Portrait

Ingénieur financier jusqu’au bout des doigts

Ses dehors calme, posé presque timide cachent un manager qui a dû mener de front la modernisation du groupe Atlanta. Ingénieur financier dès sa formation, ce féru de football convainc par l’exemplarité et non les leçons de morale.

Qui aurait pensé que le terme et encore moins la notion de ould Fès el assil, était encore d’actualité? Pourtant, cet archétype  de la capitale spirituelle du Maroc, poli, modeste et croyant, une image d’Epinal, pourrait parfaitement correspondre à Jalal  Benchekroun. C’est un personnage tout en rondeurs, aux manières policées et à la poignée de main chaude et douce, qui enveloppe.  Il est vêtu d’un costume gris sur une cravate rayée idoine. Seule une légère barbe taillée suggère une rectitude morale et une spiritualité profonde. Le prosélytisme, et le moralisme à outrance, en moins. Il est  plutôt le produit d’une époque, celle des principes et des valeurs qui se sont effi lochées avec le temps, et qui sont devenues  denrées rares dans le Maroc d’aujourd’hui.

 Jalal Benchekroun est né à Fès, en 1967. Le cinquième enfant d’un fonctionnaire de la sûreté nationale et d’une mère au foyer. Son grand père, Hadj Driss Benchekroun, était  un grand commerçant de la ville, encore capitale du Maroc jusqu’en 1927. Mais Fès n’a pas que de l’histoire, elle a aussi du  caractère. C’est à la fois une ville industrieuse, jusque dans les années 70, et un centre universitaire important. Facteurs qui  en font, pour le Protectorat, l’enfant terrible du Royaume. Etudiants, syndicats et classes aisées se liguent contre l’occupant, et la  ville rue dans les brancards, pour se défaire du joug français. Hadj Driss sera l’un des  premiers hommes d’affaires fassi à s’installer à Casablanca, où il ouvre plusieurs commerces dans l’autre capitale, économique celle-ci. Nous sommes en 1938, et le quartier des Habous a été spécialement créé  pour reconstituer la Médina traditionnelle, où s’installera le commerçant. Arrive 1942, et le débarquement Américain à Casablanca  créera des remous dans la vie paisible de Hadj Driss.

La ville est ombardée, et le climat n’est plus propice aux affaires, et c’est à nouveau l’exil, à Marrakech cette fois, jusqu’à la fin des évènements quand il retournera dans ses pénates à Fès. C’est dans cette ville que vit sa famille, la grand mère étant une fi lle de  Fkih, elle forme ses enfants à une combativité tout autre. Poussés par cette matriarche des temps anciens, les fi ls entreront tous  dans la résistance. Deux des oncles seront d’ailleurs exécutés à El Jadida. Seuls le père et l’oncle de Jalal, Abdellatif et M’hamed seront épargnés car capturés au moment des pourparlers entre la France et le mouvement nationaliste marocain. A la libération, les frères Benchekroun se retrouveront, presque naturellement,  intégrés aux forces de l’ordre. 

Un enfant délicat, mais épanoui 

Mais le père de Jalal n’est pas un “fl ic” comme les autres. Il  se donne à son métier corps et âme, et n’a que peu de temps à consacrer au reste. “C’était une  autre époque, ma famille louait un logement dans le centre ville. Mais alors que j’étais encore au primaire, le Ministère de tutelle nous  avait attribué un terrain pour construire une maison. A l’époque, un fonctionnaire pouvait être propriétaire. Nous avons donc déménagé pour Hay al Mouaddfoun”, explique-t-il, sans jamais se départir de sa  simplicité. A son intonation douce et ses phrases réfléchies, on imagine un enfant sage et délicat qui grandit à l’ombre d’une  mère attentive. Mais le déménagement sera un choc. Du quartier résidentiel de sa petite enfance, il passe à un quartier déjà populaire, et il doit s’adapter à une nouvelle école et à de nouveaux camarades. Il est scolarisé à l’école publique, avant d’intégrer le collège Agdal, autrement connu sous le  nom de Salaheddine El Ayoubi de Fès, pour s’épanouir pleinement. Là, le proviseur Abdellatif Berrada enchaîne les rondes dans l’établissement scolaire aussi bien que dans les alentours de l’école: “il devait mesurer  un mètre cinquante, mais faisait preuve d’une autorité et d’une rigueur qui faisait trembler élèves et enseignants,” se remémore-t-il. En  classe, le jeune Jalal évolue dans une réelle mixité sociale. Les loisirs de l’époque se  limitaient au foot, et tout naturellement il était un ardent supporter du MAS. La TV retransmet les championnats européens  et, avide d’informations sur ses équipes favorites, il dévore les journaux sportifs. Arrive 1983, lorsqu’il intègre le plus ancien  établissement de la ville, voire du Maroc, le Lycée My Idriss. Pendant les vacances,  la famille reste le plus souvent en ville et se contente d’escapades à Imouzer, pour la journée. Une année sur deux, elle voyage  dans le Nord du Maroc. C’est ainsi que Jalal découvre Ouad Laou et sa région, Sidi Harazem, My Yacoub ou encore Ifrane. Il se rend à l’école tantôt en bus, tantôt à pieds. Il est plutôt bon élève, adepte de la poésie anté-islamique, et compte dans le trio de tête de sa classe. Il décroche son baccalauréat Sc Mathématiques en 1986.  

