Immobilier

Immobilier marocain : la formule gagnante pour conquérir des capitaux institutionnels internationaux

Spécialiste de l’immobilier et Associé de Medallion Associates à Dubaï, Amine Sabri pose un regard sans concession sur le secteur immobilier marocain. Entre manquements, nécessité de transformation et potentiel de développement, cet expert de l’immobilier estime que le Maroc devrait faire un pas décisif vers l’adoption de modes de financements modernes et innovants, si le marché immobilier veut attirer des investisseurs institutionnels internationaux et retrouver une certaine dynamique.

Quels sont, selon vous, les défis majeurs que le secteur immobilier au Maroc doit relever ?

A. S. : Le secteur immobilier marocain a besoin d’un électrochoc, d’un changement de mentalités pour valoriser les actifs de grandes valeurs dont il dispose et qui sont la crédibilité, la stabilité et la réputation internationale du Maroc.

Malheureusement, et très souvent dans l’immobilier résidentiel par exemple, les mécanismes de financement adoptés par les développeurs immobiliers sont traditionnels, à quelques exceptions près. Ils se limitent bien souvent à des ventes individuelles sur plan, supportées par des banques commerciales qui font face à des contraintes de réglementation qui restreignent leur potentiel de financement. Parfois, des partenariats avec des groupes internationaux dans des conditions ‘déséquilibrées’ freinent la pleine réalisation du potentiel des projets. Des produits de financement, tels que la titrisation, ont surgi dans le marché marocain depuis des années mais leur potentiel de croissance reste définitivement insuffisant et sous-exploité faute de capital imposant.

Nous assistons aujourd’hui au Maroc par exemple à un schéma de financement proposé par certains développeurs immobiliers marocains offrant des mécanismes de financement basés sur la collecte de 50% de la valeur de l’unité à la livraison. Ces 50% sont logés dans leur société de développement constituée sous forme d’une association à but non lucratif. Cela leur permet de déjouer plusieurs règlementations mises en place pour protéger les investisseurs individuels. Le reste, 50%, est étalé sur une période allant jusqu’à 10 ans sous la forme d’une location avec option de financement. Dans d’autres pays, l’achat financé par les développeurs immobiliers donne automatiquement accès à un titre foncier dès la livraison et par le fait même confère un droit de regard et de contrôle sur l’actif. Ce qui est loin d’être le cas dans le financement basé sur la location avec option d’achat qui se répand au Maroc. Une législation claire et décisive au sujet des mécanismes de transfert de propriété est indispensable.

Aujourd’hui, l’époque est à l’investisseur institutionnel capable de supporter des projets immobiliers multiples et ambitieux, et prêt à prendre des risques pour y parvenir. L’ère est aussi aux montages de financement complexes et innovatifs, capables d’attirer des fonds colossaux pour redynamiser le secteur immobilier marocain et le placer sur la carte de la finance mondiale comme un choix d’investissement de qualité.

Le Maroc doit s’inspirer des best practices d’ailleurs pour les adapter à sa réalité, dans une perspective à long terme. Pour rappel, le secteur immobilier marocain a contribué en 2019 à hauteur d’environ 6% seulement au PIB du Maroc. Aux Émirats Arabes Unis, pays producteur de pétrole, cette contribution est de l’ordre de 20%, et d’environ 35% au Canada, pays affichant une forte balance commerciale.

Où trouver ce capital institutionnel à capter par le Maroc ?

A. S. : Aujourd’hui plus que jamais les mouvements massifs de capitaux privés et institutionnels internationaux sont entrain de remodeler le paysage de la scène financière et la géographie de l’investissement immobilier international représentant une aubaine pour le secteur marocain.

L’investissement immobilier mondial proviendra principalement de 3 sources différentes : le financement bancaire de projets immobiliers internationaux notamment avec l’assouplissement des exigences de réserve obligatoire, la réorientation de capitaux vers les pays qui ont mis en place des plans de relance ambitieux, les tensions politiques localisées dans certains marchés émergents qui intensifient les mouvements de capitaux.

À travers une flexibilité dans sa politique monétaire, Bank Al Maghrib a ainsi libéré les banques marocaines en juin 2020 des exigences de réserve obligatoire et de liquidité minimale. Ceci représente une injection de 10 milliards de dirhams de liquidité dans le système bancaire. Cet assouplissement jumelé à la baisse du taux directeur se traduira par un appétit progressif des banques à supporter des produits immobiliers.

Aussi, en matière de relance, le Maroc est premier en Afrique et dans les pays arabes non pétroliers en termes d’ambition de son plan de relance. Ce qui est une condition favorable pour lui dans la conquête de capitaux institutionnels étrangers en quête de stabilité et d’engagement des pouvoirs publics locaux.

