutualisation dans un esprit d’optimisation de l’utilisation des ressources disponibles, notamment pour les plateformes numériques, les Centres de Langues, les Career Centers, les bibliothèques et médiathèques, les internats et les terrains de sport.

Un des cinq principaux axes de la nouvelle feuille de route, voire sa colonne vertébrale, cette nouvelle génération de centres de formation intégrés dans les écosystèmes régionaux, donnera un coup de pouce à un autre axe du dispositif de formation professionnelle : la professionnalisation des jeunes travailleurs dans l’informel et/ou en recherche d’emploi. En effet, les cités des métiers et des compétences développeront des formations destinées à cette cible. Il s’agit de renforcer leurs compétences techniques et transversales notamment en matière de langues. L’objectif sera d’améliorer leurs compétences pour être aptes à intégrer l’économie formelle dans de meilleures conditions. Quel sera alors le statut de cette nouvelle génération de centres de formation ?

Les cités des métiers auront le statut de filiales de l’Office. Erigées en sociétés anonymes, les cités des métiers qui auront le statut de filiales de l’Office, seront dotées d’un Conseil d’administration tripartite composé de professionnels, de collectivités territoriales et de l’Etat. Leur création nécessitera un budget d’investissement de 3,6 milliards de DH, financé par l’Etat, les régions et l’OFPPT.

Du côté du ministère de l’Education et de la Formation professionnelle où l’on s’apprête à lancer les études relatives à la construction de ces nouvelles entités et à l’ingénierie pédagogique, on ne veut point apparaître comme celui qui retarde le projet. Selon une source proche de ce département, les chantiers seront lancés en janvier 2020 pour que les premières ouvertures interviennent à la rentrée 2021.

Le rôle du secteur privé

Encore faudrait-il que d’ici-là, le secteur privé qui a encore le plus grand mal à trouver des jeunes bien formés et opérationnels, mais dont le rôle est très déterminant pour la réussite de la nouvelle feuille de route, soit impliqué et y retrouve également son compte. Loubna Tricha ne perd pas de vue cette donne. Le 17 avril dernier, elle est allée à la rencontre de la CGEM. Au siège du patronat, la DG de l’OFPPT a échangé avec Salaheddine Mezouar et son équipe, sur les moyens de réussite du nouveau programme de développement de la formation professionnelle afin d’enrichir la nouvelle feuille de route.

Il faut dire que du côté de l’Office, l’on tient à préciser que celle-ci a été pensée «de manière à assurer une très forte implication du secteur privé dans toutes les phases de réalisation et de déclinaison de ladite feuille, et cela à travers deux chantiers majeurs, à savoir celui de réalisation des cités des métiers et des compétences et celui de la mise à niveau de l’offre actuelle». Quid concrètement de l’apport du secteur privé ? Selon l’OFPPT, celui-ci « se fera principalement à travers un apport d’expertise aussi bien dans les phases de conception du nouveau dispositif de formation professionnelle que dans la phase de la gestion opérationnelle ».

De son côté, le président de la CGEM, Salaheddine Mezouar, a indiqué que l’objectif de cette réunion est de concrétiser la feuille de route en coordination et en harmonie avec le secteur privé. « La traduction opérationnelle doit être efficace permettant d’atteindre les objectifs prédéfinis », a-t-il souligné, ajoutant que le secteur privé, grâce à ses expériences et son implication continue dans le domaine de la formation professionnelle, dispose de propositions concrètes à même de contribuer à accélérer le processus de mise en œuvre des recommandations et des décisions.

Actuellement, si le niveau d’implication du patronat n’a pas été totalement défini, le président du groupe du patronat à la Chambre des conseillers a tout de même son idée sur la question. « Au niveau de la gouvernance, l’idée est d’avoir l’implication de tous les professionnels au niveau de la chaîne de formation. C’e sont ceux-là qui doivent gérer la formation, en vue de définir les métiers, les compétences, définir les besoins par métiers au niveau national et régional… Nous allons entamer une nouvelle gouvernance après l’échec de l’ancienne, qui était une cogestion. Je rappelle que parallèlement à celle-ci, nous avons le mode IGD (Institut à gestion déléguée) qui a donné de très bons résultats. A la CGEM, nous sommes d’accord pour accompagner la feuille de route Royale, qui vient régler beaucoup de dysfonctionnements, mais attention au niveau de la gestion des instituts, des futures cités des métiers, parce qu’il ne faut pas que l’on dise que ce sera de la cogestion», estime-t-il.