Les prémices d’une réussite 

Le précieux sésame en poche, il prépare les concours d’entrée aux grandes écoles d’ingénieurs. “A l’époque on n’avait pas  d’informations. Lorsqu’on était bon à l’école, il fallait faire des sciences. Lorsqu’on était toujours bon, il fallait faire les classes préparatoires,”  développe-t-il. Il est alors boursier au Lycée Pierre Corneille, à Rouen. En “Mathsup”, la vie tourne essentiellement autour des études. Avec sa bourse, il vit quasiment en autarcie dans l’internat de l’école, et  économise ce qui lui reste pour rentrer aussi régulièrement que possible à Fès, en train. “J’ai gardé cet attachement à mon pays et à  ma famille qui me faisait passer quatre jours dans le train pour rester dix jours avec ma famille”, explique-t-il, les mains croisées. Il ne décroche que les ENSI, mais ne s’en contente pas et tente sa chance à nouveau.  Par hasard, il découvre un concours pour l’Ecole Nationale de Statistiques d’Administration et Economique (ENSAE) qui compte trois épreuves de mathématiques: “en général, les élèves marocains ont la hantise de  deux matières, la chimie et le dessin industriel. Avec cette école, je pouvais donner libre cours à mon goût pour les mathématiques. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que c’était une école qui formait des ingénieurs pour les  métiers de la finance”, analyse-t-il en évoquant sa naïveté. Il intègre donc l’ENSAE, choix qu’il ne regrettera pas. A nouveau boursier du gouvernement français, il mène une vie paisible à Paris, loin des virées noctambules.  Il obtient son diplôme en 1992, et il est recruté par les assurances Saada, avant même d’être diplômé. Il se  lance donc dans le secteur des assurances, comme actuaire. L’entreprise passe par une refonte  de ses activités, et Jalal fait partie de l’équipe qui pilotera l’opération. Il y restera deux années et demi, avant de s’orienter vers de  nouveaux horizons. Il sera pris au Ministère de l’Economie et des Finances, où il commence  comme chef de service à la dette interne au sein de la direction du Trésor. “J’ai côtoyé des grands commis de l’Etat et des personnes  extraordinaires,” se remémore-t il, reconnaissant envers Abdellatif Loudiyi qui sera son mentor pendant cet épisode.

Retour aux sources

Certes, son poste à Rabat lui permet de se rendre chaque week-end à Fès, rendre visite à sa famille, mais il a des envies de changements. Ce qui se concrétisera en 1997, lorsqu’il quitte le Ministère pour intégrer la CDG. Mais cette expérience sera  de courte durée, puisque juste après son mariage, il revient à ses premières amours, l’assurance, dans le groupe Atlanta. Là, sa  carrière prend un rythme accéléré. Coup après coup, il est en charge des assurances
groupes (décès, maladie, invalidité), la  mise en place des procédures et le système informatique pour assainir son département.  L’année 2000, restructuration de la compagnie, et naissance de son premier enfant. Il prend la responsabilité des assurances vie, et en 2003, devient responsable des assurances non-vie et des assurances  des biens des personnes. On lui confiera,  après, la direction commerciale du groupe, et la direction générale adjointe en décembre  2004. Poste qu’il gardera jusqu’en 2012, date de sa nomination comme DG délégué de l’entreprise. Dans l’intervalle, il aura mené de front l’introduction en bourse de l’entreprise et amorcé le virage d’une entreprise semi-familiale en grand groupe  d’assurance dont la CDG est actionnaire. 2007 aura vu la naissance de ses jumeaux. Avec un tel parcours on ne peut lui souhaiter  qu’une chose: Allah I slah. ■

 
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