De plus, nous assistons depuis 2017 à une tendance baissière des investissements immobiliers chinois dans des pays tels que les USA, le Canada et l’Australie historiquement privilégiés. Cela représente une opportunité à saisir pour le Maroc où les investissements chinois ne dépassent pas en moyenne 5% du total des IDE, un capital chinois dont les attentes et le fonctionnement sont d’un genre très particulier mais dont le poids et la flexibilité comptent beaucoup.

Quels sont, selon vous, les outils dont devraient se doter les développeurs immobiliers marocains pour attirer ce capital institutionnel ?

A. S. : Les acteurs locaux doivent s’adapter à la réalité d’un marché immobilier mondialisé pour offrir des opportunités d’investissement et des montages de financement innovants. Ces derniers doivent correspondre aux caractéristiques de rendement, de risque, de grande liquidité et d’échéances à plus court-terme recherchées par les investisseurs institutionnels. Nous devons d’abord, pour cela, proposer une offre diversifiée de possibilités d’investissement dans les villes à travers le Royaume, en créant des villes beaucoup plus génératrices de richesse comme c’est le cas de Marrakech, Tanger, Casablanca ou Agadir. C’est ainsi que l’on peut rendre l’investissement immobilier de qualité beaucoup plus attrayant pour les investisseurs institutionnels. Il est temps que les efforts de promotion à l’international du secteur immobilier marocain ciblent un investisseur différent du MRE et du retraité français et européen, au profit d’un profil d’investisseur international en quête de spéculation et de prospérité.

Ensuite, les groupes immobiliers marocains devraient revoir leur stratégie de gestion de portfolio et penser davantage en termes de « valorisation financière et économique de leurs actifs ». Ceci leur permettra d’améliorer le profil financier de leurs portefeuilles, et ainsi gagner ces batailles de financement internationales. Aradei Capital qui vient d’attirer brillamment un investisseur institutionnel étranger, pour un investissement total 50 millions de dollars, a réussi cet exploit grâce au déploiement d’une stratégie de diversification de son portefeuille d’investissement et de revalorisation de ses actifs qui a duré environ 2 ans.

Une stratégie de revalorisation du parc immobilier tient compte de facteurs clés tels que la durabilité et la technologie, ce qui permet de générer une valeur opérationnelle et économique et d’accorder une prime à la valeur des actifs à travers l’efficacité de leur gestion opérationnelle ainsi que l’amélioration de l’empreinte carbone de ces actifs, élément de plus en plus prisé par les investisseurs institutionnels.

Par exemple, on a récemment vu la Caisse de Dépôt et de Placement du Québec (CDPQ) au Canada, lancer une stratégie climatique en 2017. À travers cette stratégie, la CDPQ s’est engagée pour avoir un portefeuille d’investissement carboneutre d’ici 2050 ; ce qui se reflète au quotidien dans le choix d’opportunités d’investissements outre-mer à entreprendre. Il faut rappeler que la Caisse est un investisseur institutionnel qui gère des régimes de retraite du Québec, avec un actif total de plus de 340 milliards $. Environ 20% de cet actif total, soit 68 milliards $, sont investis mondialement dans des actifs réels sous forme d’infrastructures (ports, aéroports,…) ainsi que des projets immobiliers. À fin décembre 2019, soit 2 années seulement après cette décision majeure, 10% de l’actif total ont été déjà dirigés vers des investissements sobres en carbone.

Malheureusement, nous percevons encore au Maroc de façon générale le facteur de durabilité climatique de nos activités davantage comme un risque réputationnel à affronter au lieu d’une opportunité stratégique de croissance à saisir.

D’un autre côté, certaines stratégies de “bundling“ d’actifs ou encore de P.P.P. ouvrent la porte à des schémas de financements majeurs jusqu’alors inexplorés ou modestement auprès d’un profil d’investisseurs totalement différent de l’investisseur traditionnel et fragmenté.

Enfin, les REITs (real estate investment trusts, véhicules d’investissement on-shore et tax-efficient) ont été adoptés dans plusieurs pays depuis des décennies et permettent de diriger l’investissement privé et institutionnel vers le secteur immobilier. Ces REITs contribuent à améliorer considérablement la gestion efficace des propriétés et les coûts opérationnels, la valeur économique des parcs immobiliers ainsi que l’introduction de la composante ‘Écologie’ dans la chaine de valeur dans son entièreté. Le Maroc vient de déployer un dispositif législatif similaire. Et les groupes fonciers locaux devraient faire preuve de proactivité pour entreprendre des actions stratégiques afin de tirer profit du potentiel économique énorme de l’instauration des REITs.

Comment votre firme réussit-elle à courtiser des investisseurs institutionnels internationaux ? Et quelle est la dimension des projets qui convient à ce profil d’investisseurs ?

A. S. : L’investisseur institutionnel recherche essentiellement un portefeuille diversifié dans un environnement stable sur un large horizon. En revanche, leurs orientations stratégiques d’entrée en investissements, qui portent sur des secteurs particuliers dans des régions géographiques particulières, s’adaptent continuellement ; ce qui nécessite de rester toujours à l’affût de signes avant-coureurs et d’anticiper des virages stratégiques.

