Tribune et Débats

La chimère des solutions technocratiques au Maroc [Tribune]

Par Lahcen Haddad

À chaque fois qu’il y a un problème au Maroc, on brandit l’option technocratique ! La solution magique aux problèmes du pays ! Loin des arcanes des politiques, leur perte de temps, leurs tergiversations et leurs élucubrations byzantines, la technocratie est la “solution salvatrice…” «Soyons efficaces, passons au mode management!» Le Maroc n’en sera que plus heureux et mieux gouverné!

Une bonne dose d’efficacité dans l’action publique ne peut être qu’une bonne chose, certes. Mais de là, à dire que les problèmes du Maroc sont simples et méritent des solutions simples et qu’il faut des businessmen, des ingénieurs et des lauréats des grandes écoles pour leur trouver les solutions (techniques) idoines est une fuite en avant qui émane d’une perception trop simpliste, voire naïve, de la réalité. Historiquement, la peur du politique date du temps des luttes acharnées pour le pouvoir qui ont marqué les premières décennies de l’Indépendance. L’acte politique avait une connotation subversive : c’est pourquoi une grande partie des élites avait trouvé refuge dans un apolitisme primaire, voire techniciste, qui les protégeait des colères du pouvoir et en même temps les qualifiait pour des postes stratégiques sensibles (interdits aux politiques).

Le mythe des solutions technocratiques réduit la gestion de la chose publique à une question de management pur et dur qui renvoie à de simples actes de planification, implémentation et contrôle ! Or, le management n’est qu’une partie infinitésimale de l’action politique ! La gestion politique implique une compréhension profonde du contexte socio-économique, une évaluation de ses forces et faiblesses nécessitant des interventions en forme de lois, politiques et décisions, une mobilisation des ressources et la création des alliances pour mettre en place les conditions d’une implémentation réussie, et des plans de communication, de suivi et d’évaluation…

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Les rares technocrates qui ont réussi dans l’histoire du Maroc l’ont fait non pas parce qu’ils sont technocrates, mais parce qu’ils ont adopté un mode de fonctionnement politique et ont bénéficié d’un soutien politique au sein du gouvernement! En fait, les businessmen/women qui réussissent sont ceux et celles qui savent gérer le changement, qui mettent en place des politiques de changement, mobilisent les acteurs pour les implémenter et les défendent en communiquant avec le grand public. Ces facultés sont des compétences de management politique. Les vrais managers sont des animaux politiques avant d’être des techniciens dans leur domaine d’intervention.

Par ailleurs, la gestion politique ne peut être réduite à un simple procédé de planification, exécution et contrôle, qui sont les tâches principales de l’acte de gérer une entreprise. La politique est la gestion du changement dans un monde complexe. La complexité est une caractéristique fondamentale des sociétés. Ceux et celles qui pensent que la politique est une perte de temps, ne comprennent pas que l’aspect délibératoire et mobilisateur de l’action politique en tant que process de changement est fondamental pour la stabilité, pour le changement dans la continuité! Je dirais même, en m’inspirant du sociologue américain Talcot Parsons (“The Social Systm”, 1951), que les sociétés les plus stables sont les sociétés les plus complexes. La politique est l’art de gérer le complexe afin de créer un équilibre entre les forces du désordre et les forces de l’ordre. C’est ce qu’appelle Edgar Morin l’interaction entre la complexité organisée et la complexité désorganisée (selon la deuxième règle de la thermodynamique) (“Introduction à la pensée complexe”, 2006).

Un technocrate, imbu d’une technicité primaire, ne saurait jamais naviguer avec succès dans le réel labyrinthe du complexe politique. En fait, ceux et celles qui réussissent en business empruntent les procédés politiques d’évaluation du contexte, la conception du changement via des plans et stratégies, tout en mobilisant des alliés en faveur des mutations désirées et en communiquant avec les parties prenantes et l’opinion publique en général.

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Les ministres échouent, non pas parce qu’ils ne sont pas compétents techniquement ou du point de vue managérial, mais parce qu’il y a un problème de gouvernance profonde qui fait que les rôles ne sont pas bien définis, que le pouvoir de prise de décision est ailleurs et que les ressources sont diluées, voire dissipées. Au lieu de brandir l’option technocratique: réformons le mode de gouvernance. Rendons les gouvernements effectivement forts et responsables pour qu’ils soient effectivement redevables!

 
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