Agriculture

Guerre russo-ukrainienne. Le Maroc courtisé de partout pour son engrais

Le conflit russo-ukrainien, déclenché depuis deux mois, rebat les cartes de la géostratégie politique et économique mondiale. Il est en train de profondément redessiner le marché mondial des engrais, et le Maroc s’est retrouvé au centre des enjeux.

Le conflit en Ukraine affecte à la fois l’industrie alimentaire (la Russie et l’Ukraine étant des exportateurs majeurs de céréales) et le secteur des engrais (la Russie étant un gros fournisseur de matières premières -gaz naturel, phosphate, potassium, ammoniac-). Résultat : les importateurs d’engrais doivent désormais composer avec l’absence des exportations russes.

Les engrais ont encore pris 10% au premier trimestre 2022 après la hausse de 80% en 2021. Le fait que les prix de cet intrant soient élevés et volatils fait craindre une faible disponibilité d’engrais en 2022-2023, laquelle pourrait avoir des répercussions négatives sur la production alimentaire et la sécurité alimentaire. Cette année, la Banque mondiale estime qu’ils augmenteraient encore de 70% avant de baisser en 2023. « La forte hausse des prix des intrants tels que l’énergie et les engrais pourrait provoquer une baisse de la production alimentaire, notamment dans les économies en développement. L’utilisation réduite d’intrants pèsera sur la production et la qualité des aliments, ce qui affectera les disponibilités alimentaires, les revenus des populations rurales et les moyens de subsistance des pauvres », indique John Baffes, économiste senior au sein de la division Perspectives de la Banque mondiale.

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Le Maroc au centre au monde

Sur le terrain actuellement, les disponibilités internationales d’engrais restent limitées, les stocks sont réduits et les tensions géopolitiques pourraient entraîner de nouvelles restrictions sur l’offre dans un court délai. En raison de ces incertitudes, la demande mondiale ressort de plus en plus vive avec des achats précipités d’engrais phosphatés. Mais du coup, avec cette tension extrême sur les engrais, le Maroc, qui possède 75 % des réserves mondiales de phosphate (un minéral utilisé dans les engrais) est plus que jamais convoité de partout.

La question des engrais est tout simplement devenue une priorité absolue, à en juger d’ailleurs, par l’agenda du ministre brésilien de l’Agriculture, Marcos Montes. Déjà, le 16 mars, à l’occasion d’une réunion virtuelle avec le Directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il a demandé que les sanctions visant la Russie et la Biélorussie ne concernent ni l’alimentation ni les intrants chimiques pour la production. Cette demande était portée par le Brésil, qui préside actuellement le Conseil agricole du Sud (CAS), une instance issue du bloc commercial du Mercosur et qui réunit les ministres de l’Agriculture de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Chili, du Paraguay et de l’Uruguay. Au nom du CAS, le Ministre brésilien a insisté pour que les sanctions économiques adoptées contre la Russie « épargnent les chaînes alimentaires mondiales ». « Sinon, nous allons créer un autre problème, encore plus grave, puisque, selon les estimations de la FAO, la faim touche plus de 800 millions de personnes dans le monde. »

Cette semaine, Marcos Montes devrait s’envoler pour le Maroc afin de tenter de garantir des stocks plus importants pour son pays. La tournée prévue également, en Egypte et en Jordanie, a pour objectif d’étudier pour le Brésil, l’augmentation des importations d’engrais en provenance de ces pays, rapporte Reuters.  Le Brésil qui dépend à 85% de ses besoins en engrais, s’inquiète d’une éventuelle pénurie mondiale de produits après que les pays occidentaux ont imposé des sanctions aux principaux producteurs biélorusses et russes, tandis que la Chine a restreint les exportations.

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La dépendance du Brésil à l’égard des engrais a souvent été évoquée depuis qu’il est devenu l’un des principaux producteurs mondiaux de soja, de maïs, de viande bovine, de volaille ou encore de café. Le pays importe en effet 95 % de l’azote, 75 % du phosphate et 91 % du potassium qu’il consomme, d’après les données du ministère de l’Agriculture. Près de 23 % de ces achats viennent de Russie, dont la moitié du potassium consommé au niveau national. Quant à la Biélorussie, qui fournit près de 7 % des engrais utilisés au Brésil, elle a annoncé ne plus pouvoir honorer ses engagements, avec la fermeture de sa frontière avec la Lituanie.

C’est dans cette optique que « la diplomatie des engrais » a été mise en place par le Brésil. Une tournée du ministre de l’Agriculture brésilien Montes, qui durera 8 à 10 jours. Le Brésil vise également à encourager les investisseurs étrangers à produire des engrais au Brésil, a-t-il déclaré.

Le Maroc, qui est le troisième fournisseur d’engrais du Brésil après la Russie et la Biélorussie, avec d’autres pays comme le Qatar, l’Égypte et Oman, fournit 26 % des engrais importés par ce pays, qui veut compenser la baisse enregistrée de ses importations de cette substance après le déclenchement du conflit en Europe de l’Est.