Quant à Medallion Associates, nos différentes expériences en matière de structuration de méga-projets résidentiels (projet résidentiel de 4,500 unités dans le cadre d’un P.P.P. pour +600 M$, émission de Sukuk obligataires en Asie libellés en dollars, déploiement d’une structure de financement complexe), nous ont permis de cultiver très tôt des relations très étroites avec les instances gouvernementales à Dubaï et Abu Dhabi. Medallion Associates a d’ailleurs été choisi, à ce titre, comme promoteur international exclusif du secteur immobilier de Dubaï par DLD, une sorte de ministère ou autorité de réglementation du secteur. Nous avons aussi livré un mandat stratégique avec le gouvernement de Dubai pour lequel nous avons mené une étude stratégique du potentiel d’un portefeuille de 57 parcelles de terre à travers les Émirats d’une valeur totale dépassant les 1,8 milliard de dirhams émiratis (490 millions $).

Tout ceci nous a conféré une position privilégiée pour constituer un pipeline de portefeuilles immobiliers importants, diversifiés et attractifs, afin de courtiser et être courtisé par des investisseurs institutionnels à travers essentiellement le Japon, la Chine, Singapore, la Malaisie et l’Inde.

Avez-vous un exemple de financement de projets dont les développeurs immobiliers marocains peuvent s’inspirer afin de redynamiser l’offre ?

A. S. : Au Moyen-Orient comme en Asie du Sud, la très grande majorité des développeurs immobiliers financent eux-mêmes leurs clients, bien souvent en offrant des modalités de paiement qui s’étalent sur une période de 5 à 10 ans. Ils s’assurent souvent de collecter 40% à 60% de la valeur totale de l’unité à la livraison. En appliquant ce mécanisme, les développeurs immobiliers reportent la réalisation de leur marge nette mais s’assurent en contrepartie de maintenir un flux de demandes plancher pour leur offre d’unités, croître leur portefeuille d’actifs, optimiser leur fonds de roulement et leurs liquidités. Ce mécanisme a fait ses preuves depuis des décennies déjà dans l’industrie automobile.

Pour réussir, cette structure doit être jumelée avec une stratégie de gestion des liquidités et être supportée par un apport en capital dans des conditions avantageuses pour les investisseurs institutionnels majeurs.

Ce schéma est d’autant plus viable lorsque le développeur réussit à matcher le plan de financement du projet de construction au plan de paiement des clients, libérant ainsi plus de liquidités et de fonds de roulement à court terme, et optimisant sa structure d’investissement.

Qui est Amine Sabri ?

L’associé de Medallion Associates, entré en janvier 2020 dans la firme dubaïote en tant que directeur exécutif investissement et stratégie, compte aujourd’hui des projets d’envergure sur son CV. Cet expert-comptable canadien d’origine marocaine, reconverti en banquier d’affaires vient d’ailleurs de boucler, dans le plus grand des secrets, 2 complexes et de gigantesques financements aux Emirats Arabes Unis. Montant total : plus de 5,5 milliards de dirhams émirati (plus de 1,5 milliard $), au profit de deux mastodontes de l’immobilier au Moyen-Orient. Son groupe prend présentement part à des discussions et négociations exclusives avec des banques d’investissement asiatiques et des hauts officiels étatiques pour faciliter une enveloppe de financement total de 100 milliards $ au profit d’un gouvernement de la région.

Pourtant, Amine Sabri était loin de se prédire une carrière dans l’immobilier, encore moins celle de banquier d’affaires, qui plus-est depuis le Moyen-Orient. Ce jeune canado-marocain qui avait financé ses études universitaires au Canada en important depuis le Maroc de la menthe fraiche, du basilic et du romarin au profit de grandes enseignes canadiennes, avait déjà l’ambition de forger sa propre voie loin des dogmes traditionnels. Son parcours, il l’avait tracé dans l’expertise comptable, diplôme qu’il obtint à l’Université Laval avec haute distinction. Il passa ensuite les certifications d’expertise comptable CPA et CA canadiennes, avant de rejoindre les rangs canadiens de Deloitte et ensuite Ernst & Young en audit externe, stratégie et M&A (fusion-acquisition). Là, il gravit les échelons de façon expéditive et eut l’opportunité de sillonner la planète. Après plus d’une décennie en consulting au Canada, il décida de mettre les voiles pour Dubaï et rejoignit Medallion Associates. Cette dernière est une firme privée d’investissement, avec une division de développement immobilier, fondée en 2018 par Masood Al Awar, une figure emblématique de l’immobilier au Moyen-Orient, et un ami de longue date. Medallion Associates dispose de bureaux à Dubaï, Londres et Kuala Lumpur. Associé, après un bref passage en tant que directeur exécutif, la firme a réalisé une croissance de son chiffre d’affaires au 1er semestre 2020 de plus de 500%, en glissement annuel.

 
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