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Immaturité politique

Le débat sur les prochaines élections a un aspect malsain. Déjà, la polémique Chef du gouvernement versus son ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad avait quelque chose de surréaliste. Benkirane n’avait aucune raison de rappeler que le contrôle politique lui appartient, parce qu’en démocratie cela va de soi. Tout ce qu’il a gagné, c’est qu’il a jeté de la suspicion sur un processus dont il est politiquement, de toutes les façons responsable.
Ensuite, nous sommes face à des revendications qui vont du légitime, de l’utile, au guignolesque.

Le débat sur les listes électorales est légitime. Elles sont truffées d’erreurs, de manipulations héritées de l’ère Basri. Demander une révision totale n’est pas incongru. Les résistances du ministère de l’Intérieur ne relèvent pas du technique, ni du coût de l’opération. En off, on exprime une angoisse, celle de voir le nombre d’inscrits baisser encore plus. En 2011, près de deux millions d’inscrits ont été rayés des listes, dans une opération de nettoyage, ce qui relativise la progression du taux de participation tant vantée par les thuriféraires. La solution d’inscription automatique liée à la carte d’identité nationale est refusée pour une autre angoisse, celle du taux de participation. Si on passe à 23 millions d’électeurs, le risque est fort de franchir le seuil de l’illégitimité. Quelle valeur accorder à des élections n’ayant attiré que 20% des inscrits ? Normalement, aucune. Rendre le vote obligatoire est la dernière proposition. Elle existe dans certains pays mais rien n’assure qu’elle sera efficiente, les bulletins blancs remplaçant l’abstention, c’est le cas en Belgique, et ce n’est pas très démocratique, parce que l’électeur a le droit à la défiance vis-à-vis des politiques. En fait, on essaye de résoudre un problème politique grave, celui du manque d’adhésion, par des artifices techniques qui ne changent rien à la réalité.
Le débat sur le mode de scrutin est très utile. Pour les communales, il y a deux modes, l’un de liste à la proportionnelle dans les villes, l’autre uninominal dans le monde rural. Les deux ne permettent pas l’émergence de majorités politiques compactes.
Le scrutin de liste n’a pas politisé les élections, ce qui était l’objectif annoncé de son adoption. Toutes les grandes villes, à part Agadir, sont dirigées par des majorités multicolores, instables, tenant en otages les présidents. On peut atténuer ce phénomène en élevant le seuil à 10%, ce qui éliminera une majorité de listes. L’USFP y était favorable, il ne l’est plus suite à ses résultats électoraux. Pour rationaliser les élections, il faut adopter le deux-tours qui a pour avantage de faciliter les alliances pré-électorales. Le premier schéma est rejeté par la majorité des partis qui craignent de disparaître de la carte, de perdre leur part du financement public. Le deux-tours suscite des appréhensions, curieusement, assez unanimes. D’abord, il serait très difficile de mobiliser les électeurs deux fois de suite. Et paraît-il, la culture politique étant ce qu’elle est, il est impossible d’avoir une discipline de vote. Aucun parti ne s’inscrit dans le devenir de la construction démocratique, en posant les jalons de la crédibilisation des institutions élues. Ils ont tous, sans exception, une seule idée fixe, leurs intérêts partisans.

Suspicion mortelle

Ce qui est guignolesque, c’est tout ce qui relève de la transparence, de l’honnêteté des élections. Disons les choses telles qu’elles sont. Depuis 2002, il n’y a aucun triturage des urnes. Tous les partis le reconnaissent. L’administration n’intervient ni le jour du vote, ni dans les résultats. C’est un fait, mais ce n’est pas suffisant.
Les partis ont souvent critiqué la neutralité passive de l’administration locale face à l’utilisation de l’argent. L’effort fourni, les écoutes autorisées sur les candidats suspects, n’arrêtent pas le fléau. D’abord parce que tous les notables sont « suspects » et que tous les partis en présentent. Mais surtout, et les partis le savent, parce qu’on n’achète plus des voix durant la campagne. Le système est devenu plus sophistiqué.
Utiliser une kyrielle d’associations « sociales » financées par les communes est une partie de la combine. Mais c’est l’existence de relais, connus par tous, qui est à la base du système. Ce sont des gens en contact permanent avec les électeurs, qui servent d’intermédiaires avec les autorités, les élus, qui distribuent des prébendes, des aides matérielles en cas de maladie ou de décès qui, en contrepartie « encadrent » leurs contacts. Ils représentent parfois des centaines de voix chacun. Le système est tellement bien rôdé, que dans leur offre de service, ils spécifient le nombre de voix qu’ils sont capables de rabattre par bureau. Le candidat qui en fait son comité de soutien a de vraies chances de passer. Il est difficile de les combattre, parce que tout citoyen a le droit de faire campagne, de convaincre les électeurs pour le candidat de son choix. Il faut prouver qu’il y a une transaction. Celle-ci se passe rarement au grand jour.
Ensuite, il y a l’achat de voix pour la constitution des bureaux. Le feuilleton des élus éloignés de la ville par leur acheteur en attendant le jour de la constitution des bureaux est le visage le plus hideux du processus des élections. Il dévoile le fait que les partis politiques n’ont aucun contrôle sur leurs candidats et qu’une fois élus, ceux-ci agissent pour leur propre compte… bancaire. Evidemment, les partis refusent d’assumer leurs responsabilités et préfèrent incriminer l’administration quand « l’acheteur » n’est pas des leurs, sans dénoncer les vendus qui sont élus sous leurs couleurs. Seule la défunte OADP avait eu le courage moral et politique de le faire. On a découvert que des dizaines d’élus sous l’étiquette de l’extrême gauche, qui n’en avait pas des masses, avaient cédé devant les liasses de billet.
Dans ces conditions, demander la présence d’observateurs internationaux est burlesque. Ceux-ci suivront la campagne électorale publique, l’opération de vote et le dépouillement.
A ces différents stades, il y a rarement des incidents. Ils ne serviront donc à rien. Mais leur présence serait politiquement désastreuse. Seules les transitions où l’Etat n’a pas la confiance des partenaires y ont recours. Ce n’est pas le cas du Maroc où la construction démocratique a dépassé ce stade. Il est navrant que Hassad soit plus fin que les politiques, lui, le présumé technocrate. Il a raison d’y opposer une fin de non recevoir. 

 
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