Déjà en décembre dernier, le Royaume a été le premier exportateur d’engrais minéraux ou chimiques contenant des substances additionnelles vers le Brésil. Les importations brésiliennes de ce produit depuis le Maroc avaient atteint 75,37 millions de dollars, selon la Chambre arabo-brésilienne de commerce, soit 62,91% des importations brésiliennes de ce produit le mois dernier (119,8 millions de dollars).

Actuellement, les pays qui demandent l’aide du Maroc pour s’approvisionner en engrais sur le marché national sont très nombreux. Le Ministre péruvien du Développement agricole et de l’irrigation, Oscar Zea, a annoncé vendredi 6 mai que son pays va acheter des engrais à l’étranger et notamment au Maroc, dans un processus transparent. Dans ce cadre, son département a déjà présenté une proposition au ministère péruvien de l’Économie et des finances afin qu’il autorise en urgence la mise à disposition de 900 millions de shillings (22 millions d’euros) pour finaliser l’achat de ces engrais, fait savoir le site péruvien Gestión. « Il y a eu des pourparlers avec les gouvernements du Maroc, du Venezuela et de la Bolivie… Des dispositions logistiques sont en train d’être prises afin que ces intrants parviennent rapidement aux agriculteurs », a ajouté le ministre.

Pour sa part, Guyana est, également, en pourparlers avec le Maroc, afin d’obtenir de celui-ci son aide.  Lors d’une visite au marché de Leonora samedi 30 avril, Dr Irfaan Ali, Président de la République coopérative du Guyana, a indiqué que le Chef de la diplomatie guyanaise discute avec le Maroc sur une éventuelle réduction du coût des engrais actuellement très élevé, rapporte Guyanatimesgy.com. « Le ministre Hugh Todd travaille actuellement sur une initiative. Nous discutons avec le Maroc depuis un moment maintenant, pour voir si nous pouvons les engager directement sur la question des engrais. Nous progressons maintenant et d’ici juillet, nous devrions avoir des nouvelles positives », a-t-il déclaré.

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Du côté de l’Union européenne, qui importe de Russie à la fois des engrais et du gaz indispensable pour en fabriquer, l’enjeu est majeur depuis que le gouvernement russe a recommandé à ses producteurs d’engrais de suspendre leurs exportations.  « En 2021, la Russie était le premier exportateur d’engrais azotés et le deuxième fournisseur d’engrais potassiques et phosphorés », rappelle la FAO. « 40 % de l’approvisionnement européen en gaz provient actuellement de Russie », qui fournit « 25 % de l’approvisionnement européen » en azote, potasse et phosphate, alertait cet organisme spécialisé de l’ONU. L’Union européenne consomme chaque année « plus de 11 millions de tonnes d’azote de synthèse » selon un récent rapport de députés européens écologistes. Elle dépend donc de la Russie à la fois pour son gaz et ses importations directes de fertilisants. Aujourd’hui, l’Europe va devoir se tourner vers d’autres sources.  Pour augmenter ses apports en phosphate, par exemple, l’Europe pourrait se tourner vers le Maroc, la Chine et les États-Unis qui sont les premiers producteurs.

Sur le continent africain, l’on espère que le Maroc et le groupe OCP vont continuer à jouer leur rôle dans le développement de l’agriculture africaine surtout avec la menace de la crise alimentaire qui plane sur l’Afrique. Pour rappel,  l’OCP, qui est présent dans 12 pays africains, dont le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, détenait en 2020 une part de marché de 54% des exportations d’engrais vers l’Afrique. En effet, plutôt que de se contenter d’exporter la matière première (phosphate), le Royaume a décidé il y a des décennies de devenir l’un des plus grands producteurs d’engrais au monde. Selon l’auteur du  récent rapport du Middle East Institute (MEI), Michael Tanchum, chargé de mission senior associé au programme Afrique du Conseil européen des relations étrangères (ECFR) et chargé de mission non résident au Middle East Institute à Washington, le Maroc a revu ses ambitions à la hausse et est devenu un « gardien de l’approvisionnement alimentaire mondial ». Plus de 630 000 agriculteurs ont bénéficié d’un programme de l’OCP appelé Agribooster, qui a permis d’augmenter considérablement le rendement des cultures. Le rendement du maïs au Nigeria a ainsi augmenté de 48 % et celui du millet au Sénégal de 63 %, est-il précisé. « Le Maroc réalise d’impressionnantes augmentations de rendement agricole dans toute l’Afrique, empêchant ainsi la crise alimentaire du continent de s’aggraver », estime Michael Tanchum.

Aujourd’hui, l’OCP a d’ailleurs annoncé son ambition d’augmenter sa production de 10 % cette année, afin de répondre à la demande mondiale sans cesse croissante d’engrais provoquée par la guerre russo-ukrainienne. Il est question d’atteindre les 11,9 millions de tonnes cette année contre 10,8 millions de tonnes un an auparavant. Du coup, le Royaume est bien parti pour surclasser la Russie contre qui des sanctions européennes ont été prises en matière d’exportations d’engrais. Pour preuve, la guerre russo-ukrainienne produit un impact négatif sur le géant russe des engrais phosphatés PhosAgro, le plus grand concurrent du groupe OCP, à l’Est.

 
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