Pour Abdelilah Hifdi, ce qui marche aujourd’hui dans beaucoup de secteurs, notamment l’industrie automobile ou encore l’aéronautique, ce sont les Instituts à gestion déléguée. «Aujourd’hui, l’OFPPT doit devenir notre client, c’est-à-dire qu’après avoir défini nos métiers, nos besoins par métiers au niveau national, régional et l’approche par compétences… c’est là maintenant qu’il intervient. Et bien sûr avec une gestion assurée par les professionnels. On ne peut pas gérer nos instituts à notre place, ce n’est pas possible. Bien sûr, tout ceci dans le cadre d’un partenariat. Il est évident que si nous continuons dans cette gestion d’aujourd’hui, cela nous mènera encore à l’échec. Encore faudrait-il que les fédérations soient aussi en mesure de gérer les instituts. Dans ce cas, commençons par les secteurs matures comme le BTP, le tourisme, le textile, le digital», dit-il.

Création d’emplois : le potentiel est très important

Aujourd’hui, qu’il s’agisse des secteurs connaissant déjà un grand essor, comme les BTP, le tourisme, les mines, les technologies de l’information et le commerce, des secteurs traditionnels à fort potentiel, dont l’agroindustrie, la pêche, le textile et cuir ou encore les nouveaux métiers du Maroc que sont l’offshoring, les équipements automobiles, l’industrie aéronautique et l’électronique, le potentiel de création d’emplois est très important.

Mais à entendre les professionnels de ces secteurs se plaindre de pénuries de main-d’oeuvre, on en oublierait presque qu’il y a encore plus de 2 millions de jeunes au chômage et immédiatement disponibles. «Nous avons placé la formation professionnelle au cœur de nos objectifs. C’est pour cela d’ailleurs que l’OFPPT a essayé de nous impliquer dans la formulation des politiques. Cependant, pour pouvoir disposer de profils qui répondent à nos besoins, nous avons demandé à ce que notre fédération soit beaucoup plus impliquée, mais cela ne s’est jamais fait pour diverses raisons. L’OFPPT nous a impliqués, seulement au niveau de son école de formation dans les métiers du BTP de Settat. Et c’est notre fédération qui en assure la gestion. La première promotion est sortie il y a quelques mois», souligne Taoufik Cherradi, Président de la Commission formation et emploi de la Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux Publics (FNBTP). Même constat du côté de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière (FNIH). «Avec une progression annuelle de la capacité d’hébergement de plus 7.000 lits, l’industrie hôtelière du tourisme est confrontée à une pénurie de personnel qualifié qui affecte le service offert. Les 2/3 du personnel exerçant dans le secteur sont non ou sous qualifiés. Comme nous avions eu l’occasion de le dire à la DG de l’OFPPT et au ministre de l’Education et de la formation professionnelle Saaid Amzazi, lors d’un congrès à Dakhla, toutes ces insuffisances seront palliées si tout ce qu’ils ont promis à travers la nouvelle feuille de route est réalisé. En termes de chiffres, l’industrie hôtelière pourrait recruter 20 à 25 % de plus. Pour le moment, près de 19.000 lits sont en développement pour une livraison les 2 ou 3 prochaines années», souligne Lahcen Zelmat, président de la FNIH qui précise que l’offre de formation professionnelle dans les métiers du tourisme repose essentiellement sur le dispositif public avec 66% pour l’OFPPT, 16% pour le ministère du Tourisme et 18% réalisés par le privé.

Globalement aujourd’hui, sur les 390 instituts de l’OFPPT, près de 120 sont sectoriels. «Mon idée n’est pas de désosser l’OFPPT mais, laissons-lui tout ce qui est transversal et multi-secteurs (comptabilité, commercial…), et donnons la gestion des établissements sectoriels à la CGEM et ses fédérations, pour une adéquation entre la production de compétences et les besoins de chaque secteur. De cette manière, la CGEM sera responsabilisée, les secteurs le seront également, etc. Nous avons la chance d’avoir à la tête de l’Office une jeune animée d’une grande volonté d’innover, alors moi je lui dis qu’il faut avoir de l’audace. Une implication plus directe de la CGEM va régler beaucoup d’aspects liés à la formation professionnelle. Ce qui va permettre d’assurer les stages, les alternances, et par conséquent faciliter le recrutement des compétences », lance Abdelilah Hifdi qui précise tout de go que le financement du dispositif OFPPT, à la fois la formation initiale et la formation continue, est assuré par les entreprises, avec à peu près une enveloppe de 2,3 milliards de DH par an.

A l’instar des professionnels, les acteurs du recrutement estiment également que le Maroc ne doit pas rater une nouvelle fois ce virage. «Les dysfonctionnements en matière d’adéquation des formations avec l’emploi impactent négativement le taux d’employabilité. Et les indicateurs sont très préoccupants à ce sujet. Heureusement que tout l’enjeu de la nouvelle feuille route tourne autour de cette question sans compter que la problématique de la langue d’enseignement dans les filières scientifiques et techniques est en train d’être réglée. Il faut dire qu’aujourd’hui, nous n’avons plus le choix: la formation professionnelle a besoin de mesures drastiques et douloureuses», souligne Ali Serhani, directeur délégué du cabinet Gesper Services.

 
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